Dans les années soixante, la consommation du cannabis était plutôt considérée comme libératrice. Elle est aujourd’hui perçue comme un fléau qui stigmatise la population essentiellement jeune et socialement défavorisée.
Or, il ne faut pas se voiler la face, elle est bel est bien présente dans toutes les couches sociales… Nous sommes dans le nord de l’île. Il est 21 heures et la fête bat son plein. Une vingtaine de personnes, âgées d’une trentaine d’années, se sont retrouvés dans une villa située dans un quartier huppé. Les invités sont au bord de la piscine et font majoritairement partie d’un milieu aisé. Certains sont occupés à parler de leur travail ou de l’actualité. D’autres préfèrent danser à proximité de la piscine.
Après quelques minutes, nous apercevons quelques invités qui se faufilent dans une chambre qu’ils referment aussitôt à clé. Les va-et-vient deviennent de plus en plus récurrents. Un homme en ressort, les yeux rougis, et nous fait un sourire avant de rejoindre ses amis. Nous décidons alors de demander à la personne qui nous a invités à la fête, de nous faire entrer dans cette mystérieuse pièce de la villa. Curiosité oblige !
Ce dernier hésite. Il nous dit devoir demander la permission à notre hôte qui, lui, semble être dans le mood. « Emmène-les faire la fête… Nul besoin de me demander la permission », lance-t-il, joyeux. Ça y est. Nous pénétrons dans une chambre et nous nous disons que le détecteur de fumée est certainement en panne. Impossible de discerner le nombre de gens dans la pièce sous cet épais brouillard de fumée. Plusieurs jeunes y consomment du cannabis sous plusieurs formes, en bongs ou en joints, entre autres.
Qu’un moyen de se détendre !
Mervin (prénom fictif), 32 ans, nous propose un joint. Nous profitons de la situation pour lui demander les raisons pour lesquelles il consomme du cannabis. Pour lui, ce n’est qu’un moyen de se détendre. Cependant, il avoue que son entourage ignore son côté ‘rebelle’, car il ne supportera pas cela. « Je fume de la marijuana depuis l’université. Cela m’aide à me sentir zen et j’aime cette sensation. Nous aimons fumer entre amis », explique-t-il, avant d’ajouter que des fois, il a des difficultés à en trouver, « mais quand on a de l’argent, tout est possible ». Le cannabis est, semble-t-il, la drogue récréative préférée des riches, mais personne n’ose en parler. Tout porte à croire que ces derniers ne vont pas sombrer dans la toxicomanie ou encore se livrer au trafic de drogue. Ils font très attention à leur image et cachent bien leur jeu en société. Qu’est-ce qui explique cette hypocrisie autour de la consommation du cannabis dans les milieux dits plus aisés ? Pour Dr Pavi Ramhota, notre société se raccroche au ‘paraître’. Le sociologue soutient que l’image que nous projetons est très importante pour plusieurs raisons. « Notre société crée des normes que nous suivons tous inconsciemment. Ils sont très peu à vraiment assumer ce qu’ils sont en réalité », soutient-il. Peut-on alors dire que nous évoluons dans une société « hypocrite » ?La stigmatisation : un cercle vicieux
Pour notre interlocuteur, ce n’est pas qu’on fait « semblant », mais nous agissons selon les normes préconisées par la société. Celui qui consomme du cannabis est perçu comme un raté, un drogué, des termes très péjoratifs pour celui qui fait attention à son image. « Très peu de personnes vous apprécient pour ce que vous êtes. Même si certains donnent libre cours à leurs désirs en privé, ils vont toujours s’assurer que cela n’impacte pas sur leur statut social », affirme-t-il. L’hypocrisie autour du cannabis est loin d’être anodine. Elle entraine une stigmatisation qui génère à son tour une fausse perception de la réalité. Krishna Seebaluck, psychologue, affirme que les personnes vivant dans des milieux précaires ne sont pas les seuls concernés lorsqu’on parle de consommation de cannabis. Il avance que cette stigmatisation les rend vulnérables. « Dès qu’on parle de consommation du cannabis, ceux au bas de l’échelle sont ciblés. C’est difficile pour la société d’associer les personnes aisées à la drogue, qu’elle soit dure ou douce. La stigmatisation est un cercle vicieux. Les gens qui ont une vie plus aisée, ont les moyens de se procurer ces substances. Ils n’ont pas besoin de commettre des délits pour avoir l’argent, car ils en ont déjà. S’ils sont arrêtés en possession de drogue, ils ont les moyens de se procurer les services d’un avocat, contrairement à ceux issus de milieux défavorisés », argue le psychologue. « Ces derniers doivent, eux, commettre des délits car ils n’ont pas d’argent pour se procurer de l’alcool, des cigarettes ou de la drogue. Ils se font prendre par la police et sont marjinalisés à vie. Cela renforce l’image négative qu’ils ont d’eux-mêmes. Ces derniers finissent par adopter le style de vie auquel ils sont injustement associés. Au final, l’argent détermine si nous nous faisons respecter ou marjinaliser dans la société », conclut Krishna Seebaluck. [[{"type":"media","view_mode":"media_large","fid":"1669","attributes":{"class":"media-image aligncenter size-large wp-image-296","typeof":"foaf:Image","style":"","width":"960","height":"540","alt":"Cannabis"}}]] [blockquote]Fleuriot Juste, président