Pravind Jugnauth fera son grand oral le jeudi 14 juin. Un exercice que connaîssent bien Rama Sithanen, Vasant Bunwaree, Xavier-Luc Duval ou encore Rundheersing Bheenick. Ces anciens Grands argentiers nous livrent leurs souvenirs sur les Budgets qu’ils ont présentés.
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Dr Rama Sithanen : «J’écrivais une bonne partie du Budget moi-même»
Quel était votre état d’esprit quand vous aviez présenté le Budget pour la première fois ? : « J’avais une certaine appréhension en tant que nouveau député et ministre des Finances. Je devais présenter un Budget dans un contexte assez difficile. Les gens avaient des inquiétudes et je voulais « make it right » en mettant l’accent sur les priorités du pays.»
Combien d’heures avez-vous déjà consacré à la préparation d’un Budget ? : « Je consacrais 14 à 15 heures par jour lors des dernières semaines. Le fait d’être économiste de formation et de profession fait que j’avais beaucoup de mes connaissances personnelles pour le Budget. D’ailleurs, j’écrivais une bonne partie du Budget moi-même. »
Quels sont vos meilleurs souvenirs ? : « Il y a souvent une charge émotionnelle quand vous préparez un Budget. Je suis content d’avoir réussi à faire en sorte que les planteurs, les artisans et les travailleurs deviennent des actionnaires dans l’industrie sucrière et qu’ils puissent avoir leurs représentants au sein du conseil d’administration. Il y a aussi les réformes que j’ai apportées et qui ont permis au pays d’être plus résilient et d’augmenter sa croissance. L’introduction de la Corporate Social Responsability (CSR) est une autre grande fierté, surtout qu’elle avait suscité beaucoup de résistance. Toutefois, je suis triste que le focus de cette mesure, qui était axée sur le combat contre la pauvreté, ait été dilué. La CSR est aujourd’hui utilisée pour faire plein d’autres choses. »
Et les pires ? : « Quand vous êtes ministre des Finances, vous rencontrez beaucoup de gens qui vous livrent leurs attentes pour le Budget. Malheureusement, vous ne pouvez satisfaire tout le monde. Et ils vous font la remarque quand vous les rencontrez dans la rue, au marché, dans un cocktail ou un mariage. Cela ne veut pas dire que leurs mesures ne sont pas bonnes. C’est juste que c’est compliqué et difficile de répondre à toutes les attentes. Par ailleurs, nous faisons aussi face à la pression des collègues et des parlementaires. Chaque ministre souhaite qu’il y ait des développements et des infrastructures dans sa circonscription. Comment garder l’équilibre entre faire tourner l’économie et satisfaire les besoins sociaux et politiques ? C’est cela la grande question à laquelle font face tous les ministres des Finances. Ceci pour vous dire que le Budget est un exercice financier, économique, mais aussi politique. »
Dans la conjoncture actuelle, le présent ministre des Finances dispose-t-il d’une bonne marge de manœuvre ? : « Un ministre des Finances dispose toujours d’une marge de manœuvre. C’est à lui de la créer et de choisir ses priorités. La priorité est de soigner les grands maux de l’économie : la faiblesse de la croissance, l’investissement qui piétine, le secteur manufacturier qui est en déclin, l’exportation qui passe par une phase difficile, l’inflation qui montre des signes préoccupants, la balance extérieure qui a un déficit important, la dette publique qui est alarmante. Comme disent les Français, il faudra s’assurer que les grands fondamentaux de l’économie (croissance, création d’emplois, inflation, déficit budgétaire et dette publique, balance extérieure) fonctionnent comme il faut. Dans un second temps, il faut faire l’équilibre entre l’économie, le social et la politique. En troisième lieu, il faut veiller que les piliers de l’économie (traditionnels, émergents et nouveaux secteurs) marchent bien. »
Xavier-Luc Duval : «Un grand moment»
Quel était votre état d’esprit quand vous présentiez le Budget ? : « C’est une fierté, un grand moment où toute la nation est à l’écoute et où vous voulez bien faire. Le Budget est, d’ailleurs, une occasion de saisir les opportunités du moment, de répondre aux attentes de la population, de pallier et résoudre les problèmes et d’assurer une meilleure année pour l’île Maurice. Il y a trois équipes qui travaillent sur le Budget. La première se penche sur le discours, la deuxième sur les mesures importantes du Budget et la troisième sur l’exercice comptable. »
Combien d’heures avez-vous déjà consacré à la préparation d’un Budget ? « C’est une assez longue préparation et un travail assez prenant. On reste jusqu’à fort tard et il y pas mal de réunions, sans parler qu’on rencontre des gens pour connaître leurs attentes. »
Quel est votre meilleur souvenir ? : « Cette impression d’être au centre de tout. C’est l’occasion de faire du bien pour le pays et pour les Mauriciens, mais c’est également un jeu politique. »
Quelles sont les mesures dont vous êtes fier d’avoir introduites ? : «Le Youth Employment Programme, le bunkering, le Film Rebate Scheme, le SME Loan Scheme, entre autres. »
Dans la conjoncture actuelle, le présent ministre des Finances dispose-t-il d’une bonne marge de manœuvre ? : « Il y a toujours une marge de manœuvre. »
Quel devrait être, selon vous, le maître-mot de ce Budget ? : « C’est au ministre des Finances actuel de répondre à cette question. Attendons voir ce qu’il va pondre jeudi. »
Dr Vasant Bunwaree : «J’ai introduit la TVA»
