Angelo Nany, âgé de 17 ans, est plongé dans l’abîme de la misère depuis son enfance à Baie-du-Tombeau. Ayant grandi dans les « maisons Longères », il refuse toutefois de se résigner à un destin funeste. Son rêve : illuminer la vie des enfants des rues de son quartier ravagé par la drogue.
C’est un grand gaillard de 17 ans. Dont le sourire timide et le visage doux ne sauraient faire oublier la détermination qui fait briller ses yeux. Lui, c’est Angelo Nany. Originaire de Baie-du-Tombeau, ce « zanfan mizer » ayant grandi dans les « maisons Longères » s’envole bientôt pour l’Angleterre, ayant été sélectionné pour le Youth Leader Program, soutenu par Street Children United (SCU). Un exemple vivant, un de plus, que la misère n’est pas une fatalité.
Nous le rencontrons le jeudi 29 juin, à l’ONG SAFIRE (Service d’accompagnement, de formation, d’insertion et de réhabilitation de l’enfant) à Verdun. Angelo Nany est l’un des Street Connected Children qu’accompagne l’ONG. Lui, qui a grandi dans la misère, est déterminé à se battre pour offrir un avenir meilleur à sa famille. Mais pas seulement. Son rêve est surtout de sortir les enfants de son quartier du cycle infernal de la drogue. Ce quartier, il le décrit comme un « champ de bataille ».
Il a vécu avec ma mère Jennifer dans les « maisons Longères » à Baie-du-Tombeau. « Nous sommes à six enfants. » Sa mère a eu deux enfants, dont le père est décédé, d’une précédente union. Et trois autres lorsqu’elle a refait sa vie.
Il grandit dans une maison en tôle et en bois. Enfant, raconte Angelo Nany, il a vu sa mère cumuler les petits boulots et même s’adonner à la pénible tâche de la maçonnerie pour nourrir ses six enfants affamés. Le simple fait d’accéder à l’eau et à l’électricité relevait d’un véritable calvaire. « Nous devions emprunter de l’électricité chez les voisins et parcourir de longues distances pour trouver de l’eau que nous ramenions dans des seaux. C’était le quotidien de notre famille. »
L’adolescent en parle avec pudeur. En le questionnant davantage sur ses conditions de vie durant son enfance, nous apprenons que lorsque les pluies diluviennes s’abattaient sur le pays, l’abri fragile de sa famille se transformait en un piège inondé. « Nous devions tout quitter et nous refugier dans les centres sociaux et nous y restions pendant une semaine. »
Sous ses yeux d’enfant, il voit d’autres « maisons Longères » être balayées par la pluie… d’autres habitants, des voisins, des amis perdre leur toit. Dans cette détresse partagée, la solidarité s’élevait, tissant un réseau de soutien indispensable pour survivre face aux aléas de la vie. « À notre retour à la maison, le chemin était jonché de boue et de déchets quasiment partout. Certains enfants, habitant également les lieux, étaient contraints d’errer vêtus de simples boxers, du matin jusqu’au soir », témoigne Angelo Nany.
Angelo Nany et sa famille reprennent courage pour tout recommencer… Il se réfugie dans ses études, y investissant toute son énergie. Grâce à l’aide indéfectible de sa mère Jennifer, bénéficiaire du soutien du programme de l’ONG SAFIRE depuis 2001 concernant les « maisons Longères » à Baie-du-Tombeau, il réussit avec brio son Certificate of Primary Education (CPE). Cet exploit, compte tenu des conditions dans lesquelles il vit, lui ouvre les portes d’un collège à Terre-Rouge.
« SAFIRE nous a tendu la main en nous apportant une aide alimentaire salvatrice. Sans elle, je sais que mon destin aurait pu se perdre dans les méandres de l’oubli », affirme l’adolescent. Il n’a cependant pas pu compléter le School Certificate, faute d’argent (voir plus loin). Mais il n’est pas question pour lui de baisser les bras.
