Live News

Chagos : les enjeux économiques d’un retour sous souveraineté mauricienne

L’accord comporte plusieurs volets économiques majeurs susceptibles d’avoir un impact significatif à court, moyen et long terme sur l’économie mauricienne.

L’accord signé entre Maurice et le Royaume-Uni en mai 2025, reconnaissant la souveraineté de Maurice sur l’archipel des Chagos, offre des retombées économiques positives pour la République de Maurice à court, moyen et long terme, dans divers secteurs.

Publicité

Un accord bilatéral a été signé ce mois-ci entre la République de Maurice et le Royaume-Uni, reconnaissant la souveraineté de Maurice sur l’archipel des Chagos. Ce tournant diplomatique, bien qu’attendu depuis plusieurs décennies, marque le début d’une nouvelle phase de coopération économique et stratégique entre les deux pays. L’accord comporte plusieurs volets économiques majeurs susceptibles d’avoir un impact significatif à court, moyen et long terme sur l’économie mauricienne.

L’un des piliers de l’accord repose sur un engagement du Royaume-Uni à financer le développement mauricien sur une période de vingt-cinq ans. Ce soutien financier à long terme vise à renforcer les secteurs de l’éducation, de la santé, des infrastructures, de la formation professionnelle et du tourisme durable. En complément, un fonds fiduciaire a été mis en place pour les Chagossiens, destiné à soutenir des projets sociaux et économiques spécifiques.

Cette injection de capitaux arrive à un moment critique pour Maurice, confrontée à des défis structurels importants. Comme l’indique Amit Bakhirta, CEO de la société Anneau, les infrastructures nationales nécessitent une attention urgente : distribution d’eau, routes, gestion des déchets et installations portuaires. Ces investissements pourraient devenir des moteurs essentiels du développement économique national si les fonds sont gérés avec rigueur et transparence.

Un autre volet important de l’accord concerne la base militaire de Diego Garcia, actuellement louée aux États-Unis. Le Royaume-Uni s’engage à accorder une préférence aux travailleurs et aux entreprises mauriciennes dans les contrats liés à son fonctionnement.

Cette décision ouvre des perspectives concrètes dans les secteurs du BTP, de la logistique, de la sécurité ou encore des technologies de l’information. Toutefois, pour que les retombées soient tangibles, plusieurs mécanismes devront être mis en place : un cadre réglementaire clair, une politique de formation ciblée, ainsi que des appels d’offres transparents assurant un accès équitable aux petites et moyennes entreprises locales.

Amit Bakhirta insiste sur l’importance d’un modèle économique performant encadré par une cellule spécialisée. Selon lui, cette cellule devrait fonctionner indépendamment des changements politiques, en développant une expertise institutionnelle à long terme sur la gestion des îles Chagos.

Ressources maritimes

En récupérant sa souveraineté sur les eaux entourant les Chagos, Maurice regagne le contrôle sur ses ressources halieutiques. Ce qui ouvre, en théorie, la voie à une relance du secteur de la pêche, notamment à travers des projets d’aquaculture durable. Toutefois, Amit Bakhirta émet une réserve. « Nous n’avons même pas optimisé nos propres ressources marines existantes. » Il estime donc que les bénéfices de ce retour de contrôle ne seront visibles qu’à long terme, à condition d’une refonte stratégique du secteur.

Pour éviter que ce potentiel reste théorique, le gouvernement devra envisager une série de réformes : renforcement de la surveillance maritime contre la pêche illégale, amélioration de la flotte de pêche, partenariats publics-privés et incitations fiscales ciblées pour les investisseurs du secteur.

L’accord prévoit également une coopération sur la création d’une zone marine protégée autour des îles. C’est une opportunité pour positionner Maurice comme un acteur régional en matière de recherche scientifique et de préservation de la biodiversité.

Le développement de l’écotourisme dans l’archipel, en particulier dans un cadre contrôlé, pourrait générer des emplois verts tout en renforçant l’image de Maurice comme destination responsable. Néanmoins, la réussite de ce segment dépendra d’un équilibre subtil entre conservation environnementale et activités économiques.

L’accord permet aussi à Maurice d’exercer des fonctions souveraines sur les Chagos, comme l’émission de timbres, de pièces de monnaie et la gestion de l’état civil. Si ces aspects semblent avant tout symboliques, ils ouvrent des perspectives pour le développement de services postaux, électroniques et financiers depuis les îles. À long terme, la présence économique mauricienne dans l’océan Indien sera renforcée.

Coopération régionale et sécurité maritime

Enfin, l’aspect stratégique de la position géographique des Chagos n’est pas négligeable. La coopération accrue entre Maurice et le Royaume-Uni sur la sécurité maritime – lutte contre la piraterie, la contrebande, le trafic humain – renforce la position géopolitique de l’île. Les retombées indirectes pourraient se traduire par une augmentation du trafic maritime sécurisé, stimulant ainsi les activités portuaires de Maurice.

Par ailleurs, de l’avis d’un économiste, pour que les retombées économiques de l’accord sur les Chagos se traduisent concrètement dans la vie des Mauriciens, plusieurs conditions structurantes devront être réunies. D’abord, la transparence dans la gestion des fonds s’impose comme un impératif. La création d’organismes de suivi indépendants permettrait de garantir une utilisation rigoureuse et équitable des ressources accordées, en particulier celles du fonds fiduciaire.

Parallèlement, un encadrement légal est indispensable. Des règles claires sur les appels d’offres, les partenariats public-privé et les zones économiques spéciales garantiront une concurrence saine et une redistribution équitable des opportunités, surtout pour les PME locales.

