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Charbonnier : Un métier tout feu, tout bois

Avec la vie moderne et les avancées technologiques, bon nombre de métiers tendent à disparaître. Parmi, celui de charbonnier qui a fait les beaux jours de nos ancêtres. Il reste toutefois quelques rares artisans du charbon qui résistent au temps. Cap sur Poste-de-Flacq à la rencontre de deux d’entre eux. Après avoir suivi un petit chemin de terre rocailleux entre champs de canne, vergers et bois, on arrive à la lisière d’une forêt. Arborant un chapeau déformé par le temps, des sabots et de vieux vêtements noircis par la fumée et le charbon, Anil Kumar Ramratia, machette à la main, est en plein travail. Cet habitant de Roches-Noires, 45 ans, nous dit vivre sur ce chantier le temps de la coupe, en compagnie de son collègue Rishi Kullur, 34 ans. Un camion de cargaison abandonné leur sert d’abri. « On ne fait pas charbon de tout bois », fait ressortir le quadragénaire. Les meilleurs, dit-il, sont les bois durs, comme l’eucalyptus, le longanier, le litchi ou encore le banian. Étant bûcheron également, ce père de famille dit choisir le bois qu’il transformera en charbon avec grand soin. « Plus le bois est dur, plus nous aurons du charbon de qualité », poursuit-il, avant d’entasser les morceaux de bois avec des gestes précis. Cela ne fait pourtant que six mois qu’il a embrassé ce métier. C’est lors d’une rencontre avec un ami que tout a commencé, relate-t-il. Depuis, le quotidien d’Anil est rythmé par la fabrication du charbon de bois, de la coupe à l’ensachage, en passant par la carbonisation. Notre interlocuteur dit connaître tous les rouages de ce métier qui représente, pour lui, toute sa vie. Toutefois, être charbonnier n’est pas de tout repos. Sa journée débute à 5 heures tapantes, malgré le temps glacial. Cette longue et éreintante journée ne prendra fin que lorsqu’il tombera de fatigue. « Le boulot est plus pénible en hiver qu’en été », fait ressortir Anil. Durant des jours, le bois destiné à la fabrication du charbon est abattu et amené à la force des épaules à un lieu précis, qui ne « doit rien au hasard », précise le charbonnier.

Quatre choses essentielles

[[{"type":"media","view_mode":"media_large","fid":"21383","attributes":{"class":"media-image alignleft wp-image-35595","typeof":"foaf:Image","style":"","width":"350","height":"694","alt":"charbonnier"}}]]« Pour faire du charbon de bois, il faut quatre choses : du bon bois, un terrain adapté, une bonne météo et un coup de main. Le montage de la meule est aussi très important. Nous devons d’abord nettoyer le terrain à l’aide d’outils, comme le râteau ou le râteau-peigne », explique Anil. Puis, il faut aplanir la surface avec une pioche et une pelle. « Nou grat later anba. Lendrwa bizin prop avan ki nou mont nou four », explique-t-il. Anil y enfonce ensuite un gros pieu, puis délimite une circonférence d’environ sept pas de diamètre avant de procéder au montage qui lui prend quasiment une semaine. « Apre, nou met bann dibwa banian ek nou kamoufle li ar bann rondin », lance notre interlocuteur. Les rondins sont ensuite empilés en rond dans le sens de la hauteur, légèrement inclinés vers le centre.

Construction du four

Le charbonnier répète l’opération étage par étage jusqu’au sommet du poteau. « Le four se compose de cercles de bois superposés et peut atteindre deux mètres à deux mètres cinquante. On doit alors se munir d’une échelle de bois pour atteindre le sommet et continuer l’élévation », ajoute Anil. La pyramide de bois est ensuite recouverte de paille et arrosée d’eau, avant qu’une couche de terre bien tassée ne recouvre le four. « Lorsque la cheminée a pris une forme de cloche renversée, on la recouvre d’une couche de paille trempée et de la terre bien tassée pour empêcher l’air d’arriver jusqu’aux bûches, isolant donc le bois pour que celui-ci cuise à l’étouffée. Même durant les grosses averses, le feu ne s’éteindra pas », affirme le charbonnier. Enfin, quelques trous sont percés dans la terre en guise de cheminée afin de pouvoir allumer le feu. « Nou alim li ek enn leponz ou linz ki nou finn met dife. » Une fois le feu allumé, le travail n’est pourtant pas fini. Il faut maintenant être constamment à proximité du four pour contrôler le processus de carbonisation. « C’est la raison pour laquelle nous restons sur place. Durant trois jours et trois nuits, nous ne devons pas quitter les lieux pour contrôler la cuisson du charbon. Cela, malgré les volutes de fumée, les moustiques, rats et chiens, entre autres », déplore Anil. La durée du processus de carbonisation dépendra du type de bois utilisé et de son temps de refroidissement. « Nous nous relayons toutes les deux heures, même la nuit », soutient le charbonnier. Pendant ce temps, le feu se propage peu à peu dans la meule, c’est là tout l’art du charbonnier, argue le quadragénaire. Il souligne également que c’est la couleur de la fumée qui indique le terme.

