Dans toute société démocratique, la transparence est une vertu cardinale. Un pilier fondamental, voire une condition sine qua non de la légitimité gouvernementale. Le secret délibéré entourant une décision clé du gouvernement, comme la révocation d’un ministre, n’y sied pas.
Tout dirigeant qui se dit « à cheval sur les principes » ne peut se permettre, en aucune circonstance, de favoriser l’opacité, car cela va à l’encontre même de la notion de bonne gouvernance. Comme l’avait si justement affirmé l’ancien Secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan, « la transparence est le pilier de la confiance démocratique ».
Le devoir le plus impérieux d’un Premier ministre est de jouer cartes sur table. Les citoyens ne sont pas de simples spectateurs dans le théâtre politique. Ils ont le droit souverain de connaître les motifs de cette décision cruciale exécutée, surtout avec urgence, un dimanche soir.
À coup sûr, un Premier ministre ne révoque pas un ministre sur un coup de tête, sur un caprice ou sur la base de spéculations. Et surtout pas Pravind Jugnauth, dont la réputation d’homme politique pondéré est largement établie. Le leader du MSM n’est pas connu pour être impulsif ou intempestif. Il agit toujours à tête reposée. Et il dit mener « ses propres enquêtes ».
Cependant, son argument, selon lequel « conformément aux procédures, je ne suis pas tenu de donner les raisons à qui que ce soit, même pas au président de la République. Cela a été le cas sous plusieurs gouvernements », ne convainc pas le public. D’autant plus qu’il avait agi autrement au moment de la révocation du leader du Muvman Liberater, Ivan Collendavelloo.
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Les informations parcimonieuses fournies par Pravind Jugnauth laissent transparaître que son ministre de l’Agro-industrie aurait fait preuve d'indiscipline et de manque de droiture. « Mo pa les ale. Kan gagn malad latet, bizin pran konprime. Pa les vinn kanser, lerla bizin koup latet (…) Monn touzour dir ki li o nivo mo parti ou gouvernnman, bizin ena disiplinn, enn kondwit drwat. Se pourkwa bann desizion mo pran, mo asim plennman », avait dit Pravind Jugnauth lundi soir lors d’une activité politique à Plaine-Verte.
Cette explication paraît bien trop superficielle pour justifier une mesure aussi radicale. Il serait inconcevable que cette révocation soit motivée par de simples actes d’indiscipline, tels que la prolongation d’un voyage privé contre l’avis du Premier ministre ou des propos désobligeants tenus à son encontre en son absence. Il serait tout aussi ahurissant d’imaginer que, dans la dernière ligne droite de son mandat, le Premier ministre prenne d’aussi gros risques électoraux. Il aurait bien pu attendre le moment de la distribution des investitures pour les prochaines élections pour régler ses comptes, en privant Vikram Hurdoyal d’investitures, comme ce sera le cas pour pas mal d’élus. Ceux qui ont été au centre des controverses ou qui ne sont pas en odeur de sainteté auprès de leurs mandants.
Ainsi derrière cette décision, à la fois délicate et risquée, il semble y avoir bien plus qu’il n’y paraît. Ou encore beaucoup bien plus que ce qui a été dit officiellement jusqu’ici. Les termes « discipline » et « bonne conduite » semblent bien trop légers pour expliquer cette mesure draconienne. Ce qui laisse croire qu’il y a anguille sous roche.
Vikram Hurdoyal a-t-il eu une conduite que le Premier ministre a jugée inacceptable et qui mérite une sanction à la mesure de la faute et sans sommation ? Est-ce la raison pour laquelle Pravind Jugnauth n’a pas attendu le retour au pays de son ministre de l’Agro-industrie pour lui réclamer des explications avant de lui donner sa feuille de route, voire signer son retour « dan karo zanana » ?
Le planteur de l’Est se dit « déçu par la façon de faire du Premier ministre » mais il affirme qu’il respecte sa décision, comme il l’a déclaré dans l’édition du mercredi 14 février 2024 du Défi Quotidien. On le comprend. Le silence autour de cette révocation pourrait être rompu si Vikram Hurdoyal décidait de desserrer les dents sur ce sujet, comme l’avait affirmé le Pravind Jugnauth à la presse : « Tank ki Hurdoyal pa fer komanter, mo pa pou fer. Si ena lie, mo a bizin fer. » Cette déclaration, en apparence anodine, fait réfléchir certains. En lisant entre les lignes, ils se demandent si c’est une indication subtile que la responsabilité de la situation ne repose pas uniquement sur les épaules du ministre révoqué ? Est-ce une faute partagée dans une certaine mesure ? Dans un monde où l’information circule à la vitesse de la lumière sur les plateformes en ligne, le silence peut être interprété de diverses manières, souvent à l’avantage de ceux qui propagent des théories du complot ou des accusations infondées.
Les réseaux sociaux, véritables amplificateurs de la controverse, peuvent transformer des conjectures en vérités perçues par le grand public. Certains balancent des allégations scabreuses à l’effet que cette révocation serait liée à l’allocation de permis d’exportation de singes et la conversion de terrains agricoles en terrains industriels, entre autres. Au fur et à mesure que le doute s’instillera dans la conscience populaire, l’atmosphère risque d’être empoisonnée pour le gouvernement qui devra consacrer beaucoup de temps à démentir chaque allégation.
Cet exercice d’équilibriste n’est pas le bienvenu à l’approche de la campagne électorale car Pravind Jugnauth doit s’attendre à ce que l’opposition envenime davantage la situation en jetant de l’huile sur le feu.
Qu’il le veuille ou non, le mystère autour de cette révocation sera un des grands thèmes de la campagne de l’opposition. Déjà, dès la rentrée parlementaire le leader de l’opposition, Xavier-Luc Duval, consacrera sa première Private Notice Question à ce sujet. Le Premier ministre doit prendre conscience du pouvoir des réseaux sociaux et de l’importance de la transparence pour préserver la confiance du public. Plutôt que de se replier dans un silence de plomb, il serait plus avisé pour lui de fournir des explications claires et concises sur cette révocation afin d’éviter que ce ne soit le MSM qui soit plombé.
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