Live News

Bassir Ali Said : un homme, deux métiers, une même passion du service

Certains clients viennent juste pour écouter sa voix. Bassir Ali Said y reçoit entre 15 et 20 clients par jour, du matin jusqu’à 17 heures.

À 65 ans, Bassir Ali Said incarne la passion, la persévérance et la joie de vivre. De jour, il manie les ciseaux avec grâce et humilité dans son salon à Surinam. De nuit, il nettoie les couloirs silencieux d’un hôpital. Entre deux mondes, celui du service et celui de l’art, il s’est construit une vie simple, digne et heureuse, où le travail est une chanson, et la coiffure, une vocation.

Publicité

Il est à peine six heures du matin à Surinam. Tandis que la plupart des habitants dorment encore, Bassir Ali Said range soigneusement ses outils de nettoyage. La nuit s’achève pour lui, mais sa journée ne fait que commencer. Après avoir passé plusieurs heures à travailler dans une société de nettoyage — notamment à l’hôpital, où il veille à la propreté des salles et couloirs — il rentre chez lui pour une courte pause avant d’ouvrir son salon de coiffure, situé à quelques pas de sa maison.

« Je n’ai jamais eu peur du travail », dit-il avec un sourire tranquille. « C’est grâce à cela que mes enfants ont pu réussir dans la vie. »

Quand j’étais petit, j’adorais jouer avec mes propres cheveux, ou ceux de mes cousins. Je passais des heures à faire des formes, des vagues, à inventer des styles…»

Car Bassir, c’est avant tout un homme qui croit à la dignité du labeur. Depuis plus de cinquante ans, il travaille sans relâche, de jour comme de nuit, avec une énergie qui force le respect. À 65 ans, il continue à se lever avant l’aube, à travailler à l’hôpital la nuit, puis à coiffer ses clients toute la journée, sans jamais se plaindre.

L’enfant de Surinam qui rêvait de jouer avec les cheveux

Son histoire commence dans les ruelles ensoleillées de Surinam, au sud de l’île Maurice. Né dans une famille modeste, Bassir se souvient de ses jeunes années avec tendresse.

« Quand j’étais petit, j’adorais jouer avec mes propres cheveux, ou ceux de mes cousins. Je passais des heures à faire des formes, des vagues, à inventer des styles… Je ne savais pas encore que c’était une passion qui allait durer toute ma vie. »

Après avoir terminé son examen du CPE, il décide de ne pas poursuivre sa scolarité. L’école, dit-il, « n’était pas pour moi. » À l’époque, il fallait vite trouver un moyen d’aider la famille. C’est alors qu’il trouve une place comme apprenti dans un petit salon de coiffure du village.

C’est là que tout a commencé. « Le patron m’a appris la patience, la discipline et surtout l’art de comprendre les gens », raconte-t-il. Car pour lui, coiffer ne se résume pas à couper ou peigner : c’est écouter, observer, deviner ce que la personne ressent.

Je n’ai jamais eu peur du travail»

De l’apprenti au maître coiffeur

Pendant cinq années, Bassir apprend tout du métier. Il balaie les cheveux, prépare les rasoirs, observe les gestes précis des coiffeurs expérimentés. Puis, doucement, il prend confiance. « Je faisais d’abord les enfants, puis les jeunes, puis les adultes. Un jour, on m’a laissé seul avec un client, et j’ai compris que j’étais prêt. »

Cinq ans plus tard, il décide de se lancer à son compte. Sans local, sans moyens, il commence à coiffer chez les habitants, dans leurs vérandas ou sous les varangues, avec un simple sac contenant ses outils.

« Je partais à pied ou à vélo, parfois sous la pluie, avec ma tondeuse, mes ciseaux et ma serviette. Les gens m’attendaient, certains même me préparaient du thé. C’était une autre époque, plus simple, plus humaine. »

Son talent, sa douceur et son sérieux font rapidement parler de lui. Le bouche-à-oreille fonctionne à merveille. Les gens apprécient non seulement son travail, mais aussi sa personnalité.