Le renforcement des compétences figure également parmi les priorités. Des programmes de formation ciblés devront accompagner la montée en puissance des secteurs concernés, notamment la construction, la logistique, la pêche et les services technologiques.

Enfin, une planification à long terme est essentielle. La mise en place d’un comité des Chagos, doté d’un mandat clair, permettra de coordonner les actions et d’assurer une cohérence entre développement économique, protection écologique et retombées sociales durables. Ce cadre doit transcender les clivages politiques pour servir une vision nationale partagée.

Création d’emploi pour les Mauriciens 

Des contrats seront attribués aux Mauriciens pour le soutien aux opérations à la base militaire de Diego Garcia. Le Royaume-Uni conservera une liberté de choix en ce qui concerne les employés civils, les sous-traitants, ainsi que les sources d’équipement, de matériel, de fournitures et de personnel. Toutefois, cet exercice s’accompagne d’engagements clairs en faveur de la participation mauricienne. Selon les dispositions convenues, deux principes fondamentaux encadrent l’attribution des contrats liés à la base. D’abord, le Royaume-Uni s’engage à employer des ressortissants mauriciens qualifiés en tant que sous-traitants. Deuxièmement, une préférence sera accordée aux entreprises mauriciennes qualifiées lors de la contractualisation de services, d’équipements, de matériel ou de fournitures.

Haniff Peerun, président du Mauritius Labour Congress, se dit favorable à la décision de privilégier les travailleurs et les entreprises mauriciennes pour les travaux à la base militaire. « Avec un taux de chômage encore préoccupant à Maurice, c’est une opportunité pour les jeunes en quête d’aventures à l’étranger », déclare-t-il. Cependant, il souligne que des Mauriciens travaillent déjà aux Chagos dans des conditions précaires. « Je connais des compatriotes qui y exercent comme domestiques, jardiniers, entre autres, et qui se plaignent de mauvaises conditions d’emploi. Certains sont confrontés à des actes de discrimination raciale de la part des Américains », déplore-t-il.

Dans cette optique, Haniff Peerun estime qu’un accord clair entre les deux gouvernements est indispensable pour garantir le respect des droits des travailleurs mauriciens.

Développement de l’écotourisme

La collaboration entre les deux pays permettra à Maurice de créer et de gérer une zone marine protégée dans l’archipel des Chagos. Ce qui devrait favoriser le développement de projets d’écotourisme, de recherche scientifique et de préservation de la biodiversité.

Ajay Jhurry, président de l’Association of Tourism Operators, souligne qu’il existe un fort potentiel pour développer l’écotourisme à Maurice. Toutefois, il précise qu’il ne s’agit pas d’un projet réalisable à court terme. « Il faut une approche holistique et s’assurer que toutes les conditions pour la pratique de l’écotourisme soient réunies. » Selon lui, la demande pour les activités écotouristiques est en constante augmentation, notamment de la part des visiteurs étrangers. Il cite Rodrigues comme un exemple de réussite dans ce domaine. « Les touristes viennent d’abord à Maurice, puis se rendent à Rodrigues pour profiter d’activités liées à l’écotourisme. Ce qui représente une extension de l’offre touristique mauricienne », explique-t-il. 

Dans le même esprit, Ajay Jhurry estime que l’écotourisme dans les archipels des Chagos devrait également être envisagé comme une extension de la destination principale, à savoir Maurice. « Un plan de développement durable et responsable doit être mis en place pour exploiter ce potentiel de manière réfléchie. » Il suggère que les archipels des Chagos soient intégrés aux circuits de croisières interîles. « Ce serait une destination touristique supplémentaire et elle contribuerait à accroître les recettes du secteur touristique mauricien. » Il ajoute que le développement de l’écotourisme pourrait favoriser la création de nouveaux emplois.

Commerce maritime et les services portuaires

L’accord signé entre les deux pays, la coopération sur la sécurité maritime dans l’océan Indien (lutte contre la piraterie, la contrebande, etc.) devrait renforcer la position stratégique de Maurice dans la région, avec des implications indirectes sur le commerce maritime et les services portuaires.

Le secrétaire général de la Freeport Operators Association, Afzal Delbar, estime que les compagnies maritimes disposent déjà de routes bien établies. Et il doute que l’accord entre Maurice et le Royaume-Uni contribue à l’ouverture de nouvelles lignes. « Je ne vois pas comment cet accord pourrait influencer le développement de nouvelles routes maritimes. À mon avis, il n’aura pas d’impact significatif sur le commerce international de Maurice avec d’autres pays. »

En revanche, il est d’avis que les développements des infrastructures et économiques à Diego Garcia ainsi que sur les autres îles de l’archipel des Chagos pourraient entraîner une hausse de la consommation. « Cette situation générera une demande accrue pour les services portuaires à Maurice, puisqu’il faudra approvisionner les Chagossiens ainsi que les Mauriciens travaillant sur place en denrées alimentaires et en produits de première nécessité », indique-t-il. Il compare cette situation à celle des approvisionnements réguliers pour Rodrigues et les autres îles de l’océan Indien. « Il est impératif que Maurice devienne et reste le principal, voire l’unique fournisseur logistique pour les îles Chagos. Il ne doit pas y avoir de concurrents », insiste Afzal Delbar.

Il estime que la signature de cet accord renforce la position stratégique de Maurice. « L’image de Maurice en tant que pôle clé dans l’océan Indien avait quelque peu pâli ces derniers temps. Aujourd’hui, grâce à cet accord, nous consolidons notre position et regagnons en visibilité. »

partenaires commerciaux

 

 

Notre service WhatsApp. Vous êtes témoins d`un événement d`actualité ou d`une scène insolite? Envoyez-nous vos photos ou vidéos sur le 5 259 82 00 !