Prudence de mise

[[{"type":"media","view_mode":"media_large","fid":"21384","attributes":{"class":"media-image aligncenter size-full wp-image-35596","typeof":"foaf:Image","style":"","width":"1280","height":"768","alt":"charbon"}}]]« Au moment où le feu monte jusqu’au sommet de la cheminée, on la ferme avec une motte de terre en grimpant sur une échelle. Il nous faut être prudent, sinon nous risquons d’être engloutis par les flammes. Nous faisons aussi de petites ouvertures tout autour, avec un pique-feu, en commençant par le sommet. Petit à petit, le feu descend », signale Anil. Le bois brûle ainsi sans flamme, étouffé. Une fumée blanche s’échappe des ouvertures. Lorsqu’elle devient bleuâtre, cela veut dire que le charbon est fait. « Il est très important de fournir suffisamment d’oxygène pour favoriser la carbonisation. Il ne doit toutefois pas y avoir de flamme. C’est la raison pour laquelle une surveillance constante est primordiale », soutient le charbonnier. Il faut donc éviter que la charbonnière s’enflamme. « La prudence est de mise. Sirtou kan ena pli ek divan for. Parski ek move letan, dife la flanbe. Olie sarbon, nou gayn lasann. Ce enn gro laperte », révèle Anil. Par la suite, l’heure est à la destruction du four pour nos deux charbonniers. « Il faut tout d’abord laisser les braises se consumer avant de réduire les blocs de charbon en petits morceaux », dit-il.

350 à 400 sacs de charbon

Après avoir refroidi les braises avec de l’eau pendant une demi-heure, les deux hommes enlèvent le charbon de bois à l’aide d’un crochet en fer et utilisent un large râteau-peigne en métal pour l’étaler et le tamiser. Ils disent qu’il faut avoir l’œil pour éliminer le fumeron, soit les parties de bois qui ne sont pas totalement carbonisées. « Ces fumerons sont utilisés pour monter la meule », signalent-ils. Place maintenant à l’ensachage. « Nou rempli bann bal rafia ek sarbon. Apre, nou poz enn sak an plastik lao bal la pou empes sarbon sorti depi dan bal la. Answit, nou coud bal la ek difil rafia. Enn four donn nou ant 350 ek 400 bal », indique Anil Ramratia. Ces sacs, ajoute le charbonnier, sont ensuite embarqués dans un camion pour être livrés dans des grandes surfaces à travers le pays.

Aventure humaine

« Ce métier est fatigant et pénible, mais nous aimons notre travail », assurent les deux charbonniers. Rien ne les arrête. Qu’il pleuve ou qu’il vente, ils sont à pied d’œuvre toute la journée pour faire bouillir la marmite familiale. Ils le font aussi par passion. « Mo kontan mo metie. Mo ena enn lamour pou fer sa travay la. Être charbonnier me rapproche de la nature, où je peux passer des journées et des nuits entières sans problème », lance Anil avec le sourire. Pour Rishi et lui, travailler comme charbonnier est une « aventure humaine très chaleureuse ». Mais comment vivent-ils pendant tout un mois loin de leur maison et de leur confort ? « Ce n’est pas évident, certes. Nous n’avons ni dimanche, ni sorties. Le matin, nous enfourchons notre vélo pour aller acheter de quoi manger pour le petit-déjeuner. Pour le déjeuner et le dîner, c’est le propriétaire du chantier qui s’en charge », relate Anil. Et pour se laver, les deux hommes se dirigent vers la rivière pour se rafraîchir. Puis, après un mois passé sur le chantier, les charbonniers regagnent leur domicile, où ils se reposeront pendant deux semaines.

Le métier renaîtra-t-il de ses cendres ?

Beaucoup s’accordent à dire que le métier de charbonnier sombrera dans l’oubli dans un futur pas si lointain. « Bann zenes pa interese fer sa metie la. Li byen sagrinan », lance Anil, tristement. Il estime que les connaissances, techniques et secrets de ce métier mourront avec les derniers artisans du charbon actuellement en activité. Mais qu’à cela ne tienne, lui affirme qu’il continuera à l’exercer tant que le temps le lui permettra, car ce métier fait partie de sa vie.

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