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Baisse du niveau des candidats au barreau : stages, bilinguisme, sélection : les pistes pour redresser la barre

L’excellence est de rigueur dans la profession légale.
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Les aspirants professionnels du droit sont à la peine. Constat des examinateurs du Council for Vocational and Legal Education pour 2023, face au niveau alarmant de la performance aux examens du barreau. Comment renverser cette situation qui perdure ? Le point avec trois professionnels du droit.

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Me Sanjay Bhuckory, 
Senior Counsel.

Le rapport des examinateurs du Council for Vocational and Legal Education (CVLE) pour 2023 sonne une nouvelle fois l’alarme. Le constat du niveau des candidats aux examens du barreau est accablant. Peut-on parler de baisse du niveau général ? 

« C’est la nette impression qui se dégage, malheureusement, du rapport », souligne Me Sanjay Bhuckory, Senior Counsel. Il déclare avoir fait le même constat pendant les 25 années où il a exercé en tant que conférencier en droit pénal et examinateur au CVLE. « Je ne le suis plus depuis quelques années, mais force est d’observer que d’année en année, le niveau des candidats continue de baisser drastiquement », dit-il.

Me Bibi Nazeeda Dookhee, notaire, va plus loin. Les résultats sont le reflet de la « détérioration » du niveau de l’éducation dans son ensemble, estime-t-elle. « De mon temps, l’éducation était un luxe. Quand je faisais mes études de droit à l’université de Maurice, on faisait la queue à la librairie pour pouvoir consulter un livre de droit. Les photocopies n’étaient pas aussi accessibles à tous. Donc, on prenait des notes à la main. On en discutait, ce qui nous permettait de développer un esprit critique », explique-t-elle.

Or, dit-elle, de nos jours, les cours sont accessibles en ligne, sur portables, tablettes et ordinateurs. Et avec l’intelligence artificielle, les messages pré-générés, les cours et manuels en ligne, tout est plus facile. « Ce trop de facilités a fait que la tendance est vers la banalisation de l’éducation », regrette la notaire.

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Me Selva Murday, avoué.

L’avoué Selva Murday, secrétaire de la Mauritius Law Society (MLS), est plus nuancé. Il trouve « dommage que le rapport ne fasse pas nommément de différence entre les performances des aspirants avocats, avoués et notaires ». Parlant en son nom personnel et non au nom de l’ordre des avoués, il est d’avis que la nouvelle génération d’avoués fait bien son travail. « Nous n’avons pas eu jusqu’ici de plaintes sur l’incompétence des avoués. En revanche, il y en a bien quelques-unes par rapport au service client. Plus précisément sur leur manière de parler à leurs clients », précise l’avoué. 

Le nombre de nouveaux avoués a augmenté ces dernières années, poursuit-il. « Nous avons vu environ 25 nouveaux avoués admis récemment, contre une moyenne d’environ quatre par an auparavant. Aussi, il y a, de nos jours, plus de filles qui s’intéressent aux études de droit », observe-t-il.
Pour Me Selva Murday, la hausse du nombre d’avoués « est largement due au fait que le syllabus est plus abordable maintenant. En tant qu’avoué, je ne retrouve pas certains modules que nous étions appelés à faire auparavant ».

Comment expliquer cette baisse de niveau relevée par le CVLE ? Le problème se situe au niveau du recrutement des candidats, affirme Me Sanjay Bhuckory. Il y a un grand fossé, constate-t-il, en termes de niveau intellectuel, entre ceux qui réussissent les examens et les autres. Il incombe ainsi, selon lui, de faire un tri en amont, afin de ne garder que les méritants.

« Il faut absolument rehausser le seuil d’entrée des candidats et, si possible, les faire passer une entrevue en anglais et en français. Car, d’après le rapport, le bilinguisme, qui est de rigueur au barreau mauricien, pose un sérieux problème aux candidats », propose le Senior Counsel. 

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Me Bibi Nazeeda Dookhee, notaire.

Cette faible maîtrise des langues décriée par les examinateurs du CVLE serait notamment due à une « addiction numérique », pour Me Bibi Nazeeda Dookhee. « Les devoirs et autres se font avec l’aide des portables et ordinateurs et des autocorrections automatiques. Certains n’arrivent plus à écrire des notes à la main sans ces outils technologiques », déplore-t-elle. 

Autre facteur non-négligeable, selon l’avoué Selva Murday : la « libéralisation » des institutions offrant des cours de droit. « Avant, seule l’université de Maurice offrait, sur le plan local, des études menant à une licence en droit (LLB). Les critères d’admission étaient élevés. Il fallait trois A ou encore deux A et un B au niveau du Higher School Certificate (HSC), pour être éligible à ces études. De nos jours, le nombre d’universités locales qui proposent les études de droit a augmenté. Il faut voir les critères d’admission des étudiants pour des études de droit », suggère-t-il. 

Et si le système était, en réalité, trop élitiste ? Me Sanjay Buckhory balaie cet argument d’un revers de la main. « Il s’agit plutôt de maintenir un niveau très élevé, afin de former des avocats qui sauront faire honneur à la profession, tout en maîtrisant le droit », insiste-t-il. Il est catégorique : choisir les meilleurs esprits n’est nullement élitiste. 