Le salon de Surinam : 50 ans de passion

Quelques années plus tard, fort de son expérience et de ses petites économies, Bassir ouvre enfin son propre salon à Surinam. Un rêve devenu réalité.

Aujourd’hui encore, il y reçoit entre 15 et 20 clients par jour, du matin jusqu’à 17 heures. Les hommes du quartier, les jeunes qui veulent un style moderne, les anciens venus entretenir leur moustache ou leur barbe — tous trouvent chez lui bien plus qu’un coiffeur.

« Chez Bassir, on se sent comme à la maison », confie un habitué. « Il coupe, il parle, il rigole, il chante… C’est un vrai plaisir d’être coiffé par lui. »

Car Bassir a une particularité : il chante pour ses clients. Pas n’importe quelles chansons : celles du grand Mohammed Rafi, son idole depuis toujours.

« Quand je coiffe, je chante des chansons comme Badan Pe Sitare, Likhe Jo Khat Tujhe, ou encore Hum Kisise Kum Nahin. Cela me met de bonne humeur, et mes clients adorent. Ils disent que ça les détend, que ça rend le moment plus agréable. »

Et il ne s’en cache pas : pour lui, la musique et la coiffure sont deux formes d’art. « Quand je chante, mes ciseaux suivent le rythme. C’est comme une danse. »

Quand je coiffe, je chante des chansons comme Badan Pe Sitare, Likhe Jo Khat Tujhe, ou encore Hum Kisise Kum Nahin. Cela me met de bonne humeur, et mes clients adorent»

Un père exemplaire et un mari attentionné

Derrière cet homme toujours souriant se cache aussi un père fier et reconnaissant. Marié en 2004 à Nazma, une femme discrète, mais d’un soutien indéfectible, il est le père de trois enfants qui font aujourd’hui sa plus grande fierté : Nadeem, l’aîné, 42 ans, est Charged Nurse à l’hôpital. Nazina, 45 ans, vit en Angleterre où elle enseigne dans un collège. Nourani, le benjamin, 35 ans, est médecin.

« J’ai travaillé dur pour qu’ils n’aient pas la même vie que moi », confie Bassir avec émotion. « Je voulais qu’ils puissent étudier, qu’ils fassent ce qu’ils aiment, sans se soucier du lendemain. »

Chaque soir, lorsqu’il termine sa journée au salon, il rentre fatigué, mais heureux. Il regarde les photos de ses enfants accrochées au mur : leurs diplômes, leurs sourires, leurs réussites. « C’est ma plus belle récompense », dit-il doucement.

Nazma, sa femme, témoigne : « Il n’a jamais reculé devant la fatigue. Même malade, il allait travailler. Parfois, je lui disais de se reposer, mais il répondait toujours : Je me reposerai quand mes enfants seront bien dans la vie. Aujourd’hui, il peut être fier. »

Un artiste du quotidien

Dans son salon, tout est à son image : simple, ordonné et chaleureux. Un grand miroir, quelques chaises, un ventilateur, et au mur, une affiche jaunie de Mohammed Rafi, son éternelle source d’inspiration.

« Certains clients viennent juste pour écouter sa voix », s’amuse un habitué. « Il chante si juste qu’on oublie presque qu’on est chez le coiffeur ! »

Bassir ne suit pas seulement la tradition : il innove. Il crée des coupes modernes pour les jeunes — dégradés, dessins, colorations légères — tout en respectant les styles plus classiques pour les anciens.

« Je veux que tout le monde reparte content, peu importe son âge. La coiffure, c’est aussi une question d’émotion. Quand quelqu’un se regarde dans le miroir et sourit, c’est que mon travail est réussi. »

Je veux que tout le monde reparte content, peu importe son âge. La coiffure, c’est aussi une question d’émotion»

Entre fatigue et passion, une force intérieure

Bien sûr, cette double vie n’est pas facile. Le travail de nuit à l’hôpital demande une grande endurance. Il faut nettoyer, désinfecter, maintenir la propreté des lieux à des heures où le corps réclame le sommeil.

