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Bruno Donat : l’humanitaire mauricien candidat au poste suprême à l’ONU

Bruno Donat veut réformer l’ONU.

Bruno Donat entre dans l’arène internationale avec une détermination rare : celle d’un homme brisé par la souffrance humaine mais animé par un idéal inébranlable. Il a récemment annoncé sa candidature au poste de Secrétaire général des Nations Unies pour le mandat de 2027. À 55 ans, celui qui incarne la voix des enfants pris dans l’enfer des guerres espère insuffler un nouveau souffle à une institution qu’il connaît de l’intérieur depuis plus de deux décennies.

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Haut fonctionnaire onusien, diplomate chevronné et natif de l’île Maurice, il a passé 25 ans à arpenter les zones les plus instables de la planète, de la Somalie à la République démocratique du Congo, en passant par le Sahel et la Palestine. Même s’il est en ce moment en détachement temporaire au sein du Département des opérations de paix,  Bruno Donat est toujours en poste à Genève de Chef du Service de lutte antimines des Nations Unies (UNMAS). Dans ce rôle, il n’a jamais hésité à aller sur le terrain, au contact des civils, des militaires, des enfants. Il est cet homme en costume diplomatique le jour, et à la guitare en soirée, chantant pour les enfants blessés par la guerre, notamment à Gaza, où il a noué des liens profonds avec les plus vulnérables.

En mars 2024, profondément affecté par l’intensification du conflit israélo-palestinien et l’incapacité de la communauté internationale à empêcher ce qu’il qualifie de « plausible génocide », tout comme le dit la Cour internationale de justice, Bruno Donat entame une grève de la faim symbolique à Genève. Il agit en son nom personnel, refusant toute récupération politique. « C’était une grève silencieuse, quasi invisible, sans revendications tapageuses. Mon objectif était simple : attirer l’attention sur les enfants de Gaza, de Palestine, mais aussi sur les enfants israéliens victimes des attaques du 7 octobre 2023 », affirme-t-il avec gravité.

« généreuse initiative » 

Avant d’engager ce jeûne volontaire, le diplomate avait pris soin de coordonner avec les services médicaux des Nations Unies ainsi qu’avec la police diplomatique suisse, conscient des risques pour sa sécurité et sa santé. Loin des projecteurs, son geste pacifique a néanmoins capté l’attention. Le Secrétaire général, António Guterres, lui écrit personnellement pour le remercier de sa « généreuse initiative ». À Genève, il échange avec Motaz Azaiza, célèbre photojournaliste palestinien, et se fait le relais d’une jeunesse épuisée par la guerre. Il utilise la Place des Nations, symbole de la diplomatie mondiale, comme espace d’expression silencieuse et musicale, interprétant des chansons de paix devant des passants parfois émus, souvent interpellés.

Ce n’était pas la première fois que Bruno Donat faisait entendre sa voix. Ses prises de position au sein des Nations Unies, notamment contre l’inaction de l’organisation face aux atrocités constatées sur le terrain, lui ont valu critiques, pressions et menaces. En mars 2024, alors qu’il se rend à New York pour poursuivre sa grève de la faim devant le siège de l’ONU, il se voit refuser l’accès aux lieux, malgré la présentation de ses documents officiels : badge de haut fonctionnaire, carte diplomatique et laissez-passer des Nations Unies. Pire encore : il est expulsé manu militari, alors qu’il filmait calmement son exclusion. « Ce jour-là, je n’étais pas qu’un haut fonctionnaire avec statut diplomatique, de couleur en surcroît. J’étais aussi un porte-parole des sans-voix, témoin de trop de morts, trop d’enfants broyés et de quelques enfants palestiniens chanceux, nous dit-on, amputés sans anesthésie à Gaza. Ils restent en vie. Mais quelle vie ! »

épisode douloureux

Poussé violemment au sol, blessé, entre autres, à la tête, il est transporté d’urgence par ambulance à l’hôpital. Un épisode douloureux qui a choqué celles et ceux qui le soutiennent, mais qui ne l’a pas fait reculer. Il a exigé que les images de vidéosurveillance soient préservées. À ses yeux, ce moment incarne ce contre quoi il se bat : une institution d’hommes et de femmes parfois égoïstes et lâches, aveugles et sourds aux douleurs qu’ils prétendent panser ou même atténuer.

