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Budget 2025-26 : le grand test du Changement

Le premier budget présenté par le gouvernement du Changement s’inscrit dans un contexte économique particulièrement tendu.

Dans un contexte économique jugé difficile, le gouvernement du Changement présente son premier budget, ce jeudi 5 juin. Entre promesses de rigueur et ambitions de transformation, Navin Ramgoolam et Paul Bérenger devront concilier discipline financière et réponses aux enjeux structurels majeurs. 

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Entre attentes immenses et incertitudes pesantes, le Budget 2025 s’impose déjà comme une épreuve de vérité pour le gouvernement du Changement. Ce jeudi 5 juin, l’exécutif présentera son tout premier exercice budgétaire, dans un climat économique que lui-même qualifie de « difficile ». Depuis plusieurs semaines, le ton est donné : rigueur et sobriété seront de mise. Un message martelé sans détour par le Premier ministre Navin Ramgoolam, épaulé par le Deputy Prime Minister Paul Bérenger : « Il faudra ser sintir. » 

Dans ces conditions, les attentes sont immenses, mais l’inquiétude monte aussi d’un cran. Comment ce gouvernement, élu sur la promesse du changement, compte-t-il piloter cette période charnière ? Entre volontarisme politique, contraintes budgétaires et pression sociale, ce budget s’annonce comme un test grandeur nature.

L’équation budgétaire s’annonce d’autant plus complexe que les marges de manœuvre sont limitées. À l’international, l’environnement économique reste instable : inflation persistante, hausse des prix des matières premières, incertitudes géopolitiques. Maurice, de son côté, doit composer avec une dette publique élevée, des déficits récurrents et un besoin urgent de réformes structurelles pour relancer la croissance. Dans ce contexte, le discours gouvernemental insiste sur une nécessité : redresser les finances publiques, quitte à adopter une politique d’austérité.

Face à cette situation, les économistes et observateurs restent prudents. L’observateur politique Olivier Précieux résume le dilemme auquel l’exécutif est confronté : conjuguer impératifs économiques et volonté politique. « Il y a deux façons de voir les choses. On aura peut-être à faire à un budget de rigueur, dicté par le contexte économique. Mais est-ce que le gouvernement aura le courage politique de le faire ? » s’interroge-t-il. Pour lui, une véritable rigueur implique des coupes franches dans les dépenses publiques – une mesure impopulaire par excellence. « C’est difficile à appliquer, car cela peut provoquer une réaction sociale forte. » Résultat : un gouvernement tiraillé entre la prudence nécessaire et la crainte de mécontenter une population déjà éprouvée.

Dans cette logique, l’exécutif devra naviguer avec doigté entre discipline budgétaire et vision de développement : un développement durable, inclusif et souverain, sans pour autant renier ses engagements électoraux.

L’économiste Manisha Dookhony évoque un équilibre entre ambition et réalisme. « Le Budget 2025 devra être un exercice de compromis. Le gouvernement ne pourra pas tout donner à tout le monde et devra probablement étaler la mise en œuvre des promesses sur plusieurs années, tout en maintenant une priorité sur les mesures sociales », affirme-t-elle.

Des critiques qui montent

Cependant, cette tension entre discours alarmiste et action concrète nourrit les critiques. Pour l’historien Jocelyn Chan Low, le ton adopté par l’exécutif relève davantage d’une stratégie politique que d’une réelle impasse budgétaire. « En analysant les discours, on comprend que les promesses économiques ne seront pas au rendez-vous », avance-t-il. Il anticipe un budget à visée modérément restrictive, qui pourrait chercher à freiner la consommation tout en affichant un visage pro-business. Une orientation qui risque de réduire la place accordée aux politiques sociales.

Mais au-delà des débats techniques sur la rigueur, d’autres voix appellent à un budget courageux, centré sur les faiblesses structurelles du pays. L’avocat et constitutionnaliste Parvez Dookhy insiste sur l’urgence d’un véritable changement. « Un changement sur ce qui ronge notre société depuis des décennies », déclare-t-il.

Premier chantier à ses yeux : la gestion de l’eau. « Le problème de distribution, et en amont celui du stockage, doit être réglé une fois pour toutes, de manière professionnelle, intelligente et durable. Les simples annonces d’investissement ne suffisent pas. » Il appelle à une refonte des institutions responsables de cette ressource stratégique.