« C’est ainsi qu’opèrent toutes les grandes écoles de barreau du monde entier. J’ai eu parmi mes anciens étudiants du barreau des jeunes issus de milieux très modestes, mais qui, à force de travailler dur et de persévérer, se sont frayés un chemin dans cette élite du droit, voire devenir juge de la Cour suprême. Ce n’est donc pas une question de moyens, mais plutôt de perfectionnement intellectuel », martèle Me Sanjay Bhuckory.

Même son de cloche du côté de Me Selva Murday. Le système est « élitiste » parce que « les exigences du métier sont ainsi », fait-il comprendre. Un professionnel du droit propose un service au public avant tout. « Il se voit confier l’avenir du citoyen par moments entre ses mains, de la même manière qu’un médecin propose des soins de santé. Si ce dernier n’arrive pas à pratiquer adroitement l’intervention, le résultat peut être catastrophique » argumente l’avoué.

Du reste, insiste Me Bibi Nazeeda Dookhee, « ce n’est pas au CVLE de baisser le niveau. C’est à l’élève de se hisser à la hauteur des attentes ». Avis partagé par l’avoué Selva Murday : « Il ne faut pas blâmer les institutions lorsqu’il y a des échecs. » 

Le problème pourrait-il venir du niveau des enseignants ou chargé de cours ? « Je peux vous assurer que les conférenciers de l’époque étaient triés sur le volet parmi les pratiquants au barreau, les officiers du parquet et les membres du judiciaire. Notre devise était de maintenir le niveau, peu importe le nombre de réussites », réplique Me Sanjay Bhuckory.

Face à cette spirale négative, la question demeure : comment inverser la tendance ? Pour la notaire Bibi Nazeeda Dookhee, il incombe de refaire l’éducation numérique de nos enfants. « Le problème est dans l’assimilation des cours. Le manque de pratique et la dépendance sur internet et les nouveaux outils technologiques ralentissent l’esprit critique des aspirants candidats de droit. Il faut revoir cette mentalité. » De plus, déclare-t-elle, les parents ne doivent pas abdiquer de leur rôle de supervision une fois leurs enfants arrivés au stade des études supérieures. 

Pour Me Sanjay Bhuckory, la solution est de revoir le seuil d’entrée des candidats. « Le minimum d’un LLB second class second division (2-2) devrait être rehaussé à un second class first division (2-1) pour les diplômés de droit des pays du Commonwealth, dont Maurice et l’Angleterre - comme cela se fait déjà dans les meilleures écoles du barreau d’outre-mer », maintient-il. Le CVLE doit maintenir le cap, et surtout ne pas succomber à la tentation d’un nivellement par le bas, simplement pour augmenter le nombre de réussites, insiste Me Sanjay Bhuckory.

Me Selva Murday partage le même avis. Il suggère également que les cours du CVLE incluent deux mois de stage obligatoire pour les aspirants professionnels du droit, afin qu’ils puissent se familiariser avec les procédures, les audiences en cours, et développer un esprit analytique.

Tout n’est pas tout noir, poursuit Me Sanjay Bhuckory. « Malgré ce constat calamiteux, on devrait être réconfortés par le fait qu’il y a toujours un petit groupe qui s’élève au-dessus de la mêlée pour réussir avec brio. Cela a toujours été le cas. Donc, on ne peut pas dire que le système ne fonctionne pas. On ne juge pas un système par le nombre de réussites, mais plutôt par la qualité de ceux qui réussissent », soutient le Senior Counsel. 

Ce que dit le rapport des examinateurs

1. Maîtrise insuffisante des langues

Tous les examinateurs ont souligné le fait que de nombreux candidats ont montré une maîtrise insuffisante de l’anglais et du français. Ce qui a affecté leur capacité à comprendre et à exprimer clairement les concepts juridiques.

2. Faible raisonnement juridique et analytique

Un manque de compétences analytiques approfondies a été une cause majeure d’échec, selon le rapport des examinateurs. De nombreux candidats n’ont analysé qu’une partie des problèmes ou se sont précipités vers des conclusions sans un raisonnement juridique adéquat.

3. Rédactions déficientes 

Une mauvaise maîtrise des langues et un raisonnement analytique inadéquat ont conduit à des compétences déficientes en rédaction, certains candidats fournissant des réponses verbeuses ou mémorisées, sans une application correcte aux questions posées.

4. Gestion inefficace du temps

Les candidats passaient trop de temps sur certaines questions et se sont précipités sur d’autres.

5. Manque de pratique des plaidoiries 

Bien qu’il y ait eu une certaine amélioration des compétences en plaidoirie, les examinateurs ont noté des problèmes tels que l’incapacité à identifier les enjeux juridiques, le manque de confiance en soi et la dépendance excessive aux scripts préparés à l’avance. Les candidats sont encouragés à pratiquer davantage lors de sessions de simulation de procès et à assister aux audiences publiques.

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