Angelo Nany refuse de se résigner à un destin funeste. Baie-du-Tombeau, dit-il, est un véritable champ de bataille, ravagé par les méfaits dévastateurs de la drogue. Les enfants fragiles et vulnérables sont constamment sollicités par les sirènes de la drogue. « J’ai vu certains de mes amis, ainsi que des enfants plus jeunes, se perdre dans l’engrenage destructeur des drogues synthétiques. J’ai toujours refusé de céder à ces sombres tentations. »
En restant focalisé sur ses objectifs, Angelo Nany s’est accroché à ses aspirations, nourrissant l’espoir d’une vie meilleure grâce à l’éducation, sachant qu’une famille aimante se trouvait à ses côtés. Son rêve, dit-il, est que les enfants de son quartier aient un terrain de football. Mais aussi un centre de loisirs où ils pourront venir lire, écrire et apprendre l’informatique.
« Je porte sur mes épaules le fardeau de la misère. Je sais ce que ça fait. Je n’ai pas eu tout ça, moi. Mais je pense que cela permettrait aux enfants de mon quartier de s’instruire et les empêchera de traîner les rues jusqu’à minuit tous les jours. »
Dans cet environnement hostile, ravagé par la drogue, la violence et la précarité, Angelo Nany se dresse tel un roc solitaire, refusant de se laisser engloutir par les flots dévastateurs. Aujourd’hui, lorsqu’il évoque le nom de l’ONG SAFIRE, ses yeux s’emplissent d’une gratitude profonde. Ses mots portent l’écho d’une reconnaissance infinie. « Chaque don, chaque acte bienveillant, chaque instant passé sous l’aile protectrice de mes éducateurs, je les chéris comme des trésors inestimables. Ils ont illuminé ma vie, guidant mes pas sur le chemin de la réussite, tout en m’offrant des opportunités précieuses pour jouer au ballon, écrire, me consacrer à la musique et même pratiquer le cyclisme. »
Confort d’un foyer en béton
Il y a deux ans, l’univers d’Angelo Nany s’est métamorphosé, offrant un havre de paix à sa famille. « Nous avons enfin pu goûter au confort d’un foyer en béton, loin des soucis incessants d’eau et d’électricité qui nous accablaient autrefois. »
En l’écoutant, nous comprenons que les cyclones ne sont plus synonymes de peur et d’exode précipité vers un abri de fortune pour Angelo et sa famille. Désormais, ils vivent dans un environnement propre, préservé des affres de la boue et des déchets qui enserraient leur quotidien. Chaque mur solide de leur nouvelle demeure est témoin de leur résilience et de leur détermination à sortir de l’ombre.
L’obtention de cette maison n’a pas été sans sacrifice, toutefois. « Ma mère, faute d’argent, a dû faire un choix entre payer les frais notariaux de notre nouvelle maison ou les frais de mes examens de School Certificate. Elle a choisi la maison car nous avons longtemps vécu dans les ‘maisons longères’ et je pense qu’elle voulait juste ne pas perdre cette maison en béton afin que nous soyons à l’abri des intempéries, surtout les cyclones. »
Conscient que ce certificat est sa porte d’entrée vers un emploi et l’amélioration des conditions de vie de sa famille, Angelo Nany est déchiré, même s’il comprend la priorité de sa mère. « Elle m’a suggéré de chercher des alternatives comme des cours de coiffure ou de mécanique. Elle m’a dit qu’elle fera de son mieux pour les payer. Je ne suis pas contre l’idée. En ce moment, je cherche la meilleure des options pour mon avenir. »
Cependant, son rêve d’être éducateur ou coach sportif reste intact. « Quoi qu’il arrive, je donnerai toujours le meilleur de moi-même. »
En effet, son cœur brûle d’une flamme altruiste, animé par la volonté farouche de devenir un éducateur au sein de l’ONG SAFIRE. « Je veux tendre la main aux enfants des rues. J’aspire à être un phare d’espoir, un modèle vivant pour eux. Je souhaite transmettre la générosité et les enseignements reçus de mes aînés aux plus jeunes et les guider sur le chemin de l’éducation », affirme Angelo Nany.
