
Un avertissement qui sonne comme un écho. Après avoir échappé de justesse à la liste grise en 2021, Maurice fait face à des allégations autour de la gouvernance de la Banque de Maurice. Un faux pas pourrait avoir des conséquences désastreuses pour le pays.
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Les allégations autour de la gouvernance de la Banque de Maurice (BoM) ne passent pas inaperçues. Le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque Mondiale suivent déjà la situation de près. Vendredi
5 septembre, sur le plateau d’Au Cœur de l’Info, le gouverneur Rama Sithanen a mis en garde : Maurice doit rester « solide, et non fragile » : « Nous devons faire attention parce que l’ESAAMLG (Eastern and Southern Africa Anti-Money Laundering Group) et la FATF feront une évaluation de Maurice en 2027. Nous ne devons pas prendre des décisions qui pourraient fragiliser notre position. »
Pour mesurer la portée de cet avertissement, il faut se souvenir. La Financial Action Task Force (FATF), chien de garde mondial contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, avait placé Maurice sur sa liste grise en février 2020, après avoir relevé plusieurs manquements. En pleine pandémie, l’île s’était engagée dans une course contre la montre. Chapeauté par la BoM et impliquant plusieurs institutions, ce travail titanesque avait payé : vingt mois plus tard, en octobre 2021, Maurice quittait la liste grise.
Aujourd’hui encore, la vigilance reste de mise. Douze pays africains figurent sur cette liste, dont l’Afrique du Sud, le Nigeria et le Kenya, première économie en Afrique de l’Est. « Les experts de la FATF et de l’ESAAMLG sont au courant de ce qui se passe à Maurice, incluant les allégations de corruption et d’autres maldonnes au sommet. À partir de là, il sera question des actions qui ont été initiées pour mettre de l’ordre », souligne Kamal Hawabhay, directeur de la firme GWMS, joint au téléphone, samedi.
Pour cet acteur des services financiers, la menace est claire : « On ne peut braquer les projecteurs sur la Banque de Maurice, ce qui pourrait attirer des questions additionnelles des techniciens de l’ESAAMLG. Le Fonds monétaire international et la Banque Mondiale feront toujours des recommandations pour que l’État améliore certaines mesures. En revanche, la FATF et l’ESAAMLG nous placent sur une liste de surveillance. Aujourd’hui, on ne peut se permettre de se retrouver sur cette liste. »
Kamal Hawabhay insiste : l’indépendance de la Banque de Maurice est sacrée. Mais, ajoute-t-il : « L’État, par le biais du Premier ministre Navin Ramgoolam, doit trancher après avoir pris en considération tous les faits et données. On ne peut se permettre le luxe de sit on the fence. »
Une double casquette controversée
Rama Sithanen n’est pas seulement gouverneur de la Banque centrale. Il préside aussi le conseil d’administration de la Financial Services Commission (FSC). Une double fonction critiquée par le Premier ministre adjoint Paul Bérenger. Le gouverneur se défend en rappelant que ses prédécesseurs, Renganaden Padayachy et Harvesh Seegolam, avaient occupé des rôles similaires.
Mais au-delà de la Banque centrale et de la FSC, l’ESAAMLG évalue l’ensemble du dispositif mauricien. « Soyons clairs ! Les visites régulières des délégations ne s’arrêtent pas qu’à la Bank of Mauritius Tower et la FSC House », explique un expert du secteur financier sous couvert d’anonymat.
En amont du rapport d’évaluation sur la juridiction mauricienne, « ces experts passent à la loupe la performance de nombreuses entités publiques, comme la Mauritius Revenue Authority, la Financial Crimes Commission, la Financial Intelligence Unit ou encore le Registrar of Companies. La bonne gouvernance n’est qu’un aspect parmi d’autres. Ils se baseront sur les faits réels : qu’avons-nous fait pour remédier à une situation spécifique ? Nous devons être prêts sur tous les dossiers, car ils ne soumettent pas une liste au préalable. C’est un vaste chantier englobant le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme ».