de CLAIM Mauritius: «Le cannabis peut être un bouclier contre les drogues synthétiques»[/blockquote] [row custom_class=""][/row] Dans la plupart des cas, le fumeur de cannabis est vu comme un drogué et est rejeté par la société. C’est, en effet, le constat du président du Cannabis Legalization and Informative Movement (CLAIM Mauritius). « La lutte contre la drogue à Maurice vise, depuis toujours, les plus bas de la classe sociale. Or, c’est faux de croire que seuls ceux issus de milieux défavorisés consomment du cannabis. Les personnes de classe sociale aisée et très aisée le fument également », affirme Fleuriot Juste. Notre interlocuteur souligne que les gens doivent évoluer et être plus ouverts d’esprit. « Ils n’analysent pas ce qu’ils voient et entendent. La stigmatisation est due à une incompréhension totale du sujet. Aujourd’hui, avec l’entrée des drogues synthétiques sur le marché, certains fumeurs de cannabis se laissent séduire par son effet direct et bien évidement son prix beaucoup moins élevé que la marijuana. Ces produits de synthèse ont des effets néfastes sur les consommateurs », fait-il valoir. Pour Fleuriot Juste, il faut « dépénaliser le cannabis », car il n’y a pas de solution ‘miracle’. Le cannabis devra être le bouclier contre les nouvelles drogues. « Nous voulons une décriminalisation de cette plante. Les jeunes voient leur avenir se briser lorsqu’ils se font prendre avec du cannabis et leur certificat de caractère est taché à vie. Il faut que cela cesse ! Des vies brisées à cause d’une loi injuste et disproportionnée, c’est inacceptable. Cela devient ridicule quand on voit ce qui se passe dans d’autres pays actuellement », précise-t-il. [blockquote]Kunal Naik, de CUT: «La stigmatisation tue plus que les drogues elles-mêmes»[/blockquote] De nombreuses associations qui militent contre la discrimination envers les usagers de drogue, sont d’avis que la stigmatisation tue plus que les drogues elles-mêmes. Kunal Naik, Advocacy et Communication Officer du Collectif Urgence Toxida (CUT), affirme que quand nous parlons de drogues illicites, il y a un segment de la population qui est ciblé. Bien souvent, ce sont des personnes issues de milieux défavorisés. Il estime que cela a un impact direct sur la guerre contre la drogue et que le système répressif cause plus de mal que de bien. « Les consommateurs sont criminalisés au lieu de bénéficier de traitements et de se voir proposer des travaux communautaires. Chez CUT, nous essayons de mettre en évidence la différence entre les consommateurs de drogue et les trafiquants. Grâce à des campagnes telles que Support Don’t Punish, nous visons à sensibiliser la population en général sur la nécessité d’une politique pour les drogues douces », explique notre interlocuteur. Support Don’t Punish est une campagne internationale de sensibilisation sur les dégâts provoqués par la criminalisation des personnes qui utilisent des drogues et le non-respect des droits de ces personnes. « De lourdes peines sont imposées aux personnes qui utilisent des drogues. La prison est l’une des conséquences de l’augmentation du VIH/Sida et de l’hépatite C », lance-t-il. Kunal Naik pense que la dépénalisation du cannabis sera un premier pas vers la réduction des arrestations arbitraires des consommateurs. « En outre, il permettra de réduire le fardeau de notre système judiciaire. Une révision de la loi ouvrira ainsi la voie à un meilleur maintien de l’ordre », indique l’Advocacy et Communication Officer de CUT. Pour conclure, il fait ressortir que la criminalisation du cannabis ferme la porte à des applications médicales et économiques. « Il est à noter que le cannabis peut être utilisé dans le traitement de l’épilepsie, du cancer entre autres », conclut-il.Ces stars fans de cannabis...
[[{"type":"media","view_mode":"media_large","fid":"1670","attributes":{"class":"media-image aligncenter size-large wp-image-297","typeof":"foaf:Image","style":"","width":"960","height":"540","alt":"Ces stars fans de cannabis"}}]] Elles sont les personnes les plus influentes au monde, mais assument consommer du cannabis. Plusieurs célébrités jouent un grand rôle dans l’élimination des préjugés associés au fait de fumer de la marijuana. Selon le site Lelab Europe1, Barack Obama « a concédé avoir fumé du cannabis lorsqu’il était jeune et estime que, même si c’est une «mauvaise idée», ce n’est pas «plus dangereux que l’alcool» ». L’acteur George Clooney confie qu’il visite un coffeeshop (Ndlr : lieux où l’on peut acheter et consommer les dérivés issus du cannabis) à Amsterdam plusieurs fois par an. Johnny Depp affirme que l’herbe est bien moins dangereuse que l’alcool et qu’il fume un joint de temps à autre. Bill Gates a, pour sa part, voté pour la légalisation du cannabis, car il estime que le cannabis peut être utilisé à des fins médicales. Quant au chanteur Elton John, il est d’avis que beaucoup de gouvernements n’accordent pas de valeur à la vie de leurs citoyens à cause de préjugés inutiles et de la criminalisation des drogues et que des lois sont passées au détriment des pauvres.Notre service WhatsApp. Vous êtes témoins d`un événement d`actualité ou d`une scène insolite? Envoyez-nous vos photos ou vidéos sur le 5 259 82 00 !