Interview

Chandra Kumar Seepaul, directeur d’International Manning : «Nous sommes incapables de répondre à une demande de 3 000 postes chaque année»

Chandra Kumar Seepaul

Chaque année, des dizaines de Mauriciens prennent des emplois sur des bateaux de croisière, un secteur en plein essor.

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Mais d’autres offres d’emploi ne trouvent pas preneurs. La faute à un manque de formation adéquate, explique Chandra Kumar Seepaul, directeur  d’International Manning, une compagnie engagée dans le recrutement sur les bateaux de croisière et en formation professionnelle dans les métiers dans ce secteur.

« Au départ, notre offre ne concernait que des postes de cleaners, aujourd’hui, nous recrutons des ‘executives’ à tous les niveaux. »

Comment s’est porté le secteur du recrutement pour les croisières à Maurice en 2017 ?
Cela a été pire qu’en 2016. En fait, depuis ces dernières années, nous ne sommes plus capables de répondre à la demande. Chaque année, celle-ci ne fait que croître.

À quoi correspond cette situation ?
À l’absence de personnels qualifiés pour travailler sur les bateaux de croisière. Dans notre école de formation, nous inscrivons un maximum de jeunes, mais cela reste nettement insuffisant par rapport au nombre et la variété de postes disponibles sur les bateaux.

Quels sont les postes les plus prisés ?
Dans ce que l’on désigne comme les fast moving positions, il faut distinguer les métiers de cuisine, la boucherie, la pâtisserie, la boulange, puis la restauration avec des postes de serveurs, serveuses, barmen, entre autres. La demande est permanente dans ces postes. En fait, dans toutes les catégories, il existe 1  500 postes disponibles, l’éventail est large.

La formation est-elle particulière pour les métiers sur les bateaux de croisière ?
Oui, dans le sens où il faut mettre l’accent à la fois sur le niveau de l’anglais, la ponctualité et la bonne attitude, ces deux dernières exigences méritant tout un stage à elles-seules.

Pourquoi ?
Parce que le bon comportement n’est ni enseigné au sein de la famille, ni durant le parcours scolaire. Moi-même, j’assiste aux entrevues, ce que je vois parfois est le reflet de la société mauricienne. Je vois des jeunes dont le niveau d’anglais est exécrable et leur comportement inadéquat pour être au service des personnes de différentes nationalités et dont l’éducation est nettement supérieure à la nôtre.  Il me suffit de quelques secondes pour savoir si un jeune possède les aptitudes pour travailler sur les croisières. Quant à la ponctualité, c’est une autre paire de manches, c’est une problématique qui est inhérente à notre société, notre culture, nos rapports au monde du travail.

La faute à qui, à quoi ?
Le problème à Maurice, c’est que les jeunes sont biberonnés par les parents, qui font de leur mieux pour leur éviter de connaître les difficultés qu’ils ont, eux, éprouvées durant leur jeunesse. Mais cette attitude n’aide pas les jeunes dès lors qu’ils se retrouvent dans un milieu où ils doivent se débrouiller seuls. Cela se passe souvent dans le milieu des croisières. Il faut aussi former, selon les normes internationales, ce qui est une contrainte pour des jeunes, dont le niveau d’éducation est moyen.

À la suite d’une demande, j’ai crée un programme intitulé 'Cruiseship awareness' que j’ai développé devant les lycéens des collèges Friendship, Bhujoharry et St-Andrews. Je leur ai dit qu’il faut envisager les postes dans les croisières dans le long terme. Très souvent, ici, je les vois se tourner vers leurs parents pour chercher leur approbation, à ce moment, je leur dis qu’ils doivent être seuls à décider de leur avenir professionnel.

Dans notre école de formation, la première étape est le screening des candidats avant l’inscription. Nous leur expliquons qu’ils auront affaire à un nombre de croisiéristes qui varie entre 2 500 et 6 000 et quelque 174 ports qui figurent sur les itinéraires. Durant les interviews, on se rend compte que les candidats n’ont aucune idée de la vie sur un bateau de croisière. Mais, en général, après les stages de formation et un premier contrat de six mois, ils réussissent à s’initier à leur travail.

Qui sont les jeunes les plus attirés par les croisières ?
Ce sont surtout les filles, parce qu’il existe plus de postes pour elles.

Pourquoi cherche-t-on un job sur les bateaux de croisière ?
Celui qui y va cherche d’abord une expérience, ensuite c’est pour l’argent et enfin, s’agissant essentiellement des filles, c’est pour trouver un partenaire. De nombreux Mauriciens ont fait cette expérience avec bonheur et certaines compagnies permettent aux couples de travailler sur le même bateau et de partager la même cabine.

Comment est évalué le personnel mauricien parmi les autres nationalités ?
Il est très bien vu : pour deux raisons : d’abord à cause de son bilinguisme et ensuite en raison de l’image que Maurice renvoie comme un État sans problème, stable et paisible à tous les niveaux. C’est la raison pour laquelle l’ambassade américaine, qui est le plus gros employeur de notre compagnie, fait diligence lorsqu’il s’agit de nous délivrer des visas. Entre deux jours et une semaine, nous obtenons ces autorisations, alors que pour certains pays, l’attente peut durer trois mois.

Est-ce que les recrutements sont ouverts à tout le monde ?
Non. Par exemple, les personnes qui souffrent de diabète ou d’hypertension ne sont pas acceptées. Nous ne souhaitons pas qu’il leur arrive des complications en mer. Si d’autres en montrent des signes, nous leur offrons la possibilité de se faire traiter avant de venir se réinscrire.

Quels sont les facteurs qui ont permis à votre entreprise de devenir le recruteur no 1 à Maurice ?
Quand j’ai monté la boîte, en 2003, j’avais déjà une longue expérience dans le domaine des croisières. Mais, j’ai aussi écouté et observé la société mauricienne. Nous étions alors en
40e position au niveau mondial, aujourd’hui nous sommes 3e derrière les Philippines et l’Inde. Au départ, notre offre ne concernait que des postes de cleaners, aujourd’hui, nous recrutons des executives à tous les niveaux. C’est un signe de confiance, mais aussi une démonstration de la qualité de nos cours. Je n’ai jamais envisagé cette activité comme un business classique, je me suis investi dans le long terme. Même si ce classement nous réconforte, je me fais du souci quant à la disponibilité des emplois à Maurice.

Comment s’annonce 2018 ?
Je vous donne une vue de la situation : La Royal Carribean Cruises offre 60 000 postes d’ici à 2018 et, à Maurice nous ne sommes pas capables d’obtenir une bonne part de cette offre parce que nous n’avons pas suffisamment de personnes formées pour le travail dans les croisières. Mais, chez nous, on se prépare déjà à saisir ces opportunités.

Le problème vient de la politique du gouvernement qui n’a jamais aidé ce secteur à s’épanouir, il n’existe aucune collaboration de la part de l’École navale. Du coup, nous sommes contraints d’aller en Afrique pour répondre à la demande. Au Ghana, nous avons trouvé un partenaire pour ouvrir un centre de formation, en 2018. Nous sommes incapables de répondre à une demande de 3 000 postes chaque année nous n’arrivons même pas à former 500 cuisiniers sur une année, à Maurice.

 

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