
Ce mardi 9 septembre, la House of Commons entame la deuxième lecture du projet de loi sur la rétrocession de l’archipel des Chagos à Maurice, entamant ainsi possiblement la dernière phase du processus de restitution. Le British Indian Ocean Territory Bill 2024-25 a été introduit le 15 juillet dernier par le gouvernement travailliste de sir Keir Starmer, Premier ministre britannique.
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Ce texte vise à transposer en droit interne les dispositions du traité signé le 22 mai dernier avec Maurice, mettant fin à un litige de souveraineté vieux de plusieurs décennies sur l’archipel des Chagos. Ce débat parlementaire intervient dans un contexte géopolitique tendu, où les enjeux stratégiques, financiers et humanitaires se télescopent, sans pour autant garantir une issue rapide, compte tenu des oppositions partisanes et des recours judiciaires en suspens.
Le British Indian Ocean Territory (BIOT), créé en 1965 par le détachement des Chagos de Maurice – alors colonie britannique –, est l’un des 14 territoires d’outre-mer du Royaume-Uni. Cet archipel isolé dans l’océan Indien, composé d’une cinquantaine d’îles, abrite depuis 1971 une base militaire conjointe américano-britannique sur Diego Garcia, la plus grande île. Cette installation joue un rôle clé dans les opérations militaires occidentales, notamment pour les communications satellitaires et les missions en Asie et au Moyen-Orient. Cependant, le BIOT est marqué par un passé controversé : entre 1968 et 1973, les autorités britanniques ont expulsé environ 2 000 Chagossiens pour faire place à la base, une décision condamnée par des instances internationales comme la Cour internationale de justice en 2019.
Le traité de mai 2025, fruit de négociations bilatérales soutenues par les États-Unis, reconnaît la souveraineté mauricienne sur l’ensemble de l’archipel tout en préservant les intérêts militaires du Royaume-Uni. Il met un terme à un conflit diplomatique persistant, « évitant potentiellement de nouvelles sanctions judiciaires internationales qui pourraient compromettre l’exploitation de la base », indique la note explicative envoyée aux Parlementaires britanniques.
Trois points principaux
Selon le gouvernement Starmer, cet accord est « vital » pour la sécurité nationale, garantissant un accès à long terme à Diego Garcia face à la montée en puissance chinoise dans la région. Le texte du projet de loi, composé de six clauses, adapte le droit britannique à ces changements : il dissout le BIOT, maintient l’administration britannique de Diego Garcia pour une période initiale de 99 ans, et révise les dispositions relatives à la citoyenneté pour les descendants chagossiens.
Parmi les mesures phares, la clause 2 met fin à la souveraineté britannique sur le BIOT, révoquant l’ordre constitutionnel de 2004 et supprimant les références au territoire dans la loi sur la nationalité britannique de 1981. La clause 3 sauvegarde les lois existantes applicables au BIOT et les transpose à Diego Garcia seul, excluant toutefois le droit de la nationalité. La clause 4 préserve un mécanisme d’enregistrement pour que les descendants chagossiens acquièrent la pleine citoyenneté britannique, sans passer par la citoyenneté des territoires d’outre-mer, devenue obsolète avec la dissolution du BIOT. Enfin, la clause 5 autorise des ordonnances en conseil pour implémenter le traité, y compris des modifications législatives, sous réserve d’un contrôle parlementaire négatif pour les changements substantiels.
Le document explicatif précise que le Premier ministre Keir Starmer a justifié cet accord en trois points principaux : sécuriser la base à long terme, éviter un jugement international contraignant qui pourrait perturber ses opérations, et empêcher l’implantation d’autres puissances, comme la Chine, dans l’archipel environnant. Le gouvernement met en avant le soutien américain, soulignant que les coûts – inférieurs à 0,2 % du budget annuel de la défense – s’inscrivent dans une pratique courante pour les bases outre-mer..
Le « research brief » destiné aux parlementaires britanniques note que les réactions sont contrastées au niveau de la classe politique britannique. L’opposition conservatrice, menée par Kemi Badenoch, dénonce un accord « inacceptable », estimant les paiements à Maurice exorbitants et craignant une vulnérabilité stratégique due aux liens de Port-Louis avec Pékin.
