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[Blog] Budget 2020-2021 : Le Docteur R. Padayachy «inn pass dan fail»

Malenn Oodiah

En l’absence d’un plan de relance que le Dr R. Payadachy avait annoncé mais qui n’a jamais été présenté, le budget 2020-2021 aurait dû être plus stratégique avec des mesures immédiates;

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i) pour sauver les entreprises, les emplois et l’économie afin de limiter la casse sociale ;

ii) pour consolider ou mettre à jour les chantiers qui devaient s’attaquer aux faiblesses des piliers de l’économie ;

iii) jeter les bases d’un modèle de développement d’avenir. La situation inédite exigeait une maîtrise technique et des qualités d’écoute emphatique, de l’imagination, de l’innovation et de l’audace.

Le Dr Padayachy «inn pass dans fail» sur toute la ligne tant dans la forme que dans le fond, dans l’approche, la méthode et le style. C’est un budget fait à la va-vite, un budget de facilité avec le recours à des réserves de la Banque de Maurice (BoM), c’est du bricolage sans cohérence et porteur d’aucune vision. En lieu et place d’un budget s’appuyant sur un réel diagnostic de l’impact du Covid 19, le ministre des Finances nous sert du Business as Usual, en pire.

Facilité et dangerosité

Nous évaluions il y a plus d’un mois que l’Etat devrait injecter Rs 75 milliards pour sauver l‘économie et limiter la casse sociale. Cela aurait pu prendre la forme d’emprunts auprès de fonds internationaux. L’option choisie est la facilité d’un grant de la BoM qui comporte une forte dose de dangerosité pour la société mauricienne. Le principe sacré de la séparation des pouvoirs entre des institutions (dans ce cas la BoM) et l’exécutif a été bafoué, et c’est dangereux. L’opacité de la MIC a été relevée. Les analystes et critiques ont aussi relevé avec justesse l’accélération de la dépréciation de la roupie avec pour conséquence l’inflation et la baisse du pouvoir d’achat.

L’absence de mesures fortes de solidarité et d’exemplarité est parlante d’une élite dirigeante déconnectée qui demande des efforts et des sacrifices à d’autres qu’elle. Attention au traitement car au final il peut s’avérer être un remède qui tue.

Sauver les entreprises  et les emplois

Le PIB va subir une contraction de 11%, d’ici décembre il y aura des centaines d’entreprises en faillite et 100 000 chômeurs. Il y avait urgence pour limiter la casse sociale, entre autres parce que le chômage est vécu par ceux qui en sont victimes comme une mort sociale. L’État a fait le nécessaire pendant un temps mais la suite du soutien reste très problématique tant sur les critères d’éligibilité que sur des conditions applicables. Il en est de même pour l’allocation chômage de Rs 5 100. S’agissant des PME et TPE, la formule « Le budget leur permet de s’endetter davantage auprès de la Banque de développement » résume bien la situation. La réaction de Business Mauritius en dit long sur son appréciation des mesures annoncées. Nous saurons très vite si les mesures atteignent les objectifs.

Consolidation et reconstruction

Nous sommes dans une guerre autre que sanitaire. Elle est économique celle-là, et a pour fond une crise économique mondiale touchant à la fois l’offre et la demande. C’est dans cet environnement qu’il faut remettre à jour notre modèle de développement. Quand on sait qu’il y a au moins une vingtaine de problématiques stratégiques qui demandent une attention particulière, savoir distinguer l’urgence de l’essentiel est une exigence. Relevons ici l’absence d’une politique d’envergure en faveur de la jeunesse pour libérer les énergies. L’absence de priorités est tout simplement ahurissante. On reste dans le développement bling bling avec la poursuite du Metro Express et autres projets de prestige aux noms ronflants qui ne sont ni prioritaires ni productives. Les enjeux de notre temps demandent une attention spéciale à l’aménagement du territoire en intelligence parfaite avec l’environnement dans le grand dessein de faire de l’agriculture l’un des trois principaux piliers du nouveau modèle de développement.