Autre priorité : la lutte contre les crimes économiques. « Ce n’est pas un problème de financement, mais de volonté politique. Il faut laisser les institutions agir de manière autonome. » Pour Parvez Dookhy, restaurer la confiance dans les institutions est essentiel pour relancer l’économie sur des bases saines et restaurer la valeur de la roupie.

Un potentiel à exploiter

Au-delà des réformes structurelles, l’avocat souligne l’importance de générer davantage de richesse nationale. La récente extension de la zone économique exclusive (ZEE) ouvre, selon lui, une opportunité inédite. « Nous devons tourner la page du ‘petit Maurice’ et voir notre pays en grand. » Il plaide pour une exploitation plus audacieuse de cet espace maritime dans les secteurs du tourisme, de la pêche, de l’industrie et de l’agroalimentaire.

« Le tourisme reste un levier essentiel pour capter des devises, mais il faut aussi repenser notre industrialisation et viser l’autonomie alimentaire. C’est absurde d’importer du poisson, alors que nous avons l’une des plus grandes ZEE au monde », souligne-t-il.

Parvez Dookhy insiste également sur l’urgence de produire de l’énergie renouvelable. « Nous avons du soleil, des vagues, du vent. Tout est là pour développer une énergie propre et durable. Il ne manque qu’une chose : la volonté politique. »

Dans ce contexte tendu, les appels à la rigueur budgétaire laissent présager des mesures qui pèseront inévitablement sur les ménages et les services publics. Mais les leçons du passé sont claires : sans volonté politique affirmée et sans réformes de fond, la rigueur seule ne suffira pas à remettre l’économie sur les rails.

Réduction de la dette : le ton est donné en amont du Budget

Lors d’une conférence de presse, le vendredi 23 mai à la Government House, le Premier ministre Navin Ramgoolam et le Deputy Prime Minister Paul Bérenger ont abordé les défis économiques majeurs auxquels fait face le pays, dont la question de la dette publique et les retombées du dossier Chagos.

Navin Ramgoolam a souligné la gravité de la situation : « Notre dette publique est insupportable. Nous sommes dans le viseur de Moody’s. Moody’s nous surveille, attendant de voir si nous parviendrons à réduire cette dette. » Annonçant une mesure forte, il a précisé : « Nous avons pris l’engagement de réduire la dette publique d’environ 5 %. Pour information, 1 % de notre PIB représente environ Rs 7,5 milliards. Réduire la dette de 5 % signifie donc trouver Rs 37,5 milliards. »

Le Premier ministre a insisté sur la nécessité de mettre fin aux abus budgétaires : « Le prochain budget devra freiner ces pratiques qui ont perduré. Ce sera un budget qui réduira la dette publique du pays. »

De son côté, Paul Bérenger a tenu à tempérer les attentes autour des fonds issus du récent accord signé avec le Royaume-Uni dans le cadre du dossier Chagos. Selon lui, ces ressources ne suffiront pas à redresser la situation : « La somme de Rs 10 milliards ne change rien de fondamental à nos problèmes budgétaires », soulignant que le prochain exercice budgétaire s’annonce difficile. Il a mis en garde contre tout excès d’optimisme : « Il ne faut pas croire que asterla nou’nn korek. »

La parole aux citoyens

Des mesures concrètes réclamées, pas des slogans

Les regards sont braqués sur ce premier Budget du gouvernement du Changement, un rendez-vous attendu avec impatience et une certaine dose d’espoir. Les Mauriciens veulent y voir bien plus qu’un simple exercice comptable : ils attendent un budget à la fois responsable sur le plan financier et porteur d’une transformation tangible. Car pour beaucoup, il ne s’agit pas seulement de gérer une crise perçue comme passagère, mais bien de poser les fondations d’une île Maurice plus autonome, plus équitable et plus prospère.

Au cœur de cette attente, un besoin urgent et concret : alléger le quotidien des familles face à un coût de la vie jugé insoutenable. « C’est le strict minimum pour soulager les Mauriciens », affirme Vashish Horril, un habitant de Beau-Bassin. La réalité est claire, selon Laval Rofique, qui s’attend à un budget difficile : « Chaque fin de mois, les familles doivent faire des choix drastiques. Ce sera un exercice de rigueur, dont la bande-annonce circule depuis plusieurs mois. » 

Dans ce contexte, préserver l’allocation sociale mensuelle de Rs 2 500 versée par la MRA est plus que jamais vital, surtout « pour les enfants », rappelle-t-il. Cette aide représente un bouclier pour les familles les plus fragiles notamment.

