À 27 ans, Bhavesh Jhugroo transforme sa passion pour les nénuphars et lotus en un projet écologique et entrepreneurial, alliant beauté, patience et innovation.
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Bhavesh Jhugroo s’agenouille au bord d’un bassin de Quatre-Bornes. Une main dans l’eau, il redresse une feuille de lotus qui tangue, ajuste le niveau d’eau d’un nénuphar, note la couleur d’un pétale. Dans le silence du jardin, chaque geste est mesuré, presque mécanique, et pourtant chaque plante répond à sa présence.
À seulement 27 ans, il fait partie de ces jeunes Mauriciens qui inventent un autre rapport au travail et à la nature. Debt Advisor chez UK Debt Expert le jour, il consacre le reste de son temps à sa passion : les plantes aquatiques. Ce qui n’était qu’une curiosité est devenu un projet structuré, à mi-chemin entre horticulture, art et écologie. « Je voulais comprendre comment une fleur pouvait s’épanouir sur l’eau, sans terre, presque en apesanteur », dit-il, en caressant du regard un lotus rose pâle.
Tout commence en 2019, un après-midi ordinaire. En longeant une rivière, Bhavesh remarque une fleur flottant sur l’eau. « C’était mon premier nénuphar tropical. J’ai été fasciné par sa beauté et le calme qu’il dégageait. » Cette rencontre déclenche chez lui une curiosité qui deviendra obsessionnelle. Il lit, observe, compare. Les nuits sont parfois courtes, les recherches nombreuses : cycles de floraison, types de substrat, équilibre entre lumière et température.
Peu à peu, son jardin se transforme en laboratoire. Son premier bassin est bricolé avec les moyens du bord : quelques pots, un récipient d’eau, un substrat adapté. Rien de spectaculaire, mais une rigueur déjà visible. « J’ai commencé petit, dans le jardin familial. Voir la première fleur éclore m’a procuré une satisfaction immense. »
En autodidacte, il apprend à reconnaître les familles de nénuphars : tropicaux, rustiques, hybrides, et bien sûr, les lotus. Chacun a ses exigences. « Les tropicaux fleurissent presque toute l’année, alors que les rustiques s’épanouissent surtout entre mars et juillet. Le lotus, lui, offre sa beauté durant l’été. »
Entre importations et expérimentations
Pour enrichir sa collection, Bhavesh franchit une étape : l’importation. Depuis le Royaume-Uni, il commande des variétés rustiques comme Chromatella, Alberta ou Attraction. De l’Inde, il reçoit des nénuphars tropicaux et hybrides : Ostara, Orange Nagwang, Atrans × Gigantea. Mais son coup de cœur reste le Buddha Lotus, symbole de pureté et de sérénité spirituelle.
À force de patience, ses bassins s’étoffent, gagnent en diversité et en éclat. Les couleurs s’étalent sur toute la palette : rose, blanc, jaune, violet, orange, parfois bicolore. « Chaque variété raconte une émotion différente », dit-il sobrement. Ses publications sur les réseaux sociaux attirent bientôt l’attention. Les photos de ses bassins inondés de fleurs circulent. D’abord des demandes de conseils, puis des commandes. Sans l’avoir prémédité, Bhavesh devient vendeur de nénuphars.
« Les gens venaient voir mes fleurs et voulaient en acheter. J’ai compris que ma passion pouvait devenir une petite source de revenus. » À l’époque, il est encore étudiant. Les ventes financent une partie de ses dépenses, mais surtout, elles lui offrent une forme de liberté. « Chaque plante que je vends, c’est un morceau de mon jardin que je partage. Quand mes clients m’envoient des photos de leurs bassins fleuris, c’est la plus belle récompense. »
Aujourd’hui, ses clients viennent de toute l’île : particuliers, collectionneurs, jardineries, et même des lieux touristiques soucieux d’embellir leurs espaces aquatiques. Bhavesh n’a jamais pensé devenir entrepreneur. Pourtant, son activité prend peu à peu forme. Il apprend à gérer les stocks, à planifier les floraisons, à équilibrer les coûts d’importation. Il découvre aussi la logistique des livraisons, les délais des douanes, les caprices du climat. Rien de spectaculaire, mais une discipline constante.
Ce qu’il cultive, au fond, c’est une approche : celle d’un entrepreneuriat patient, écologique et sobre. « Je veux montrer qu’on peut avoir un jardin aquatique sans gaspiller. Tout est une question d’équilibre et de respect de la nature. » Il favorise les méthodes naturelles, recycle l’eau de pluie, minimise l’usage d’engrais. Sa philosophie est simple : produire sans épuiser.
Sous ses dehors tranquilles, Bhavesh revendique une forme d’innovation : celle qui repose sur la lenteur et la constance, à rebours de l’accélération numérique qui séduit sa génération. « Cultiver ces plantes, c’est apprendre la patience, la sérénité, le respect du temps. »
Un symbole de résilience
Dans la culture mauricienne, le lotus et le nénuphar occupent une place particulière. Présents dans les prières et les cérémonies, ils incarnent la pureté et la paix. Pour Bhavesh, cette symbolique dépasse la religion. « Le lotus pousse dans la boue, mais s’élève au-dessus de l’eau, immaculé. C’est une leçon de vie : même dans les situations les plus difficiles, on peut s’épanouir et rester pur. »
Son jardin est devenu pour lui une école de vie. Il y a appris à attendre, à observer, à recommencer. Il y a aussi trouvé un équilibre entre deux mondes : celui du bureau et celui de la nature. « Le soir, quand je rentre du travail, je m’occupe de mes bassins. C’est mon moment de paix. »
Son projet ne s’arrête pas à la culture. Bhavesh rêve d’un lieu éducatif où les enfants viendraient apprendre à planter des nénuphars et à comprendre la biodiversité aquatique. « Les plantes aquatiques purifient l’eau, attirent la vie, apaisent l’esprit. Elles ont un rôle écologique essentiel. »
Il sait que ce rêve demandera du temps, des moyens, de la persévérance. Mais il ne semble pas pressé. Sa réussite, il la mesure à la beauté de ses bassins, pas à leur rentabilité. Bhavesh n’en reste pas moins ambitieux. Il souhaite agrandir ses installations, expérimenter de nouvelles variétés, et, peut-être, créer sa propre marque mauricienne de lotus et nénuphars hybrides. « Ce serait un rêve de pouvoir exporter des plantes ‘Made in Mauritius’. Montrer que notre île peut aussi être une terre de floriculture innovante. »
Loin des discours sur la « start-up nation », son modèle à lui repose sur une économie de la patience, de l’apprentissage et de la constance. « Si vous avez une passion, n’attendez pas. Commencez petit, apprenez, persévérez. Avec le temps, elle peut devenir bien plus qu’un simple loisir. »
Dans un monde obsédé par la vitesse, Bhavesh cultive le calme. Ses bassins, entretenus à la main, reflètent cette philosophie : chaque geste compte, chaque feuille compte, chaque jour apporte un changement imperceptible. Lorsque la lumière décline à Quatre-Bornes, les lotus se referment lentement. Bhavesh s’arrête un instant, regarde la surface immobile de l’eau et mesure, dans ce reflet, ce qu’il a construit : un espace à son image, discret, exigeant et apaisé, fruit de patience et de persévérance.
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