Dossier Bank of Africa : Rama Sithanen répond
La question a été posée frontalement : Tevin Sithanen, fils du gouverneur de la BoM, a-t-il agi comme conseiller en investissement pour le dossier Bank of Africa ? Réponse de Rama Sithanen, vendredi dans Au Cœur de l’Info : « Tout ce qu’il a dit est de rencontrer ce monsieur parce qu’il est le Chief Executive Officer d’une compagnie. Nous avons le devoir de le rencontrer. »
Fondé au Mali il y a plus de 35 ans, le groupe Bank of Africa est aujourd’hui sous pavillon marocain. Son actionnaire majoritaire, la BMCE Bank, est la troisième banque du Maroc. Le groupe emploie environ 6 500 collaborateurs dans 19 pays africains, dont Madagascar. À fin 2023, il affichait un bilan consolidé de 10,2 milliards d’euros et des profits de 263 millions d’euros. À noter qu’une banque marocaine est déjà présente à Maurice : la BCP Bank (Mauritius).
Lors de l’émission, le gouverneur a permis d’aborder plus largement la question de l’octroi de licences bancaires. Rama Sithanen a insisté sur les procédures en vigueur : « Il y a un comité qui s’occupe de ça. Tout le monde m’appelle tous les jours : Est-ce qu’on a octroyé une licence à Bank of Africa ? Il y a 15 demandes qui sont au département de supervision. Pourquoi ne l’a-t-il (NdlR, Gérard Sanspeur) pas dénoncé auparavant ? » Et de conclure avec fermeté : « Aucune banque n’a obtenu de licence. »
Selon la Mauritius Bankers’ Association, le pays compte actuellement 19 banques :
5 entités locales, 12 filiales ou succursales internationales, une structure en partenariat, et une détenant une licence de banque privée.
Tevin Sithanen dément et contre-attaque
La riposte était attendue. Tevin Sithanen a réagi, ce samedi 6 septembre, aux accusations portées contre lui par Gérard Sanspeur lors d’une conférence de presse le 29 août. Dans un communiqué, il rejette catégoriquement des propos qu’il qualifie de « malveillants ».
L’intéressé dénonce une tentative de l’associer à un conflit qui oppose l’ancien sous-gouverneur à son ex-employeur et à l’État mauricien. Gérard Sanspeur avait insinué que Tevin Sithanen s’immisçait dans les affaires internes de la Banque centrale. Des accusations qui, selon lui, portent atteinte à son intégrité, son honneur et sa réputation. Tevin Sithanen prévient qu’il se réserve tous ses droits, y compris celui d’engager des actions en justice.
Au-delà de cette passe d’armes, un autre élément relance la polémique. Une lettre datée du 5 décembre 2024, signée par Rama Sithanen – alors fraîchement nommé gouverneur – donne instruction à la Mauritius Investment Corporation (MIC) d’engager des poursuites contre Menlo Park. Problème : à cette date, le conseil d’administration de la Banque de Maurice n’était pas encore constitué. Il ne le sera officiellement que le 10 janvier 2025.
Cette séquence soulève des interrogations : le gouverneur a-t-il agi seul, en l’absence d’un Board dûment constitué ? Si tel est le cas, la démarche pourrait contrevenir à plusieurs textes, dont le Companies Act, la constitution de la MIC ou encore le Bank of Mauritius Act. Elle renforce, en tout cas, les critiques formulées par Gérard Sanspeur le 29 août, lorsqu’il avait déjà évoqué l’implication directe du gouverneur dans l’affaire Menlo Park. L’ex-sous-gouverneur a depuis confirmé avoir déposé deux fois devant la Financial Crimes Commission (FCC).
Face à ces accusations, Rama Sithanen a choisi de sortir du silence. Sur le plateau de Au Cœur de l’Info, le vendredi 5 septembre, il a dénoncé « une véritable campagne malsaine ». Selon lui, les attaques dont il est la cible dépassent le cadre institutionnel et s’apparentent davantage à des tentatives de déstabilisation personnelle.
Contacté par nos soins samedi après-midi, le gouverneur nous a fait savoir qu’il ne s’exprimera publiquement que lundi.

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