Le Youth Leader Program lui permettra certes d’atteindre de nouveaux horizons mais Angelo Nany sait que le chemin vers la réalisation de son rêve d’un avenir meilleur pour les enfants dans son quartier sera semé d’embûches. Pour y arriver, il indique qu’il a besoin de sponsors qui croient en sa cause et qui soutiennent sa vision audacieuse.
Néanmoins, Angelo Nany n’attend pas les bras croisés. Il se lève chaque jour avec la détermination de conquérir son destin. Car ce rêve, il ne l’envisage pas seulement pour lui-même, mais pour tous ceux qui partagent son quartier et qui endurent les mêmes tourments invisibles. « Je crois fermement que le programme Young Leader peut être le tremplin vers la réalisation de mes aspirations les plus profondes. »
Le combat d’Angelo Nany témoigne de la résilience des enfants oubliés, prêts à se battre pour un avenir meilleur. Ainsi, derrière les clichés touristiques de notre magnifique pays, se cachent des vies qui aspirent à être entendues et des rêves qui méritent d’être réalisés. C’est grâce à des enfants qui souhaitent changer le destin de leur quartier, tels qu’Angelo Nany portant l’étendard de l’espoir, que les voix silencieuses finissent par s’élever et que les horizons sombres s’illuminent de compassion et de changement.
Un grand merci à Time Capture Photography
Quel est le sentiment d’Angelo Nany d’avoir été sélectionné pour le Youth Leader Program ? « Jamais je n’aurais pensé pouvoir accomplir un tel exploit. Mais aujourd’hui, ma mission est claire. Je veux partager les compétences et connaissances acquises grâce à SAFIRE avec d’autres enfants qui partagent le même destin d’errance et de dénuement. Tel un guide bienveillant, je veux œuvrer sans relâche pour que les droits fondamentaux de ces enfants soient respectés et pour que leur voix soit entendue, ici comme ailleurs dans le monde. »
Il tient également à exprimer sa profonde gratitude envers le photographe Sachin et le graphiste Ludovic de Time Capture qui ont réalisé bénévolement la vidéo lui ayant permis de se qualifier pour le Youth Leader Program.
Jennifer, sa mère : « Il comprend mon choix »
Âgée d’une quarantaine d’années, Jennifer a vécu dans la « Longère Blanche » depuis l’âge de 11 ans, aux côtés de ses grands-parents. Élève au collège Alpha, elle a quitté l’école après la Form III pour commencer à travailler et subvenir aux besoins de sa famille. Même après la naissance de ses enfants, elle a continué à travailler tout en veillant à ce qu’ils reçoivent une éducation. Elle est convaincue que l’éducation peut les sortir de la précarité et leur offrir un meilleur avenir.
Elle confie que c’est avec le cœur lourd qu’elle a dû faire le choix entre payer les frais d’examen d’Angelo et investir dans une maison en béton. Cependant, elle est déterminée à tout mettre en œuvre pour que son fils puisse continuer ses études. « Je ne veux pas que ses efforts pour s’en sortir soient vains. Il mérite un meilleur avenir. Je suis reconnaissante envers SAFIRE pour tout le soutien qu’ils apportent à mon enfant et à ma famille. »
Jennifer se dit d’ailleurs très fière que grâce à la bienveillance de cette ONG, Angelo a été qualifié pour le Youth Leader Program.
