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[Blog] Un Budget à la chloroquine

Le ministre des Finances a présenté le Budget 2020-21 jeudi

La prescription : Cometh the hour, Cometh the man?

Cet après-midi, notre cher docteur nous a fait valoir sa prescription dans son style propre à lui pour exposer sa vision du « nouveau normal : l’économie de la vie ». A chacun de tirer ses propres conclusions une fois le Budget décortiqué dans les jours à venir. Entre-temps, voyons voir à chaud si son diagnostic et ordonnance répondent à nos attentes compte tenu de la situation inédite.

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Aux grands maux, les grands remèdes. Le ministre n’a certainement pas lésiné sur les moyens. Les dépenses passent à Rs 162.9 Md, avec un plan de Rs 454.3 Md pour les trois prochaines années, grâce aux fonds et prêts de Rs 174 Md prévalus de la Banque de Maurice (BOM) et d’autres parts. Ainsi afin de soigner l’économie, le ministre mise sur la consommation qui représentait 76% du PIB en 2019 et ses trois axes budgétaires.  

Comme on s’y attendait, la Covid-19 (mentionnée 16 fois) a eu bon dos. Notre économie est à terre en raison de la pandémie! Rien à faire avec les décisions prises dans le passé.  Un mauvais dépistage amène à de mauvais traitements Concentrons nous sur les remèdes, pas les excuses.

Les poumons

L’investissement, porteur de la création d’emplois, prévu initialement à 19.4% du PIB, est maintenant révisée à la baisse à 18.6% pour 2019-20 et annoncée à 18.9% pour 2020-21. Le Gouvernement met le paquet pour la relance, prévoyant d’investir Rs 113.9 Md en faisant la part belle à la construction  durant les trois prochaines années. Même si l’appétit y est, je me demande si la mise en œuvre ne souffrira pas pas d’un long délai dans la salle d’attente.

Les grands du tourisme et du secteur manufacturier, lourdement endettés et en manque de revenus, comptent beaucoup sur les Rs 80 Md du Mauritius Investment Corporation (MIC), nouvelle filiale de la BOM, pour leur pontage. Ne nous attendons pas à une partie de plaisir en espérant que l’argent des contribuables n’aillent pas renflouer les canards boiteux car les solutions win-win dépendront dans une grande mesure de l’expertise etl’indépendance des personnes appelées à gérer ces fonds ainsi que l’attitude des actionnaires et des banques. Mais n’oublions pas Air Mauritius, sous anesthésie mais si clé à notre connectivité sur le monde.

Le gouvernement mise  sur la promotion, les aparthotels et le relâchement du Invest Hotel Scheme pour la relance du tourisme. Souhaitons que le projet pharmaceutique public-privé annoncécomme une des mesures clés de la relance de la manufacture ne subira pas le même sort que le village pharmaceutique annoncéen grande pompe dans le budget en 2016. Et soit fait dans la transparence. Et que le Buy-Mauritus programme attire les consommateurs.

Osons attendre aussi que les mesures proposées pour l’assainissement de nos services financiers telles qu’un meilleur contrôle et l’introduction des nouveaux produits nous enlèvent de la liste noire fatidique de l’Union européenne. Et que le National Agri-food Development Programme aide à redémarrer l’agriculture et à améliorer le niveau de notre sécurité alimentaire.

Le démarrage de l’Intelligence Artificielle, de la Numérisation et de la Robotique, dont on avait fait grand cas dans le budget précédent, refait son apparition dans ce budget. Espérons que ces mesures ne restent pas lettre morte. De même que les mesures concernant l’énergie renouvelable, le changement climatique et l’économie circulaire.

L’économie bleue a été encore une fois malheureusement cantonnée  à la pêche. Le gouvernement ne se donne pas vraiment les moyens, avec un budget pour ce secteur similaire à l’année dernière.

Comme chaque année, le budget semble avoir aussi fait la part belle aux PME’s avec des fonds de Rs10 Mds mis à sa disposition. Espérons avec plus  de succès que la même mesure annoncée en 2015.

A travers ces mesures, après avoir récemment annoncé une décroissance entre 6.8% à 11%, le Gouvernement s’attend à atténuer la contraction de notre PIB, notre gâteau national, prévu déjà d’être contracté par 5.8% à Rs 467.6 Md cette année et de l’ordre de 7% l’année prochaine. Après quarante ans de croissance parfois anémique mais ininterrompue, le ministre s’attend à ce qu’on ne renoue avec la croissance qu’en 2021-22.