Il est bon de revenir sur des propositions budgétaires déjà faites. Planter 1 million d’arbres sur six mois coûterait Rs 50 millions en plantules et autres coûts, avec comme résultat annuel à terme la production de 130 000 tonnes d’oxygène, l’absorption de 25 000 tonnes de Co2 et de 11 milliards de litres de l’eau pluie. 1 million d’arbres c’est l’équivalent de 10 millions de climatiseurs. Développer 1 000 pépinières sous forme de micro-entreprises sociales équivaut à la création de 2 000 à 5 000 emplois sur une superficie totale de 50-100 arpents répartis à travers le pays. 100 000 zardin droms, c’est Rs 150 millions d’investissement initial générant dès la première année Rs 200 millions. La société civile est déjà bien engagée sur ce chantier. L’idée est de valoriser la meilleure banque qui soit : terre.

L’adage « Quand le bâtiment va, tout va » demande à être repensé sérieusement en raison du virus du bétonnage dont souffre notre territoire. La construction de 12 000 logements en trois ans si elle exclut une partie qui en a le plus besoin, restera un effet d’annonce. Nous avons dans une récente analyse-réflexion expliqué que le tourisme mauricien est arrivé à une fin de cycle. Le budget n’intègre pas cette donne fondamentale, et le sort d’Air Mauritius est incertain. Ouverture braderie. On a depuis trop longtemps confondu ouverture aux étrangers nécessaire pour notre pays avec une ouverture-braderie. Ce budget brade davantage tout en fragilisant le tissu social.Le fonds de pension est au cœur de la bombe démographique, problématique qui nécessite une approche globale. La démarche adoptée sur cette question de fond qui touche toute la population est tout simplement inacceptable. Tous les acteurs sociaux et la société civile dans son ensemble doivent être consultés pour dégager une solution durable et juste.

Budget, la résistance et l’Affaire de la centrale St Louis

Le budget a réussi l’exploit de mettre tous les acteurs sociaux et une très grande majorité de la population à dos. La population est minée par l’angoisse, la colère, la souffrance, le mécontentement. Des manifestations sont en gestation. L’affaire de la centrale St Louis vient amplifier les tensions socio-politiques. La rue va bientôt commencer à parler.

Affaire centrale St Louis, corruption et gouvernance

L’affaire de corruption entourant le redéveloppement de la centrale thermique St Louis se déroule sur un fond trouble. Maurice figure sur la liste noire de l’Union européenne et la Banque africaine de développement va partiellement financer la « relance » sous forme d’emprunt à hauteur de plus de Rs 8 milliards. La situation est très grave. Il y a en jeu l’image du pays auprès d’institutions internationales comme le Fmi, la Banque mondiale, l’Union européenne, l’Agence française de développement. Le secteur BPO (avec 20 000 jeunes qui y travaillent) se fragilise davantage avec déjà toute la problématique des traités de non-double imposition ave l’Inde et certains pays africains.

Pravind Jugnauth doit assumer pleinement et entièrement ses responsabilités de Premier ministre. Il aime dire « Mo kone kot mo pe amenn sa pei la ». Il a aussi, dans des discours précédents, évoqué les mafias qui sont à l’œuvre à Maurice. A en juger par ses réponses au Parlement, il ne serait cependant pas au courant de ce qui se passe de grave au sein de « l’administration mauricienne » (pour reprendre l’expression de la BAD).

Maintenant que le pays serait Covid-free, il faut que le pays devienne corruption-free et mafia-free. Le temps presse pour envoyer des signaux forts. Une enquête de l’ICAC ne suffit pas ! Le leader de l’opposition, Arvin Boolell aurait remis au Premier ministre des informations sensibles. La balle est dans le camp de ce dernier. Le paravent légal ne peut être une mascarade. Pour utiliser une expression à la mode, « pa kapav boure mam » ! C’est la gouvernance concrète qui est en jeu.

Voilà où nous en sommes une semaine après le budget. Dans un jeu de rapports de force où un gouvernement opte pour des abus d’autorité, des décisions unilatérales, des velléités de verrouillage de l’information. Contre une population, des organisations et associations avec leur légitimité, leurs intelligences, leur sens de responsabilité et leurs énergies positives. La situation inédite exige une démarche collaborative porteuse de synergie et de vie. Il y a un pays à sauver.

Malenn Oodiah

 

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