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Bus fumigènes : entre santé publique et urgence écologique

Depuis 2022, plus de 670 propriétaires de véhicules fumigènes ont été verbalisés pour non-respect des normes .

La pollution émise par les bus inquiète experts, usagers et autorités. Malgré les contrôles réguliers et les sanctions, de nombreux véhicules continuent de rejeter des fumées nocives, mettant en danger la santé publique et l’environnement.

À Maurice, les bus fumigènes ne sont plus seulement une nuisance visuelle ou un désagrément pour les usagers de la route. Ils concentrent désormais un débat plus large qui touche à la fois à la santé publique, à l’environnement et aux difficultés économiques rencontrées par les opérateurs de transport. Alors que les autorités multiplient les opérations de contrôle et annoncent des sanctions plus sévères, les compagnies de transport disent se sentir prises en étau entre la nécessité d’investir dans des véhicules plus propres et la réalité d’un marché où les marges sont de plus en plus étroites. Dans ce contexte, les experts rappellent que l’enjeu ne se résume pas à un simple problème technique : il s’agit d’une question de société où la qualité de l’air et la protection de la population sont en première ligne.

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Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Depuis mars 2022, plus de 5 300 véhicules diesel ont été soumis à des tests d’opacité des gaz d’échappement. Parmi eux, plus de 600 ont affiché un niveau supérieur aux normes et près de 670 amendes ont été distribuées. Les sanctions ne se limitent pas à une simple contravention : les véhicules concernés reçoivent un avis d’interdiction de circuler et doivent obligatoirement passer un contrôle dans un centre agréé sous 14 jours. Ces dispositions ont permis de réduire progressivement le nombre de véhicules fortement polluants, mais les dépassements persistent, notamment chez certains bus et camions. 

Lors d’une opération surprise à Curepipe en septembre, 16 véhicules sur 21 contrôlés ont été sanctionnés, dont plusieurs bus. À Sorèze, le même jour, d’autres véhicules lourds ont été pris en défaut. Ces contrôles réguliers montrent que, malgré les améliorations, le problème demeure bien réel et concerne directement le secteur du transport collectif.

Cependant, la ‘United Bus Service’ (UBS) se défend face aux critiques concernant la présence de bus fumigènes sur les routes. Son Traffic Manager, Yousouf Sairally, affirme que la compagnie a mis en place un système rigoureux pour éviter l’émission de fumées excessives et respecter la législation en vigueur.

« Chaque bus est soumis à un contrôle strict et un rapport est établi quotidiennement pour prévenir la circulation de véhicules fumigènes », explique-t-il. Selon lui, le simple fait d’avoir des bus neufs ne garantit pas l’absence de fumée. « À la compagnie, nous faisons en sorte que nos bus soient conformes à la loi et n’affectent pas la santé d’autrui. Des tests de fumée sont régulièrement effectués et nos véhicules bénéficient d’un suivi mécanique continu », explique le Traffic Manager.

Souvent pointée du doigt pour ses bus vieillissants, la compagnie reconnaît que près de 25 à 30 % de sa flotte a plus de 10 ans. Pour Yousouf Sairally, l’âge du véhicule n’est pas forcément un facteur déterminant. « Malgré leur ancienneté, nos bus restent aptes à circuler. La fumée survient principalement lorsqu’il y a un problème mécanique ou une mauvaise opération dans la conduite », dit-il.

Conscient des impacts environnementaux de la pollution atmosphérique, le responsable souligne que la compagnie adopte des mesures de prévention. « Nous savons que la fumée a un effet néfaste sur l’environnement. C’est pourquoi nous mettons l’accent sur la maintenance préventive afin d’éviter ce genre de situations » fait comprendre l’intervenant.

Dans cette logique, la UBS a déjà investi dans des bus low floor, jugés plus économiques et plus respectueux des normes. Toutefois, la transition vers une flotte électrique n’est pas pour demain. « Le passage à l’électrique demandera du temps et des moyens considérables. En attendant, nous nous concentrons sur la maintenance et sur la régularité de nos contrôles pour assurer un service fiable, sans nuire à la population. »

Zéro carbone

Pour Yousouf Sairally, l’objectif reste clair : garantir la mobilité tout en réduisant l’empreinte environnementale des bus de la compagnie, malgré les contraintes techniques et financières qui freinent l’évolution vers un transport collectif zéro carbone.

