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Bibi Sabra Farzanah : quand la réalité rejoint la fiction

La cheville fracassée en plusieurs morceaux du père de Farzanah.

Pour donner du mordant au film, pour accrocher les spectateurs, le scénariste imaginera plusieurs rebondissements pour pimenter son récit, plusieurs retournements de situation. Souvent, il augmentera les malheurs du héros ou de l’héroïne. Ce qui poussera les spectateurs à dire : « Mon Dieu ! Cet homme (ou cette femme) a connu bien des malheurs, a traversé bien des tempêtes dans sa vie ! » Mais, ça c’est au cinéma. L’on pourrait se dire qu’autant de malheurs n’arriveront pas à quelqu’un dans la vie réelle. Et pourtant… Et pourtant… Lisez le récit suivant.

1980. Bibi Sabra Farzanah est la seule fille parmi les cinq enfants de ses parents. Elle est la troisième de rang. Son père, Abdool, est employé comme chauffeur pour un van scolaire. C’est le seul métier qu’il fera toute sa vie.

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Tout se déroule tranquillement jusqu’à un jour fatidique de 2001. Ce jour-là, Farzanah fête son 21e printemps. Son frère Ajmad Ali, l’aîné, loue une voiture pour l’emmener faire une balade. Mais Farzanah ne se sent pas très bien et décline la proposition. Alors son frère part faire une virée avec quelques cousins. Sur le chemin du retour, la voiture dérape et fait un terrible accident à Rose-Hill. Ajmad subit une fracture du crâne. Il est admis à l’hôpital de Candos avant d’être transféré à MedPoint, puis à l’hôpital du Nord. Il mourra 20 jours après l’accident. 20 jours d’une angoisse insupportable subis par toute la famille.

Huit ans après, Farzanah et ses proches connaîtront un deuxième malheur similaire. En ce jour de 2009, un dimanche, Ashraf, le cadet des enfants, passe quelques moments avec leur mère avant de proposer à toute la famille d’aller déguster une glace à Rose-Hill. On est en début de soirée. À un certain moment, tout le monde est déjà sur place, sauf Ashraf qui doit les rejoindre à moto. Ils se demandent où il est.

Vers 21 h, Farzanah et les siens reçoivent un appel et la nouvelle est terrible. Ashraf a fait un accident et git sur le coaltar, la cervelle éclatée. « Je me souviens qu’avant de quitter la maison ce jour-là, il avait promis à maman de l’aider à nettoyer le salon. Il n’a pu tenir parole. Il n’avait que 27 ans », soupire Farzanah.

La jeune femme raconte que le même frère, sans qu’il ne le sache, avait un jour roulé sur la jambe de leur père avec un véhicule. Il faisait marche arrière et ne savait pas que leur papa était assis derrière la voiture. Quand il s’est rendu compte, il était trop tard : son genou était fracturé. Cette blessure laissera des séquelles irréversibles puisque le père de Farzanah ne pourra plus jamais plier le genou. Il sera ainsi forcé de prendre sa retraite comme chauffeur.

Cruelle blessure

Dans ses vieux jours, Abdool subira une nouvelle blessure cruelle. Le 6 octobre 2022, vers 8 h, il est non loin des locaux de la Sécurité sociale de Curepipe, attendant le bus pour retourner à Camp Le Juge où il habite. Soudain, une femme arrive, se cogne contre le trottoir abîmé et atterrit sur lui.  Abdool, qui est âgé et très maigre, voit sa cheville être brisée en trois morceaux.

Ces malheurs survenus à son père ont beaucoup fait souffrir Farzanah en son for intérieur. « Mon père, c’est la personne que j’aime le plus au monde. Il est tout pour moi. Il fut un temps où je souffrais beaucoup à cause des varices. Il a mendié pour trouver de l’argent nécessaire afin de me faire soigner. Tu es mon unique fille. Je ne peux pas te voir souffrir » m’a-t-il dit quand je lui ai demandé pourquoi il avait accepté de s’abaisser pour trouver de l’argent pour moi », explique-t-elle.

À l’heure actuelle, Farzanah se débat pour que son père reçoive une compensation adéquate de la part des autorités concernées suite à la grave blessure subie à cause du mauvais état du trottoir. Car si la femme ne s’était pas cognée contre ce trottoir (rapidement réparé depuis, selon Farzanah), elle ne serait pas tombée sur Abdool pour le blesser si gravement. « Cette blessure a été si grave qu’à certain moment, nous avions tous eu peur que le pied soit amputé. J’ai dépensé mes économies pour qu’il puisse être soigné dans une clinique privée. Dieu merci ! sa jambe a pu être sauvée », avance-t-elle.

Malheurs personnels

Farzanah, en sus d’avoir assisté à tous les malheurs arrivés à ses proches, n’a personnellement jamais été heureuse non plus. Elle, qui a un fils aujourd’hui âgé de 15 ans, a été pendant longtemps une femme battue, humiliée, forcée à satisfaire les demandes de l’homme avec lequel elle partageait sa vie après leur rencontre en 2001. « Pendant au moins une dizaine d’années, ma vie a été un enfer à ses côtés. Je porte encore les séquelles de ses coups. Tout cela devant les yeux de notre fils qui est traumatisé par tout ce qu’il a vu. Son père a un casier judiciaire bien fourni au poste de police de Curepipe.

J’ai même dû chercher un Protection Order contre lui », raconte-t-elle. Pour se protéger, elle a dû fuir le toit familial pour se réfugier, en deux occasions, dans des centres d’accueil pour femmes et enfants.

À l’heure actuelle, Farzanah loue une maison à Saint-Paul qu’elle occupe avec son fils. Elle lutte pour obtenir un logement NHDC, mais les difficultés semblent de taille. « Dans le passé, j’ai entamé des démarches pour une maison NHDC pour mes parents et je me suis présentée comme copropriétaire. Je n’habite pas dans cette maison. Quand j’ai entamé des démarches pour en avoir une pour moi, on me dit que je ne suis pas éligible. Mais je ne sais où aller avec mon fils. Je ne savais pas que ma précédente démarche me causerait du tort. Je l’ai fait pour mes parents », explique-t-elle. Cette non éligibilité a été confirmée par la NHDC à la rédaction. Y-a-t-il quand même un mince espoir pour elle ? On ne le sait pas.

Entre-temps, elle continue à rendre visite à son père qu’elle aime tant. « Ma mère s’occupe de lui autant qu’elle peut. Il y a aussi mes deux frères qui vivent sous le même toit et qui ne négligent pas papa et maman. Malheureusement, ils ont leurs défauts, bien qu’ils soient de bons fils », dit Farzanah.

En dépit de tous les malheurs qu’elle a connus, Farzanah veut continuer à lutter. Par amour pour son père, par amour pour son fils à qui elle souhaite offrir un toit.

 

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