Balance et livres : appel à la solidarité
Jennifer, la mère d’Angelo Nany, a perdu son emploi qu’elle occupait depuis 8 ans. Elle ne travaille pas actuellement. Dans le but de s’en sortir, elle souhaite vendre des légumes dans son quartier. Pour démarrer cette activité, elle a besoin d’une balance. Si vous êtes un ancien marchand, un ancien boutiquier, ou si vous avez une balance inutilisée, vous pouvez en faire don à Jennifer. Ce geste serait d’une grande utilité pour l’aider à gagner sa vie au quotidien.
Quant à Angelo, il cherche à améliorer son niveau d’anglais afin de pouvoir s’exprimer efficacement lors de sa participation au Youth Leader Program. Comme il est un grand amateur de lecture, si vous avez des livres d’histoires en anglais inutilisés qui prennent la poussière sur vos étagères, ou si vous pensez en posséder qui pourraient lui être utiles, n’hésitez pas à les lui offrir. Votre geste serait grandement apprécié !
Amanda Van Schellebeck, Coordinator de l’ONG SAFIRE : «Nous sommes très fiers d’Angelo»
« C’est à travers nos activités menées sur le terrain que nous avons rencontré Angelo. Il avait 11 ans à l’époque et avait intégré l’école de cyclisme au Stade Anjalay, qui fait partie des initiatives de l’organisation », raconte Amanda Van Schellebeck, Monitoring Coordinator au sein de l’ONG SAFIRE.
Grâce à cette participation, Angelo Nany a bénéficié d’un suivi de sa santé, de son alimentation et de son parcours scolaire. « Il a également participé à plusieurs sessions de sensibilisation. »
Selon SAFIRE, Angelo Nany possède un immense potentiel. Il fait partie des rares jeunes de son quartier à avoir poursuivi avec succès un parcours scolaire jusqu’au collège. « Il démontre un leadership remarquable auprès des jeunes et a la capacité de faire beaucoup pour ses amis. Son talent pour rassembler les gens est indéniable », affirme Amanda Van Schellebeck.
Concernant le Youth Leader Program en Angleterre, elle explique qu’en septembre 2022, SAFIRE a été invitée par Street Child United (SCU) à participer à la Coupe du monde des enfants des rues au Qatar. Angelo et neuf autres garçons ont été sélectionnés pour représenter Maurice lors de cet événement exceptionnel. Au programme figuraient des compétitions de football, des activités artistiques et un congrès sur les droits de l’enfant.
Le Youth Leader Program ouvre des perspectives d’avenir meilleur pour Angelo Nany. Ce programme offre un soutien continu aux jeunes qui ont participé aux événements de SCU et qui souhaitent continuer à défendre les droits des enfants des rues ou ceux qui y sont liés, ajoute Amanda Van Schellebeck.
Le programme comprend différentes initiatives, programmes et activités, tels que le programme Change 10. Son objectif est de renforcer les liens entre SCU et les participants à la Coupe du monde des enfants des rues, en les aidant dans leur développement personnel et professionnel, tout en favorisant les réseaux entre les anciens participants, les partenaires, les ambassadeurs et les autres acteurs impliqués.
Depuis 2001, SAFIRE intervient à Baie-du-Tombeau, souligne Edley Maurer, le manager de l’ONG. L’organisation offre un soutien essentiel aux habitants de la « Longère Blanche », en particulier aux enfants en situation de rue et à leurs familles.
Les formes de soutien sont diverses et couvrent un large éventail de besoins. « SAFIRE accompagne les enfants scolarisés qui rencontrent un fort taux d’absentéisme, ainsi que ceux qui ne sont pas scolarisés. L’organisation offre également un soutien administratif aux parents et aux enfants en les aidant dans les démarches telles que les déclarations tardives des enfants, les demandes d’aides sociales et la réadmission dans des établissements scolaires. »
Des séances de counseling et des entretiens individuels sont également proposés aux parents et aux enfants. « De plus, SAFIRE mène des programmes de sensibilisation sur des sujets tels que la sexualité, les drogues et autres fléaux sociaux », conclut Edley Maurer.
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