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Black Friday : coup d’arrêt dans la bataille contre le plastique

Dans l’analyse qui suit, le consultant en environnement, Sunil Dowarkasing, estime que le gouvernement a fait marche arrière en levant l’interdiction du plastique à usage unique sur trois articles majeurs que sont les gobelets, bols et contenant alimentaires, courbant l’échine devant des lobbies du secteur privé. Pour lui, c’est un Black Friday le jour où le Cabinet a promulgué ces réglementations, soit le 12 novembre, 2025.

Sunil DowarkasingLe 12 novembre 2025, le ministre de l’Environnement et son Junior Minister ont participé à un atelier de validation d’une journée consacrée au Plan stratégique national, dans le cadre du projet « Développement d’une feuille de route pour un Maurice sans pollution plastique » tenu au Maritim Resort and Spa, à Balaclava. Ce nouveau projet ambitionne de mettre en place un cadre national cohérent pour lutter contre la pollution plastique, en particulier en milieu marin, en renforçant les mécanismes politiques, juridiques et institutionnels. 

En à peine 16 jours, c’est un véritable retournement de veste : incroyable mais vrai. Le gouvernement opère un virage à 180 degrés sur la question des ustensiles en plastique, une décision qui semble, une fois de plus, etre dictée par la pression de certains acteurs du secteur privé.

Le vendredi 28 novembre 2025, alors que toute l’île vibrait au rythme du « Black Friday », le Conseil des ministres a offert son propre « Vendredi Noir » à l’environnement en décidant, contre toute logique écologique, de lever l’interdiction sur trois articles majeurs en plastique à usage unique : gobelets, bols et contenants alimentaires. Une décision incompréhensible, rétrograde et lourdement dommageable pour un pays déjà submergé par la pollution plastique. Le plus affligeant encore est d’entendre la ministre junior de l’Environnement affirmer qu’il n’y a « aucun recul » — alors même que ce choix démantèle des années d’efforts, affaiblit les politiques publiques et envoie un message catastrophique aux citoyens et aux acteurs engagés. À l’heure où le monde entier cherche à réduire le plastique, Maurice fait marche arrière, au détriment de sa santé publique, de ses écosystèmes et de son image de nation responsable.

Lancée en grande pompe le 28 mars 2022 par l’ex-ministre Kavydass Ramano, la Feuille de route de la MCCI pour une île Maurice sans déchets plastiques devait marquer un tournant majeur. Trois ans plus tard, elle demeure pourtant largement sans suite. L’étude, qui réaffirme l’engagement du secteur privé et propose un plan détaillé avec échéances, coûts et implications pour la sécurité alimentaire, n’a débouché sur aucune avancée significative. Le cadre réglementaire n’a guère évolué, les recommandations restent lettre morte et l’objectif d’une île Maurice sans plastique semble s’être dissous dans l’inertie administrative et l’absence de volonté politique. Cette feuille de route, ambitieuse sur le papier, illustre une fois de plus l’écart persistant entre les annonces et l’action réelle.

Le fardeau plastique de Maurice - surtout les bouteilles en PET

PET Bottles (130 million.year)

Maurice génère environ 116 000 tonnes de déchets plastiques par an, dont environ 71 000 tonnes (61 %) finissent dans les décharges, tandis que 42 000 tonnes (36,5 %) ne sont pas tracées, et seulement 2,5 % sont recyclées.

Pour ce qui est des bouteilles en PET, on estime que 130 millions d’unités - soit 2 500 tonnes de plastique - sont mises sur le marché chaque année. Parmi celles-ci, environ 40 % (52 millions de bouteilles) sont recyclées, tandis que les 60 % restants (78 millions de bouteilles) finissent par polluer l’environnement.

Au-delà des bouteilles PET, la majorité des déchets plastiques est constituée de matériaux d’emballage.

Les Risques Cachés des Plastiques PET Tout au long de leur Cycle de Vie 

Voyons les phases de production : la fabrication des bouteilles en PET est extrêmement gourmande en ressources, reposant sur le pétrole brut et le gaz naturel. La production d’une bouteille PET à usage unique de 500 ml génère environ 82 à 100 grammes de CO₂ équivalent (gCO₂e), selon le procédé utilisé et la proportion éventuelle de PET recyclé. Si l’on inclut l’ensemble du cycle de vie — embouteillage, transport et élimination — l’empreinte totale peut atteindre 200 à 300 gCO 2 et par bouteille.

