Interview

Cassam Uteem: «On trouve des extrémistes dans la plupart des religions»

L’ancien président de la République revient sur l’affaire des coups de feu tirés sur l’ambassade de France en début de semaine.

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Sur Radio Plus mardi, vous demandiez que les incidents de la rue St Georges soient pris au sérieux, mais disiez de ne pas tirer de conclusions hâtives. Quelles conclusions hâtives aurait-on pu tirer ? Ces incidents doivent être pris au sérieux parce qu’ils représentent un cocktail potentiellement dangereux et explosif pour notre pays. Il y a eu des graffitis faisant l’apologie de Daech et des coups de feu aux petites heures du matin visant une ambassade étrangère et un hôtel par des individus ‘encagoulés’. Ces incidents ne peuvent être considérés ou traités comme un simple fait divers. Toutefois, en tirer des conclusions hâtives comporterait les risques que celles-ci soient erronées, créant alors des tensions inutiles au sein de notre société, avec des répercussions négatives sur notre industrie touristique en particulier.

Pensez-vous qu’une attention disproportionnée a été donnée à cette affaire ? Absolument pas. Je trouve, au contraire, que les autorités ont jusqu’ici fait montre d’un sens des responsabilités tout à fait louable et ont agi avec circonspection, de façon très mesurée. La presse a aussi été à la hauteur de notre attente : informer sans tomber dans le sensationnalisme ou la spéculation.
[blockquote]« Les éducateurs doivent promouvoir la tolérance, le respect et le pluralisme dans nos écoles. » [/blockquote]

Comment en arrive-t-on à ce que des malfrats tirent sur une ambassade et peignent des graffitis faisant l’apologie de l’état islamique ? Ce que je vais m’aventurer à affirmer à ce stade, c’est que ces actes sont l’œuvre d’inconscients, d’irresponsables ou d’illuminés. Il faut attendre pour connaître leur identité. Ne veulent-ils pas précisément inciter la population à donner une interprétation précise à leur geste ? Ce sont des gestes provocateurs et leurs auteurs, dont la motivation n’est connue que d’eux seuls,  jouent avec le feu. Ce sont souvent de tels incidents qui provoquent l’embrasement d’un pays multiethnique et multiconfessionnel jusque-là paisible. Reconnaît-on suffisamment la sagesse de la population qui, malgré divers incidents pouvant troubler la paix sociale, n’a pas laissé cours à l’émotion ? Notre vouloir-vivre ensemble a jusqu’ici eu le dessus sur toute tentative de déstabilisation et de confrontation violente entre les différentes composantes de notre société. Toutefois, la paix sociale dans un pays pluriel n’est jamais totalement et définitivement acquise. Elle doit être cultivée et la société continuellement nourrie. (L’Anglais dirait nurtured. ) Les Mauriciens savent très bien que, des fois, une étincelle suffit à faire flamber tout un champ de canne, fertilisé et fructifié autrefois grâce à la sueur de nos ancêtres, qui nous ont légué les valeurs universelles nous permettant de construire une société respectueuse et riche de ses différences. Toutes religions confondues, est-ce que le repli identitaire, pouvant des fois aller jusqu’à la radicalisation et l’extrémisme religieux, est le plus gros danger auquel le pays aura à faire face dans le futur proche ? Comme vous le soulignez, la radicalisation et l’extrémisme ne sont l’apanage d’aucune communauté particulière. On trouve des extrémistes dans la plupart des religions du monde. Aucun pays, y compris le nôtre, n’est à l’abri. Là où il devient dangereux et met à mal notre vie sociale harmonieuse, c’est quand l’extrémisme prend une tournure violente. La religion n’est pas, loin de là, le seul facteur expliquant la montée de la tentation radicale ou l’extrémisme violent. Aux motivations d’ordre religieux s’ajoutent celles d’ordre socio-économique, politique et ethnique associé aux identités. La religion n’est jamais une entité monolithique. Elle peut parfois approfondir les conflits, mais elle peut également être une force d’entente et de paix. Aucune des traditions religieuses n’est, en elle-même, responsable de l’extrémisme violent. Cependant, les chefs religieux et les idéologues ont la responsabilité de se comporter en role models, de promouvoir le dialogue interreligieux – afin de mieux se connaître, s’apprécier et éviter ce qu’on appelle le repli identitaire – et de s’engager auprès des jeunes désœuvrés, souvent marginalisés et facilement influençables, pour les mettre en garde contre les interprétations tendancieuses ou erronées de certains textes sacrés. Comment se protéger et protéger le pays de la tentation radicale ? C’est tout un programme politico-socio-économique, avec pour objectif de prévenir l’extrémisme violent, qu’il nous faut mettre en œuvre. Il s’agit d’abord d’une volonté politique de tous les leaders d’assurer les droits de tous indistinctement. Il faut accorder à chaque individu, indépendamment de sa communauté, un accès égal aux opportunités. Combattre la pauvreté est un impératif moral, même s’il n’existe aucun lien de cause à effet entre la pauvreté et l’extrémisme violent. Toutefois, l’exclusion systématique est cause d’injustice, d’humiliation et de traitement inhumain. Elle crée un terreau fertile à l’émergence de cette violence. Les éducateurs doivent promouvoir la tolérance, le respect et le pluralisme dans nos écoles. Le dialogue et la coopération doivent être encouragés. Les conflits entre individus ou groupes d’individus, lorsqu’ils se produisent, doivent être rapidement résolus avant qu’ils ne dégénèrent en confrontations intercommunautaires. Le dialogue interreligieux doit être institutionnalisé et les dirigeants politiques doivent s’assurer que les mesures de sécurité auxquelles ils ont recours répondent aux critères démocratiques et encouragent à long terme, une société où règnent la cohésion, la paix et l’unité. En même temps, ne doit-on pas craindre les conséquences : une obsession sécuritaire et le vote de lois liberticides ? Nous avons déjà la Prevention of Terrorism Act (PoTA), à laquelle j’avais refusé de donner mon accord lorsque j’étais Président. Nous n’en avons pas besoin d’autres ! Cette loi contient toujours des dispositions allant à l’encontre de la démocratie et donc, liberticides. Cette législation, votée sous pression venue d’ailleurs, devait être revue afin de la rendre compatible à notre système de valeurs démocratiques, sans compromettre notre volonté affichée de combattre le terrorisme. Les leaders politiques qui l’avaient condamnée, une fois au pouvoir, n’ont rien fait pour l’abolir ou même pour l’amender. L’Afrique du Sud et l’Inde ont voté des lois antiterroristes qui pourraient nous servir d’inspiration. Compte tenu de votre longue expérience, à Maurice et à l’étranger, pensez-vous que le spectre du terrorisme pourrait un jour gagner nos côtes ? Aucun pays n’est à l’abri d’attaques terroristes. Le terrorisme est devenu un phénomène mondial et il y a aujourd’hui un consensus global sur l’urgente nécessité de mettre tous les moyens en œuvre afin d’arriver à bout de l’extrémisme violent, au niveau national, régional et international. La grosse majorité d’extrémismes violents trouvent leur origine dans des conflits non résolus et persistants, où la violence engendre la violence et devient un mode de vie courant et même acceptable. C’est pourquoi je suis de ceux qui préconisent que les gouvernements et les organisations internationales, notamment les Nations unies,  s’évertuent à briser les impasses politiques et institutionnelles empêchant la résolution des conflits, dont certains durent depuis de nombreuses décennies. Les gouvernements, y compris le nôtre, devraient accorder la priorité à la prévention et à la résolution des conflits, même lorsque ceux-ci leur paraissent lointains.

 

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