Priti Patel, ancienne ministre des Affaires étrangères, a présenté, en juin, un projet de loi alternatif exigeant un vote parlementaire sur tout paiement public lié au BIOT et une consultation des Chagossiens britanniques – un texte symbolique, peu susceptible d’aboutir. Les libéraux-démocrates soutiennent le respect du droit international mais réclament plus de transparence sur les finances et des garanties que l’utilisation de la base par les États-Unis respecte les principes britanniques.
Du côté des Chagossiens, les avis divergent. Des groupes comme Chagossian Voices, avec Bernadette Dugasse et Bertrice Pompe, ont tenté en vain d’obtenir une injonction judiciaire contre l’accord, plaidant pour l’autodétermination et un retour intégral, y compris sur Diego Garcia. Peter Lamb, député travailliste de Crawley (où réside une importante communauté chagossienne), regrette l’absence de consultation et l’incertitude sur les plans de réinstallation mauriciens. À l’inverse, Olivier Bancoult, leader du Chagos Refugees Group à Maurice, salue un « jour historique » offrant enfin la possibilité de retour sur les îles extérieures. Un panel d’experts onusiens a critiqué en juin l’accord pour son défaut de garanties sur les droits des Chagossiens, appelant à sa suspension et à une renégociation.
Le scrutin parlementaire a déjà fait l’objet d’un examen minutieux. La commission des accords internationaux de la Chambre des lords, dans un rapport de juin, qualifie l’accord de « compromis imparfait », notant les coûts élevés, l’absence de garanties pour le retour des Chagossiens et l’extension au-delà des 99 ans. Elle souligne toutefois les risques d’un statu quo, potentiellement fatal pour la base. Le 30 juin, les lords ont débattu deux motions contre la ratification : l’une conservatrice, rejetée par vote, et l’autre libérale-démocrate, retirée après des engagements gouvernementaux sur un rapport factuel concernant la réinstallation et un fonds fiduciaire pour les Chagossiens. La commission des affaires étrangères des communes a auditionné des ministres en juin, confirmant que le comité d’examen du projet de loi se tiendrait probablement en plénière pour une large transparence.
Ce débat de deuxième lecture pourrait être décisif, avec des amendements attendus sur les aspects financiers et humanitaires. Si le gouvernement dispose d’une majorité confortable, les critiques internes au Labour et les pressions internationales pourraient compliquer le processus.
Principales dispositions du texte de loi : un traité qui pèse Rs 212 milliards sur 99 ans
Voici les sept points capitaux du texte de loi qui sera débattu ce mardi par les parlementaires britanniques :
- Le projet de loi devant la Chambre des communes indique que le Royaume-Uni versera à Maurice une moyenne annuelle de 101 millions de livres sterling, Rs 6,9 milliards selon le taux de change actuel, pour un total d’environ 3,4 milliards de livres (Rs 212 milliards) sur 99 ans (selon le document officiel qui considère plusieurs variables). Cette estimation, vérifiée par le département des actuaires du gouvernement britannique, représente un coût significatif pour le contribuable britannique, équivalent à moins de 0,2 % du budget défense annuel, mais critiqué comme excessif par l’opposition.
- Maurice exerce la souveraineté sur l’ensemble de l’archipel des Chagos.
- Le Royaume-Uni conserve l’autorité sur la base militaire de Diego Garcia, Maurice autorisant l’accès, la maintenance et les investissements américains et britanniques pour une période initiale de 99 ans.
- Cette période de 99 ans peut être prolongée de 40 ans supplémentaires si les deux parties y consentent, et renouvelée par la suite.
- Maurice s’engage à ne pas autoriser d’autres puissances à utiliser les îles extérieures sans l’accord du Royaume-Uni.
- Maurice est libre d’organiser la réinstallation des Chagossiens sur toutes les îles, sauf Diego Garcia.
- Maurice établira une zone marine protégée, avec le soutien du Royaume-Uni, pour préserver l’environnement.

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