Quel était votre état d’esprit quand vous aviez présenté le Budget pour la première fois ? : « J’étais calme alors que c’était pourtant un grand défi dans la mesure où je ne suis ni financier ni économiste. Plus d’un était étonné qu’un cardiologue présente le Budget. Je sentais, toutefois, sur mes épaules le fardeau d’un tel exercice qui requiert beaucoup de travail, de sang froid et d’intelligence. Quoiqu’il en soit, tout s’est bien passé. »
Combien d’heures avez-vous déjà consacré à la préparation d’un Budget ? « Cela ne se compte pas en heures. Le travail démarre dès le mois de janvier. La première partie de l’année est dédiée à mettre en place et à faire aboutir les mesures du Budget précédent et la deuxième moitié est consacrée au nouveau Budget. Pour moi, il est important d’être à l’écoute de tous les acteurs socioéconomiques. »
Quel est votre meilleur souvenir ? « Je suis celui qui a introduit la Taxe sur la Valeur Ajoutée (TVA) en 1998. Cette taxe est venue remplacer la Sales Tax que Paul Bérenger avait introduite en 1982. Si, à l’époque, la Sales Tax était de 8 %, avec les taxes cachées, les gens payaient en réalité entre 12 % et 14 %. Si tout le monde savait que la TVA allait être introduite, le taux restait, toutefois, à être fixé. J’ai tranché pour 10 %. Mes techniciens, mes conseillers tout comme les experts de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international (FMI) y étaient opposés. Ils disaient que je devais imposer un taux de 14 % pour avoir les mêmes revenus qu’avec la Sales Tax. J’ai persisté et signé, car je ne voulais pas bousculer la population et avoir à payer le prix d’un ‘social unrest’. Il y a eu certes beaucoup de critiques. Mais, l’économie a continué à fonctionner. D’ailleurs, la TVA rapporte des milliards de roupies de revenus. »
Et le pire souvenir ? : « J’ai plutôt un regret en tant que ministre des Finances, notamment sur la privatisation du Mauritius Telecom. J’ai fait en sorte que tout soit transparent et que Mauritius Telecom ne soit pas perdant dans l’histoire. J’ai, par ailleurs, été intraitable sur deux points avec France Telecom. Premièrement, qu’elle ne licencie pas les gens pour un oui et pour non. Et deuxièmement, que Mauritius Telecom fera un appel d’offres pour l’achat des pièces de rechange. J’ai réussi à les convaincre. Entre-temps, il y a eu les législatives et le contrat n’a pu être signé. Quand le nouveau gouvernement est venu, il y a eu des changements dans le contrat et Mauritius Telecom en est sorti perdant. »
Dans la conjoncture actuelle, le présent ministre des Finances dispose-t-il d’une bonne marge de manœuvre ? « Sa décision d’introduire le salaire minimal est à saluer. C’est une mesure que je voulais introduire. Je note que Pravind Jugnauth a tendance à dépenser plus facilement et ne regarde pas trop les rentrées de revenus, car son désir de marquer des points est plus fort. Ce qui fait que le ministre dispose d’une marge de manœuvre restreinte. Pour marquer des points, il devra baisser le prix de l’essence et, pourquoi pas, la TVA. En réduisant la TVA, il stimulera la consommation. Il rattrapera d’un côté ce qu’il perd de l’autre. Il doit créer de l’emploi. Ces deux mesures permettront de soulager la population. »
Rundheersing Bheenick : «Un exercice d’équilibriste»
Quel était votre état d’esprit quand vous présentiez le Budget pour la première fois ? : « Je devais faire le maximum avec le peu de moyens possibles pour ne pas augmenter le déficit fiscal. Les gens voulaient un changement majeur. C’est un exercice d’équilibriste auquel doivent s’atteler les ministres des Finances de tous les pays, sauf ceux qui ont des ressources. »
Combien d’heures avez-vous déjà consacré à la préparation d’un Budget ? : « Dès la prise du pouvoir, j’avais déjà à l’esprit les contours du Budget. Le gouvernement sortant avait fait la promesse électorale d’augmenter les salaires des Mauriciens de 15 % ‘across the board’. Nous avons dû montrer qu’une telle augmentation des dépenses n’était financièrement pas possible. Par ailleurs, nous avons dû gérer la violence dans le pays, tout en faisant face à deux banques qui faisaient banqueroute, sans parler qu’il y avait un ‘non performing loan’ qui plombait une banque principale. Il fallait jeter les bases de cette nouvelle économie qu’on avait promis et qu’il fallait mettre en place pour minimiser les dégâts qu’allait causer le démantèlement du General Agreement on Tariffs and Trade et l’introduction de la World Trade Organisation. »
Quel est votre meilleur souvenir ? : « Mon Budget parlait beaucoup du ‘new economic paradigm’ qui allait jeter les bases d’une économie mixte revigorée, car à l’époque le public et le privé se parlaient à peine. La mise en place du Board of Investment, donner plus d’indépendance à la Banque de Maurice, libéraliser le marché de changes, mettre en place la structure de la TVA sont quelques-unes des mesures introduites. La plus grande mesure a été de baisser l’inflation, qui était au-delà de 8 % avant notre prise de pouvoir, à 3 %. Nous avons aussi mis en place des mesures pour permettre l’essor du secteur offshore. »
Et votre pire souvenir ? : « Mon souvenir le plus amer est la levée de boucliers dans plusieurs secteurs clés. Il a fallu remanier certaines mesures. Mais, la mesure qui a fait déborder le vase est la ‘special levy’ appliquée sur le secteur sucre. »
Quelle marche de manoeuvre dispose Pravind Jugnauth ? : « Un ministre des Finances, à la fois chef du gouvernement et chef de son parti, a une marge de manœuvre que très peu de ses prédécesseurs ont connu dans un passé récent. »
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