Le processus émet d’importantes quantités de gaz à effet de serre, contribuant au changement climatique. Environ 70 à 80 % des émissions proviennent de la production du plastique lui-même (extraction du pétrole brut, polymérisation et moulage), tandis que le reste est lié au transport, à l’embouteillage et au traitement en fin de vie.

Phase d’utilisation

Bien qu’elles soient présentées comme sûres, des études montrent que les bouteilles en PET peuvent libérer des substances chimiques nocives, telles que l’antimoine et les phtalates, surtout lorsqu’elles sont exposées à la chaleur ou utilisées.

Phase d’élimination

À Maurice, avec 130 millions de bouteilles consommées chaque année — soit 2 500 tonnes de plastique — les systèmes de gestion des déchets sont déjà sous pression. Seules 40 % (52 millions) sont recyclées, tandis que 60 % (78 millions) finissent dans la nature.

Le PET persiste pendant des siècles, se fragmentant en microplastiques qui contaminent les sols, les rivières, les océans, la chaîne alimentaire — et finissent inévitablement par atteindre les humains.

Empreinte carbone

• Total de bouteilles PET consommées par an : 130 000 000
• Empreinte carbone par bouteille PET de 500 ml : 100 g CO₂e = 0,1 kg CO₂e
Si 1,3 million de personnes consomment 130 millions de bouteilles PET par an, l’empreinte carbone totale est d’environ 13 000 tonnes de CO₂ équivalent annuellement.
 

 Comment Maurice a (mal) géré sa pollution plastique

Bien que les plastiques aient été identifiés comme polluants dès les années 1970, Maurice n’a longtemps pris aucune mesure significative. À l’époque, le pays sortait à peine du colonialisme et les priorités environnementales étaient totalement absentes des agendas politiques. Il a fallu attendre 1992, avec la création du ministère de l’Environnement dans le sillage du Sommet de la Terre de Rio, pour que la question commence timidement à exister — mais sans réelle action pendant près de trois décennies.

Ce n’est qu’en 2020–2021 que le gouvernement a enfin amorcé un tournant. Le budget national annonçait alors une refonte du cadre réglementaire et institutionnel pour lutter contre la pollution plastique : interdiction des sacs plastiques à usage courant, des « roll-on bags » et des sachets de moins de 300 cm² ; élaboration d’un mécanisme national de collecte des bouteilles PET ; interdiction de dix produits plastiques à usage unique ; installation d’éco-boxes dans des zones stratégiques pour encourager le recyclage.

Des annonces ambitieuses, certes — mais arrivées tardivement. À Maurice, la lutte contre le plastique a trop longtemps avancé au rythme des bonnes intentions plutôt qu’à celui des décisions structurantes

Deux règlements sont entrés en vigueur en 2020

En matière de protection de l’environnement, deux réglementations majeures sont entrées en vigueur en 2020 : les Control of Single-Use Plastic Products Regulations et les Banning of Plastic Bags Regulations. Environ une dizaine de produits plastiques à usage unique ont été interdits et les sacs en plastique ont été bannis. Toutefois, les bouteilles en PET et les emballages ont été curieusement exclus, sous la pression des grandes entreprises d’embouteillage et d’importation. Une omission de taille, puisque ces articles comptent parmi les principaux contributeurs à la pollution plastique à Maurice.

Le pire reste à venir concernant ces réglementations :
• Elles sont entrées en vigueur le 15 janvier 2021.
• Elles ont expiré le 15 janvier 2023.
• Le précédent gouvernement les a prolongées jusqu’au 15 janvier 2025.
• Le nouveau gouvernement vient de les prolonger à nouveau jusqu’au 15 janvier 2026.

Année après année, rien ne change. Gouvernement après gouvernement, aucune avancée réelle : le statu-quo persiste
 

 Rapport de l’Audit 2025

Les lacunes dans la gestion du plastique

Le Department of Environment a entrepris plusieurs initiatives pour lutter contre la pollution plastique, avec l’ambition de faire de Maurice un pays « zéro plastique ». Pourtant, les règlements révisés sur la protection de l’environnement n’avaient même pas été finalisés. Le Rapport de l’Audit 2025 a souligné plusieurs manquements importants.

