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Ces jeunes que la société pousse derrière les barreaux

Plus de la moitié des détenus dans les prisons mauriciennes sont âgés entre 18 et 30 ans.

Ils ont moins de 30 ans et représentent plus de la moitié de la population carcérale. Derrière ces parcours cabossés, des enfances brisées, des écoles qui décrochent avant eux, et des familles en détresse. Face à la récidive, des voix s’élèvent pour réclamer une réinsertion repensée : éducateurs de rue, mentorat, soutien psychologique, formation… Car offrir une seconde chance à ces jeunes, c’est protéger toute la société.

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Constat édifiant. À Maurice, plus d’un détenu sur deux a entre 18 et 30 ans. Et loin des clichés, « nous rencontrons aujourd’hui des jeunes issus de tous les milieux sociaux », observe Rebecca Russie, Head of Programme de Kinouété. Soulignant l’évolution du profil des jeunes détenus au fil des années, elle prévient : désormais, personne n’est véritablement à l’abri de la prison.

Derrière ce chiffre, c’est une crise silencieuse qui se joue : celle d’une jeunesse en rupture, happée par un engrenage de délinquance. Échec scolaire, familles fragilisées, drogues synthétiques, influence des pairs : les causes sont multiples. Pourtant, des initiatives comme « Inspir Mwa » (voir plus loin) ou les formations professionnelles montrent qu’il est possible de briser ce cycle. Alors pourquoi tant de jeunes finissent-ils derrière les barreaux ? Et surtout, comment leur offrir une seconde chance ?

En criminologie, un concept universel intrigue : la fameuse courbe âge-crime. « Lorsqu’on trace un graphique des taux globaux de criminalité en fonction de l’âge, un schéma presque immuable apparaît », explique Preetee Gopaul, directrice de l’ONG Not a Number. L’activité criminelle connaît un pic fulgurant au milieu de l’adolescence avant de décroître nettement dès les débuts de l’âge adulte.

Les raisons ? « Ce pic pourrait être lié à des changements biologiques que traversent les jeunes à cette étape de leur vie – les bouleversements hormonaux, par exemple », précise-t-elle. S’y ajoutent des facteurs sociaux et environnementaux : familles instables, fréquentation de pairs déviants, recherche de sensations fortes. Elle insiste : « Il est essentiel de souligner que les raisons pour lesquelles cette courbe conserve la même forme demeurent débattues. »

À Maurice, les données de Statistics Mauritius confirment la tendance. Entre 2021 et 2022, le nombre de jeunes adultes condamnés et admis à la prison a augmenté, avant de légèrement reculer en 2023 (voir graphique). « Nous ne connaissons pas les raisons derrière cette situation. Cela reste à déterminer », indique Preetee Gopaul.

Ce qui est certain, c’est que la bascule vers la délinquance ne tient souvent qu’à un fil. Imran Dhannoo, du Centre Idrice Goomany, décrit un enchevêtrement de facteurs : faible estime de soi, recherche de plaisir, compétences sociales limitées, familles éclatées, absence du père, défaut de supervision, échec scolaire. Le tout dans un environnement où pauvreté et pairs asociaux précipitent la marginalisation.

L’incarcération, la réponse privilégiée

Sur le terrain, Rebecca Russie voit cette réalité au quotidien : au cœur de foyers brisés, l’autorité parentale s’efface, laissant place à l’attrait de l’argent facile, des contenus toxiques et à l’abandon d’activités structurantes comme le sport. « Il est rare de voir le fils d’un professionnel en prison, mais plus courant d’y croiser celui d’une employée de maison ou d’un simple travailleur », note Imran Dhannoo. Or si les jeunes des milieux modestes sont les plus touchés, la délinquance ne connaît plus de frontières sociales. « Les cas ne se limitent plus aux familles en situation de précarité », rappelle Rebecca Russie. 

À ce tableau s’ajoute un fléau : la drogue. L’essor des substances synthétiques fragilise ces jeunes déjà vulnérables. « Ces substances ont des effets dévastateurs sur la santé mentale et le discernement des jeunes, les entraînant souvent vers des actes violents », explique Rebecca Russie. Elle alerte sur « l’accessibilité préoccupante » aux drogues, qui expose les jeunes à des parcours de rupture. 

Imran Dhannoo souligne le lien direct entre consommation de drogues et montée des délits : vols, infractions liées aux stupéfiants, violences. Il attire l’attention sur les jeunes incarcérés faute de pouvoir payer des amendes liées à ces infractions.

Pour le travailleur social, l’absence d’une politique nationale claire sur les drogues aggrave la situation : « Il faut à tout prix éviter la prison aux consommateurs de drogues. Beaucoup sont des récidivistes, et la question se pose sur l’efficacité de la prison à les réhabiliter. » Il invite à évaluer le Drug Users Assessment Panel lancé en 2024 pour aider les usagers à éviter la prison.

Rebecca Russie va plus loin : la situation révèle des lacunes profondes du système éducatif et judiciaire. « Le système éducatif devrait repérer et accompagner les élèves vulnérables avant qu’ils ne décrochent. Les établissements sont encore mal préparés à faire face à l’indiscipline, aux violences et à la détresse psychologique des jeunes. » 

Elle regrette que l’incarcération reste trop souvent la réponse privilégiée : « Un changement structurel est nécessaire, incluant une justice orientée vers la réparation plutôt que la punition, et une stratégie de prévention impliquant écoles, familles et communauté. »

Imran Dhannoo rappelle le rôle des « 4 P » : Parents, Pédagogues, Prêtres, Pays. « Une société malade est d’abord une société de familles malades. Le rôle des parents est primordial dans la transmission des valeurs », souligne-t-il. Mais ces rôles s’effritent dans une société à deux vitesses, où les familles s’écroulent sous le poids économique.

Il s’inquiète d’une école qui, selon lui, se concentre trop sur la réussite aux examens : « Elle oublie sa responsabilité sacrée à former des humains de demain pétris de compassion pour aider les autres et la planète. » Il plaide pour une politique récréative et sportive comme soupape pour la jeunesse : « Ne dit-on pas que “an idle mind is the devil’s workshop” ? » Il appelle enfin à des autorités qui encouragent la discrimination positive envers les personnes vivant en marge.

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