Sa candidature au poste de Secrétaire général s’inscrit dans la continuité de ce combat. « Je n’ai pas l’ambition du pouvoir, même si j’ai quand même tourné dans la cour des très grands, des demi-dieux pendant un bon moment. J’ai l’ambition de continuer de servir, surtout là où les autres n’osent pas aller », dit-il simplement. Il revendique une vision humaniste et inclusive des Nations Unies. Son programme met au cœur ses deux objectifs principaux : utiliser une plateforme globale en faveur des bébés, garçons et filles de l’État palestinien et d’autres zones en conflit, et pour appuyer les candidates — qu’il souhaite voir davantage représentées — et qui postulent pour la même fonction suprême. M. Donat rappelle que depuis octobre 2023 à ce jour, plus de 400 humanitaires ont été tués par Israël à Gaza, dont « plus de 310 de mes collègues de l’ONU, très majoritairement bruns, comme moi, de l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA, en anglais) – et je le répète, souvent tués ensemble avec les membres de leurs familles : leurs bébés, filles et fils ».

franc-parler

Bruno Donat, dans un franc-parler assumé, ne cache rien de ses failles, ni des sacrifices consentis. En 2024, il vend sa voiture pour pouvoir contribuer davantage, de façon personnelle, à sauver des vies. Ce n’était pas plus mal de marcher, prendre le bus ou le métro ! Et comme l’habit ne fait pas le moine, nous dit aussi le théologien et politologue Bruno Donat, la belle berline avec immatriculation diplomatique ne fait pas le chef de bureau, lance-t-il avec une pointe d’humour assez désarmante.

« Les cruels et profiteurs passeurs demandaient 10 000 dollars pour un adulte, 5 000 pour un enfant, et, comme au marché de viande, aux alentours de 2 500 pour un bébé. Mais l’on ne fait jamais assez », confie-t-il. Cette expérience, marquée également par la solitude et la souffrance des familles palestiniennes, le silence assourdissant de certains et la complicité d’autres, ont forgé sa décision de se porter candidat pour commencer une certaine transformation profonde dans certaines instances internationales.

Aujourd’hui, il veut soit rendre à l’ONU son rôle originel, soit la transformer pour s’adapter aux nouvelles réalités. Au fait, Bruno Donat « ne blâme pas nécessairement la plus grosse bureaucratie mondiale, un bien ou un mal nécessaire ». « C’est nous, les hommes et les femmes qui avons le pouvoir et le devoir d’appuyer et mettre en œuvre la Charte des Nations Unies, le droit international, le droit humanitaire international, les droits humains qui faillissons pour beaucoup. Et il n’y a pas de responsabilisation adéquate. » Il déplore les blocages diplomatiques récurrents au Conseil de sécurité, la lenteur d’intervention sur le terrain et le manque de diversité dans les hautes sphères décisionnelles. « Il est encore temps qu’un Secrétaire général vienne d’un autre petit pays. Pourquoi pas de la Barbade ou de la Nouvelle-Zélande, pour ne citer que ces deux extraordinaires femmes que sont Mesdames Mia Mottley et Jacinda Ardern. J’ai trop de noms en tête : Mme Frannie Leautier de la Tanzanie. Nous devons aussi écouter plus attentivement le Sud global. » « Je suis mauricien, je viens d’une île, et pourtant, j’ai vécu plus de guerres que bien des généraux. Pas totalement stupide, je l’espère, j’ai été et suis toujours prêt à mourir pour sauver des vies. Et puis, au-delà du courage et d’une vision, il faut bien une graine de folie pour pouvoir oser, là où bien d’autres se taisent et se cachent », insiste-t-il. Sa voix se fait plus posée, mais son regard reste intense. Ce n’est pas un slogan, c’est un vivant témoignage.

profil atypique

Bruno Donat sait que son parcours, ses positions critiques et son profil atypique peuvent susciter la méfiance de certaines capitales influentes ou même des autorités parfois complexées devant une telle indépendance d’esprit. Justement, sur la page web www.brunoforsg.com, toujours en ébauche, l’on peut voir dès les premiers instants que M. Donat prône : « l’Authenticité, la Liberté et le Leadership éthique ». Intimidant, pour certains.

Il sait aussi que ses chances sont minces face aux jeux diplomatiques complexes qui entourent la désignation du Secrétaire général. Pourtant, il avance. Soutenu par des collègues, de terrain surtout, des ONG, des diplomates en leur capacité personnelle – pour le moment – et par un mouvement citoyen qui croit encore à une ONU qui protège les faibles plutôt que les puissants. La campagne ne fait que commencer.
Sa candidature est celle d’un homme blessé, mais debout. Celle d’un diplomate au cœur de musicien, d’un pacifiste en colère, d’un père symbolique pour des milliers d’enfants. Celle d’un Mauricien qui porte la voix de celles et ceux qu’on n’entend pas dans les salles vitrées de New York ou Genève. Qu’il soit élu ou non, Bruno Donat aura déjà marqué son époque. Et si demain, la paix avait un visage, ce pourrait être le sien.

  • Nou Lacaz

 

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