Je cite : « Revised Environment Protection Regulations Not Yet Finalised — En novembre 2022, le Department of Environment a proposé 15 amendements pour encourager l’utilisation de produits biodégradables dans le cadre des Environment Protection (Control of Single-Use Plastic Products) Regulations 2020 et 23 amendements aux Environment Protection (Banning of Plastic Bags) Regulations 2020. »

Et encore : « As of September 2024… — En septembre 2024, soit plus de 22 mois plus tard, 13 amendements relatifs aux Environment Protection (Control of Single-Use Plastic Products) Regulations 2020 n’étaient toujours pas finalisés. S’agissant des règlements interdisant les sacs en plastique, 17 amendements aux Environment Protection (Banning of Plastic Bags) Regulations 2020 étaient encore au stade de discussions depuis plus de 17 mois. »

Ce n’est qu’en septembre 2024 que le contrat de consultance pour élaborer la feuille de route a été attribué à l’Université de Maurice, qui a commencé la révision des réglementations. Les travaux devraient être achevés en août 2025.

Les leçons d’ailleurs

Rodrigues…

L’île Rodrigues et le Rwanda offrent deux leçons puissantes que Maurice doit impérativement retenir si elle veut sortir de sa dépendance au plastique. 
Rodrigues démontre qu’une petite île peut obtenir des résultats remarquables malgré des moyens limités lorsque le leadership politique est ferme et cohérent. Les interdictions des sacs eb plastique et des produits à usage unique ont été appliquées sans exceptions ni passe-droits, soutenues par une sensibilisation communautaire efficace et des contrôles réguliers. Résultat : ces plastiques ont quasiment disparu des espaces publics et des marchés, les habitants adoptant massivement des alternatives réutilisables ou biodégradables. L’île illustre ainsi qu’une gouvernance déterminée et l’adhésion citoyenne permettent d’atteindre une gestion durable et exemplaire des plastiques.

...et Le Rwanda 

Le Rwanda, souvent cité comme l’un des pays les plus propres au monde, montre qu’une législation audacieuse, combinée à une application stricte et à une culture nationale de responsabilité, peut transformer non seulement la gestion des déchets, mais aussi tout un état d’esprit collectif. Son interdiction nationale des sacs en plastique depuis 2008, suivie de contrôles encore plus rigoureux sur d’autres plastiques, a réussi parce que le gouvernement, le secteur privé et les citoyens avancent dans la même direction, avec une tolérance zéro envers la non-conformité.

Le pays a réussi à éliminer quasiment ces plastiques de ses espaces publics et marchés. Cette réussite repose sur une combinaison de législation ferme, d’inspections régulières, de campagnes de sensibilisation et de promotion d’alternatives réutilisables ou biodégradables. Il existe une culture de responsabilité environnementale, faisant du Rwanda un exemple de gestion efficace et durable des plastiques à usage unique.

Les deux exemples prouvent que le succès repose sur le courage politique, non sur des feuilles de route interminables ; sur l’application réelle, non sur des exemptions ; sur une vision à long terme, non sur des réglementations hésitantes. 

Le message est limpide : quand le leadership est ferme, cohérent et constant, une société sans plastique n’est pas un rêve - elle devient la nouvelle normalité.

Rhétorique sans résultats

Pourquoi le plastique continue-t-il de gagner ?

Tout comme les négociations des Nations -Unies à Genève n’ont pas réussi à offrir une avancée décisive face à la crise mondiale du plastique, Maurice peine elle aussi à faire face à la pollution plastique sur son propre territoire. Malgré des années de règlements, d’interdictions et d’annonces politiques, la réalité demeure implacable : les déchets plastiques continuent de saturer nos décharges, de polluer nos lagons et d’obstruer nos rivières. L’écart entre engagements et mise en œuvre reste immense entre amendements retardés, application insuffisante et exclusion de produits majeurs comme les bouteilles en PET et les emballages des interdictions. 

À l’image de la communauté internationale, nous restons piégés dans un cycle de promesses sans résultats concrets, où pressions corporatives, politiques fragmentées et absence de responsabilité freinent tout véritable progrès. Si l’ONU peine à agir avec urgence et ambition sur la scène mondiale, Maurice reflète ce même échec au niveau national soulignant l’impérieuse nécessité d’un leadership plus fort, d’une véritable reddition de comptes et d’un passage urgent de la rhétorique aux résultats.

Par Sunil Dowarkasing

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