« Le gouvernement a tous les outils en main », insiste Vashish Horril, soulignant la nécessité d’une action concrète et rapide pour restaurer la confiance et répondre aux attentes de la population. « Le pays traverse une crise, certes, mais répéter sans cesse les mêmes slogans ne suffira pas à convaincre une population de plus en plus désabusée. Il est temps d’arrêter la comédie et de proposer un vrai changement, palpable et juste. »

Mais les attentes ne s’arrêtent pas là. Jessica, une autre voix citoyenne, invite à aller au-delà des mesures immédiates et à s’attaquer aux racines des problèmes. « Trop souvent, les discours restent en surface, sans aborder les vraies difficultés », regrette-t-elle. Pour elle, il est impensable que des prêts contractés il y a des années continuent à peser lourdement sur les ménages, avec des taux d’intérêt qui flambent, alors même que l’argent a déjà été dépensé. Résultat : un pouvoir d’achat qui s’effrite toujours davantage, alors que les salaires stagnent face à une inflation galopante sur les produits de première nécessité.

Jessica pointe aussi du doigt un autre décalage criant : celui des infrastructures. « Augmenter les pensions des seniors est une bonne chose, mais cela reste insuffisant si les structures d’accueil restent rares, coûteuses ou inaccessibles. » Elle dénonce aussi l’état des routes, qui oblige les usagers à dépenser sans cesse pour des réparations évitables, au lieu d’investir dans un entretien durable. Ces incohérences traduisent, selon elle, une déconnexion inquiétante entre les décideurs et la réalité vécue par la population.

« La perte de crédibilité du gouvernement est palpable », lance Jessica. « Trop de promesses sont faites dans l’espoir de récolter des voix, sans que des actions concrètes viennent les soutenir. » Une accusation qui résonne dans de nombreux foyers où le scepticisme gagne du terrain.

Face à ces défis économiques, les Mauriciens savent qu’il faudra « ser sintir » pour un temps, laissant au gouvernement la chance de se remettre à flot. Mais ce premier budget est une étape cruciale : c’est l’occasion ou jamais pour l’exécutif de montrer sa détermination, de prouver qu’il peut transformer les promesses en réalités. À défaut, les doutes ne feront que se renforcer.

Mahen Seeruttun : « Lakes pa vid »

Face à la presse, vendredi matin, au Sun Trust Building, l’ex-ministre des Services financiers Mahen Seeruttun a exhorté le Premier ministre et ministre des Finances à preserver les allocations sociales. Pour lui, « lakes pa vid ». « Mo lans enn lapel o Premie Minis ek Minis Finans. Pa tous bann alokasion ki popilasion pe gagne zordi. Okontrer, bizin amelior bann alokasion-la », 
a-t-il déclaré. 

Il a également plaidé pour une réduction des prix du carburant, tout en s’opposant à toute révision à la hausse du prix du gaz ou à la suppression des subventions sur le riz et la farine. 

Rajen Valayden : « Faut pas être sorcier pour deviner le script »

L’analyste politique Rajen Valayden dresse un constat sévère des défis économiques de Maurice, pointant une gouvernance défaillante depuis 30 ans. Dans un contexte d’instabilité mondiale croissante, marquée par des bouleversements économiques et une complexité accrue, il juge le tableau inquiétant pour des dirigeants contraints de s’adapter à une crise chronique.

« Faut pas être sorcier pour deviner le script », lance Rajen Valayden, anticipant la rhétorique gouvernementale : dramatisation de la dette publique, appel à la discipline budgétaire, et surtout, un virage annoncé vers une croissance « propulsée par l’investissement » et « la nouvelle économie », avec l’intelligence artificielle et la technologie en étendard. Un scénario désormais bien rôdé, mais qui, selon lui, reste en grande partie théorique.

Il dénonce une réalité plus préoccupante : une concentration croissante des richesses, alimentée par chaque budget depuis l’indépendance, qui creuse les inégalités et fragilise la démocratie. Pour lutter contre la pauvreté, il prône un système économique équitable, reposant sur six piliers : État, Écologie, Éducation, Énergie, Entrepreneuriat et Équilibre. L’État, garant de l’intérêt général, doit jouer un rôle central face aux risques d’un désengagement potentiellement désastreux. Rajen Valayden appelle à un budget inclusif et ambitieux, répondant aux aspirations d’égalité, de justice et de progrès de la population. 

 

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