En ce qui concerne nos réserves en devises étrangères, qui assurent nos achats de l’étranger, elles représentaient 12.8 mois d’import en avril. Dues à une balance des paiements maintenant déficitaire et au récent transfert de Rs 80 Md, elles ont fondu comme neige au soleil ne représenteraient, d’après la BOM, que 9 mois d’import très bientôt.

Le coeur

La récession sera probablement longue mais certainement pénible surtout pour les classes sociales les plus fragiles. Alors que la crainte du chômage a déjà remplacé la pandémie comme le principal souci de beaucoup de ménages, la hausse des prix et les inégalités croissantes s’ajoutent à la plaie profonde qui risque de découler sur une crise sociale. Que propose le Gouvernement?

Même si le chômage calculé à 6.7% l’année dernière est appelé à augmenter, je n’ai pas entendu le ministre se prononcer sur le nombre des chômeurs. Sonnés par la crise et la perte de leurs droits à travers la Covid-19Act votée le mois dernier, les travailleurs, les plus grands sacrifiés ont eu la promesse de leur treizième mois, évidemment s’ils ont un emploi. Et une somme de Rs 5,100 par mois jusqu’à Décembre pour ceux qui seront en chômage technique. Les policiers et le personnel soignant qui ont travaillé durant le lockdown recevront une prime de Rs15,000.  

En ce qui concerne l’inflation, prévue initialement à 2% pour cette année, le chiffre a été révisé à  2.2 % pour cette année-ci et à 4% pour 2020-21. Le taux est surprenant car nonobstant la baisse des prix de pétrole et la baisse du prix de la bonbonne de gaz par Rs 30, la dépréciation continue de notre roupie et la direction imposée à la BOM vont inévitablement avoir un impact négatif sur le pouvoir d’achat des mauriciens.

Le Solidarity Fund passe de 5% à 25% pour ceux qui perçoivent plus de Rs 3m qui amène le taux de taxe à 40% pour eux. La cotisation à la NPF est aussi revue dans le même esprit apportant un revenu additionnel de Rs 3 Md en 2020-21.

En ce qui concerne l’État-providence le budget de la santé est réduit de 9.7 % à Rs11.7 Md, tandis que celui de l’éducation est réduit de  7.1% à Rs 15 Md et celui de la sécurité sociale augmente de15.7% à Rs36.7Md. Ces trois dépenses représentent 44% des dépenses courantes de l’Etat.

Le système sanguin

Comme mentionné plus tôt, au-delà des recettes traditionnelles de l’État, le financement de ces mesures pour cette année se fera comme suit : une « contribution » de Rs 60 Md de la BOM pour subvenir aux besoins courants du Gouvernement, Rs 80 Md alloués au MIC tirés des réserves en devises étrangères de la BOM, Rs 29.3 Md emprunté des institutions multilatérales, Rs 3Md de subvention des pays amis.

De ce fait, même si les fonds de la BOM ne sont pas comptabilisés, la dette brute publique prévue à Rs 324.5 Md, soit 61.6% du PIB pour cette année est maintenant estimée à Rs 339.7 Md soit 72.7% pour l’année en cours sur une base nette,  (Brute : 83.4%) Pour la prochaine année, la dette nette publique est prévue à Rs  353.6 Md, soit 78.2% (Brute: 86.4%) du PIB, bien au-delà du plafond autorisé de 65% qui a été enlevé par la Covid-19Act.

En ajoutant les montants recueillis de la BOM, le niveau passerait à 117% du PIB. Ce montant n’inclut pas les fonds empruntés pour financer les projets tels que le Metro Express ou Safe City et a été comptabilisé sur une base nette à l’encontre des conventions établies rendant les risques d’une sclérose bien réels.

L’impact sur le budget déficitaire est énorme. Pour l’année en cours, les recettes courantes  de l’Etat initialement prévues à Rs 114.8 Md ont été révisées à la baisse à Rs 97.2 Md et prévues à Rs132.9  Md pour 2020-21. Quant aux dépenses courantes budgétées à Rs 121.6 Md, elles ont été révisées à la hausse à Rs 141.5 Md et prévues à Rs 132.9  Md pour 2020-21.