Pour le gouvernement, la tolérance zéro se précise. L’amende, fixée actuellement à Rs 2 000, sera bientôt multipliée par cinq pour atteindre Rs 10 000. Cette augmentation vise à renforcer l’effet dissuasif et à obliger les propriétaires de véhicules diesel, y compris les opérateurs de bus, à entretenir régulièrement leurs moteurs. 

Le ministère de l’Environnement a, par ailleurs, confirmé que les normes en vigueur, datant de 1998, sont en cours de révision. Les nouveaux règlements, connus sous le nom de « Règlement Air Environnement », intégreront des seuils plus bas pour les particules fines, les oxydes d’azote et d’autres polluants atmosphériques. Pour les compagnies de transport, cette perspective implique une adaptation qui risque d’être coûteuse et difficilement absorbable sans mesures d’accompagnement.

Mais au-delà des sanctions et de la réglementation, les conséquences pour la santé sont de plus en plus mises en lumière. Les particules fines émises par les moteurs diesel, notamment les PM2.5, sont invisibles à l’œil nu mais capables de pénétrer profondément dans les poumons. Elles provoquent une inflammation chronique, fragilisent les défenses immunitaires et augmentent le risque d’asthme, de bronchites et d’infections respiratoires. Les enfants et les personnes âgées figurent parmi les plus vulnérables, mais même les personnes en bonne santé peuvent développer des pathologies cardiovasculaires ou pulmonaires en cas d’exposition prolongée. Plusieurs études internationales montrent par ailleurs une corrélation directe entre exposition chronique et augmentation des cas de cancer du poumon.

Ce constat est partagé par de nombreux acteurs du secteur environnemental qui insistent sur le caractère insidieux de cette pollution. Contrairement aux déchets visibles ou aux nuisances sonores, les particules fines passent inaperçues au quotidien, alors qu’elles constituent l’une des menaces les plus sérieuses pour la santé publique. 


L’air est déjà pollué 

Pour Sunil Dowarkasing, expert en environnement, les bus fumigènes et plus largement les véhicules fonctionnant au diesel représentent une menace sérieuse, autant pour la santé publique que pour l’environnement. Il affirme que la qualité de l’air à Maurice est déjà compromise et que la pollution issue de ces moteurs ne fait qu’aggraver la situation.

«  La qualité de notre air est polluée. Les particules de monoxyde de carbone issues de ces véhicules se déposent dans les poumons et déclenchent des complications graves, notamment des maladies cardiovasculaires et respiratoires », explique-t-il. Selon lui, les gaz rejetés ne se limitent pas à un danger sanitaire immédiat mais contribuent également à un problème plus large : le réchauffement climatique.

Ces émissions polluantes, rappelle l’expert, contiennent divers éléments nocifs qui participent à la dégradation de l’environnement naturel comme urbain. Le monoxyde de carbone et d’autres particules liées à la combustion du diesel s’accumulent dans l’air et amplifient les effets du changement climatique. « Ces gaz contribuent au réchauffement de la planète. Nous remarquons déjà une véritable dégradation de notre environnement, aussi bien au niveau naturel que dans les zones urbaines », souligne-t-il.

Pour Sunil Dowarkasing, l’urgence est claire : il faut engager sans tarder une transition vers des modes de transport plus responsables et résilients. Il plaide pour un recours accéléré aux énergies vertes, afin de réduire l’empreinte carbone du secteur et de protéger la santé des Mauriciens. « Il faut une transition, et si elle ne se fait pas, il sera trop tard », avertit-il.

L’expert insiste aussi sur le fait que le transport collectif joue un rôle central dans cette transformation. Réduire la dépendance aux véhicules diesel, adopter des bus électriques ou hybrides et investir dans des carburants plus propres sont autant de pistes indispensables pour préserver l’air, l’environnement et la santé publique.

