Interview

Cédric de Spéville, Président de Business Mauritius : «L’absence de règlementation du financement politique est une honte»

Cédric de Spéville

Si le monde des affaires joue la carte de la transparence en matière de dons aux partis, les bénéficiaires sont tenus d’assurer leurs responsabilités. Pour Cédric de Spéville, président de Business Mauritius, les partis devraient être reconnus comme des entités légales. Le Political Financing Bill, dit-il, est un important pas en avant, un cadre légal qu'on pourrait améliorer à l’avenir.

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La semaine est dominée par les débats et divergences des leaders sur la forme du Political Financing Bill. Est-ce que ce texte de loi, dans sa forme actuelle, englobe la requête du monde des affaires ? Faudrait-t-elle l’amender, si besoin est ?
Comme écrit en introduction du texte de loi, l’objectif est de “provide for accountability and transparency …. with a view to preventing undue influence and corruption”.

Pour le côté « accountability and transparency », ça aurait été bien que les partis politiques soient reconnus comme des entités légales, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Pour le côté « undue influence and corruption», Business Mauritius a aussi proposé que la contribution par compagnie ou par groupe soit limitée à, par exemple, 5% des dépenses totales d’un parti pour les élections.

Ceci dit, il faut bien garder en tête qu’aujourd’hui c’est le vide total concernant la régulation du financement des partis politiques.  Cette première ébauche est donc un pas appréciable dans la direction de la transparence. 

Quelle est votre proposition pour une meilleure transparence ?
Comme Business Mauritius l’a toujours dit, étoffer la bonne gouvernance à tous les niveaux est extrêmement important pour notre pays, et dans ce contexte le Political Financing Bill est une importante avancée.

Est-ce qu’une telle législation mettrait Maurice dans une nouvelle ligue de pays en terme de financement des partis politiques ?
Aujourd’hui, nous ne sommes même pas dans une ligue concernant ce sujet ! On est bien loin, comparé à d’autres thématiques où Maurice est dans la ligue des meilleurs pays telle que le Doing Business Report ou le Economic Freedom Index. Nous n’avons pas le droit de ne pas avancer.

Le Political Financing Bill est un pas appréciable dans la direction de la transparence»

Quelle est la relation entre le secteur privé et les politiciens en termes de financement des partis politiques ? Est-ce une relation qui se construit dans le temps ou les politiciens n’apparaissent qu’en période électorale ?
Business Mauritius a toujours encouragé qu’on ait recours aux Implementation Guidelines sur le Integrity Reporting comme mentionné dans le National Code of Corporate Governance for Companies. Ces guidelines recommandent aux entreprises de publier dans leurs bilans financiers annuels le montant donné aux formations politiques.

Pour le citoyen lambda, on associe le financement à une forme de corruption, une faveur que les politiques devront rendre pareil après leur élection. Est-ce là une vision trop réductrice des liens entre pouvoirs politique et économiques ?
Partons d’abord d’une évidence : le fonctionnement des partis politiques, ainsi que les dépenses en période d’élections coûtent de l’argent (certainement beaucoup trop aujourd’hui d’ailleurs…). Cet argent doit venir de quelque part. Aujourd’hui, sans cadre légal, tout est possible, y compris des sources de financement douteuses avec objectif d’influence.

Business Mauritius dit 2 choses : 1. Forcer la transparence: d’où vient l’argent ? où va-t-il ? comment est-il dépensé ? et 2. Mettre des limites : montant des dépenses maximal, limite en pourcentage des dépenses totales des partis (ex. 5%) pour éviter que des groupes ou des individus deviennent les bailleurs de fonds principaux (« undue influence ») de tel ou tel parti ou candidat.

Dans la même ligne, il y a une perception que le secteur privé cherche tout le temps des faveurs. Vos commentaires.

Le développement des piliers de l’économie mauricienne a été fait grâce au partenariat public-privé. Il s’agit surtout de s’assurer qu’aujourd’hui nous travaillons ensemble sur une vision commune pour le développement du pays. La position de Business Mauritius a toujours été pour l’avancement du pays d’une façon durable et inclusive.  Nos prises de positions sont basées sur des convictions fortes, pas sur des sautes d’humeur à court terme.

Ne serait-il pas temps que toute entreprise ayant un certain chiffre d’affaires et de la notoriété sur la place dévoile chaque année le montant accordée aux politiques ? Est-ce déjà la norme ?
Comme je l’ai dit, nous encourageons les entreprises à avoir recours aux recommandations du Code of Corporate Governance. Aujourd’hui, les grands groupes en font mention dans leur bilan annuel.

Ce que nous disons c’est que cela ne suffit pas. Il faut « boucler la boucle » : forcer ceux qui donnent à être transparents sans la responsabilité de ceux qui reçoivent n’a aucun sens. Il faut bien pouvoir comparer les montants des deux côtés pour savoir où le problème éventuel se situe.

Seriez-vous en faveur de détails précis sur le financement en terme de montant alloué à chaque partie ?
Dans l’environnement actuel, ça me parait totalement utopique. Je pense que certains donateurs seraient prêts à le faire lorsqu’en tant que pays nous aurons atteint une certaine maturité sur le sujet. Je le répète, on part de zéro… En tant que Mauriciens, nous pouvons être fiers de beaucoup de choses que nous avons réalisées au fil des ans depuis l’indépendance. Par contre, l’absence de règlementation du financement des partis politiques est une honte.

Commençons quelque part… Et nous aurons au moins une base pour continuer de nous améliorer à l’avenir.

Vous conviendrez que le financement pourrait prendre d’autres formes : produits alimentaires, bouteilles d’eau, entre autres. Seriez-vous en faveur d’une comptabilisation de ces dépenses ?
Tout-à-fait. Business Mauritius a recommandé que les contributions en nature soient régulées et cela est déjà inclus dans la proposition du gouvernement – sinon ce serait vraiment une faille grotesque.

Le pays est en mode pré-électoral. Est-ce que c’est palpable au niveau des affaires?
Il existe le principe fondamental de la continuité de l’État, qui à mon sens a toujours été appliqué à Maurice. En plus, c’est clair que nos clients n’attendent pas et que le monde continue de tourner même si Maurice est en période pré-électorale. Notre travail ne peut s’arrêter car nous avons nos propres objectifs et contraintes économiques. Cela dit, il est de notoriété qu’en cette période spéciale il peut avoir un certain attentisme pour les gros projets d’investissements.

Dans cette ligne droite finale avant l’échéance électorale, vous recevez déjà des SMS, messages sur WhatsApp pour des appels à contribution ?

Rien reçu de mon côté.

Mais je souhaiterais ajouter que la qualité de notre gouvernance reste l’élément déterminant pour une croissance pérenne et inclusive de Maurice. Le sujet est trop important pour ne pas agir. Mettons le pied à l’étrier, même s’il y a des imperfections. Il sera toujours temps d’apporter des corrections en cours de route.

 

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