Mais Bassir ne se plaint jamais. « Quand on aime ce qu’on fait, la fatigue disparaît », dit-il simplement. « Et puis, je me dis que je rends service, à ma manière. La nuit, je veille à la propreté pour les malades. Le jour, je rends les gens beaux et heureux. »

Ce sens du devoir et du service fait de lui un exemple silencieux, un pilier de son quartier. Beaucoup de jeunes le respectent, certains viennent même apprendre les bases du métier auprès de lui.

« Je leur dis toujours : soyez patients, respectez vos clients, travaillez avec le cœur. C’est ça, le secret. »

La chanson de la vie

Quand on lui demande s’il compte prendre sa retraite, il éclate de rire.

« Retraite ? Tant que mes mains peuvent tenir des ciseaux et que ma voix peut chanter, je continuerai ! »

Dans ses yeux, une lumière brille encore — celle d’un homme qui a trouvé le sens de sa vie dans la simplicité du geste et la beauté du service.

« Chaque client, c’est comme un chapitre de ma vie. Certains viennent depuis 30 ou 40 ans. J’ai vu leurs enfants grandir, se marier. Aujourd’hui, c’est leurs petits-enfants que je coiffe. C’est ça, le bonheur. »

Et lorsqu’il fredonne doucement Likhe Jo Khat Tujhe, tout en ajustant la mèche d’un client, le salon devient presque une scène.

Un moment suspendu entre l’art et la vie, entre la nostalgie et la tendresse.

Un héritage de valeurs

Au-delà des ciseaux et des chansons, Bassir a transmis quelque chose d’encore plus précieux à ses enfants : la valeur du travail, de la discipline et de l’amour familial.
« Je leur ai appris que rien ne tombe du ciel. Il faut se battre, mais toujours avec honnêteté et respect. »

Ses enfants, reconnaissants, lui rendent souvent visite quand ils le peuvent. Nazina l’appelle depuis l’Angleterre chaque semaine, Nadeem passe souvent le voir à l’hôpital, et Nourani, le plus jeune, le remercie encore pour les sacrifices consentis.

« Papa nous a montré que la dignité, c’est dans la manière de vivre, pas dans ce qu’on possède. »

Un symbole de Surinam

Dans son quartier, tout le monde le connaît. On l’appelle affectueusement « Bassir bhai ». Toujours un mot gentil, toujours prêt à rendre service. Certains disent qu’il est le cœur de Surinam : un homme qui a vu le village changer, les modes passer, mais qui est resté fidèle à lui-même.

Son salon, modeste mais vivant, est devenu au fil des années un lieu de rencontre. On y parle de tout : du football, de la politique, des souvenirs d’enfance. Et quand la voix de Bassir s’élève, le temps semble suspendu.

Épilogue : l’art de vivre humblement

À 65 ans, Bassir Ali Said continue à vivre chaque jour avec la même passion qu’à ses débuts. Il a coiffé des milliers de têtes, écouté des centaines d’histoires, chanté des dizaines de chansons. Et pourtant, il garde une simplicité désarmante.

« Je ne suis qu’un coiffeur », dit-il modestement. « Mais si je peux donner un peu de bonheur à quelqu’un, ne serait-ce qu’avec une chanson ou une belle coupe, alors ma vie a du sens. »

Et c’est sans doute là le secret de son bonheur : servir les autres, avec le cœur, sans rien attendre en retour.

Dans le reflet de son miroir, les générations se succèdent, les modes changent, mais le sourire de Bassir, lui, reste le même : celui d’un homme pour qui chaque jour est une chanson, et chaque client, un ami.

 

Notre service WhatsApp. Vous êtes témoins d`un événement d`actualité ou d`une scène insolite? Envoyez-nous vos photos ou vidéos sur le 5 259 82 00 !