Après avoir comptabilisé le mouvement du budget capital, le déficit budgétaire pour cette année est estimé à 13.6% du PIB. Étonnamment la prévision est à zéro pour l’année prochaine car le Gouvernement prévoit que les dépenses courantes et capital seraient au même niveau que les revenus du fait du transfert de la BOM: Rs 33 Md et Rs 27 Md pour les dépenses courantes et capital respectivement et un COVID Levy de Rs2.5 Md. A noter aussi que les recettes de Rs 11 Md prévues pour la privatisation en 2019-21 ont été révisées à Rs 4 Md en 2020-21.

Revenons si vous le voulez bien à la BOM. Au-delà de Rs 18 Md prélevées de la BOM l’année dernière, la BOM donne une subvention de Rs 60 Md au Gouvernement financée à travers un prêt équivalent, une tâche éminemment hasardeuse, d’après les spécialistes. Ensuite, de ses devises étrangères, La BOM compte investir Rs 80 Md dans les grosses entreprises en besoin de réanimation.

Rappelons qu’en Avril 2020, la BOM avait des actifs de Rs 302.7 Md, incluant les réserves en devises étrangères de Rs 280.4 Md, et des passifs de Rs 261.9 Md. De ce fait les fonds propres (Capital and Reserves) de la BOM s’élevaient qu’à Rs 40.8 Md. A vous de juger les conséquences du retrait de Rs 140 Md sur la clé de voute de notre économie et son effet d’entraînement.

Avec la pandémie et le captage de la BOM, le Gouvernement se retrouve dans le rôle du sauveur et se doit plus que jamais de donner le bon exemple en termes de gestion et de direction. La situation exige plus que jamais qu’il soit transparent, revoie son train de vie des grands jours et entame des réformes approfondies dans ce domaine.

Les nouvelles propositions en ce qui concerne les taxes sur les revenus ne  seront acceptées par tous que si elles parviennent à réduire les inégalités et si elles sont couplées de mesures qui prônent l’efficience. Et qui surtout n’asphyxie pas les générations à venir.

Diagnostic

Comme à l’accoutumée, nous avons eu droit à des grandes déclarations des plus ronflantes vu la situation exceptionnelle. Souhaitons que la plupart d’entre elles ne restent pas lettre morte comme ce fut trop souvent le cas dans le passé. Il ya certainement des mesures positives comme l’allocation chômage temporairepour pallier aux problèmes les plus pressants.

Mon souci demeure le pivot du budget :- la solidarité et la responsabilité.

Afin de régler les problèmes liés à la pandémie mais aussi des gabegies du passé, la relance se fait à travers l’augmentation des dépenses s’appuyant sur un endettement considérable caché sous différents couverts. Comme démontré plus tôt, en prenant en considération ces mesures, la dette représenterait  117% du PIB, ce qui est insoutenable pour un pays comme le nôtre.

S’étant créé une grande marge de manœuvre à court terme à travers ces fonds, le Gouvernement a choisi l’opacité. Les Rs 80 Md du MIC, destinées aux grosses entreprises et maintenant en Afrique, seront effectivement gérées hors budget car elles ne seront sujettes à aucun contrôle parlementaire ou surveillance publique.  

Et en étant forcé de débourser Rs 140 Md même si ses fonds propres ne s’élèvent qu’à Rs 40.8 Md, la BOM est sérieusement ébranlée. Et en cours de route, la BOM perd non seulement une partie de ses réserves les plus précieuses, avec tous les risques inflationnistes et de couverture de note approvisionnement de l’étranger que cela comporte mais aussi son indépendance et sa réputation institutionnelle. Prions qu’il n’y ait pas d’autres crises en vue car notre lender of last resort pourrait ne pas pouvoir répondre à l’appel.

Est-ce que le ministre a vraiment jeté les bases pour une refonte profonde de notre société et de notre économie? A-t-on innové et été solidaire? Ou est-ce que les générations à venir auront à subir les conséquences d’une guérison hasardeuse?

Souvenons-nous de l’hydroxychloroquine, tant exaltée comme remède miracle au début de la pandémie.  Non seulement un remède peu approprié mais peut-être néfaste, elle continue à faire débat. Attendons les avis plus éclairés des uns et des autres dans les jours à venir pour mesurer la portée du traitement proposé par notre docteur.

Par : Rajah Ramdaursingh

 

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