Le secteur du transport collectif, qui transporte des milliers de passagers chaque jour, se trouve au centre de cette équation. Les opérateurs estiment que la pression grandissante ne tient pas suffisamment compte de la réalité économique d’un marché déjà fragilisé par la concurrence, le prix des carburants et la difficulté d’accéder à des véhicules neufs. Le renouvellement d’une flotte entière nécessite des investissements colossaux que peu de compagnies peuvent se permettre sans soutien étatique ou incitations fiscales. Les coûts liés à l’importation de pièces détachées, déjà élevés, s’ajoutent à un entretien devenu plus complexe avec des moteurs vieillissants. Dans ces conditions, certains affirment qu’il devient difficile de maintenir une flotte conforme aux exigences, surtout lorsque les sanctions tombent sans délai.

Chez Rose Hill Transport Bus Services, la lutte contre les émissions polluantes est devenue un axe central de la stratégie de l’entreprise. Son chargé de communication, Mehdi Bundhun, rappelle que la compagnie a été pionnière dans l’introduction de bus électriques à Maurice dès 2019. Deux véhicules de ce type circulent déjà, rechargés grâce à des panneaux solaires, sur une flotte totale de 70 autobus. « Notre plan est clair : nous visons une décarbonisation complète de notre flotte d’ici 2030, avec l’introduction de 20 bus électriques par an et la mise en service d’une centrale solaire de 22 MW pour alimenter nos opérations à 100 % en énergie verte », explique-t-il

En attendant l’arrivée de ces bus propres, l’entreprise dit maintenir une surveillance rigoureuse de ses véhicules thermiques. Les pompes d’injection de carburant sont régulièrement entretenues, les filtres remplacés de manière préventive et les contrôles effectués de façon systématique pour réduire les émissions de fumée. « Certains bus au diesel émettent encore de la fumée, mais nous les suivons de près. L’entretien préventif permet de limiter l’impact en attendant leur remplacement », affirme Mehdi Bundhun.

Face aux critiques, RHT met en avant son engagement environnemental, qu’elle considère comme une responsabilité d’entreprise. La compagnie insiste sur le fait que la transition vers une flotte 100 % électrique demande du temps et des investissements considérables. « Nous comprenons l’impatience de certains, mais transformer une flotte entière exige une infrastructure de recharge solide et une production d’énergie verte suffisante. C’est pour cela que nous préparons dès maintenant la base avec notre centrale solaire », ajoute-t-il.

Le plan prévoit également le retrait progressif des bus les plus anciens et les plus polluants au fur et à mesure que de nouveaux véhicules électriques seront introduits. Pour Mehdi Bundhun, il s’agit d’une transformation « structurée, réaliste et responsable » qui permettra de concilier mobilité, santé publique et respect de l’environnement. « Notre objectif reste d’offrir un service fiable, tout en réduisant l’empreinte carbone du transport collectif », conclut-il.

Une taxe carbone à Singapour 

Les autorités, de leur côté, affirment que la protection de la santé publique prime sur toute autre considération. Les nouvelles réglementations en préparation devraient toucher plus de 500 entreprises, dont 230 tournées vers l’exportation et 300 locales. Pour les opérateurs de bus, cela signifie que l’adaptation est inévitable, que ce soit par un meilleur entretien des moteurs existants, l’acquisition de véhicules plus récents ou la transition vers des carburants à faible teneur en soufre. Le ministère de l’Environnement a déjà engagé des discussions avec la State Trading Corporation pour étudier la possibilité d’importer ce type de carburant, plus respectueux de l’air et de la santé des citoyens.

Au niveau international, l’Union européenne impose depuis plusieurs années les normes Euro 6, particulièrement strictes pour les véhicules diesel. Des villes comme Paris, Londres ou Berlin interdisent même l’accès de certaines zones aux véhicules jugés trop polluants. À Singapour, une taxe carbone est appliquée aux véhicules, et les contrevenants risquent des amendes allant jusqu’à plusieurs milliers de dollars. En Inde, où le problème est aigu, les autorités n’hésitent pas à confisquer les véhicules dépassant les seuils. En comparaison, Maurice en est encore à ses premiers pas, mais le durcissement progressif des amendes et des normes montre que le pays s’aligne peu à peu sur les standards internationaux.

 

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