À l’occasion de la Journée internationale des infirmières, observée le 12 mai de chaque année, nous avons interrogé Bagooaduth Kallooa, « Charge Nurse » à la School of Nursing et deuxième vice-président du Conseil international des infirmières, basé à Genève. Il évoque les exigences d’une profession si méconnue et tant décriée chez nous.
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« La profession infirmière : Une voix faite pour diriger - atteindre les objectifs de développement durable ». Pourquoi avoir choisi ce thème cette année ?
Pour célébrer la Journée internationale des infirmières cette année, le Conseil international des infirmières (CII) a choisi ce thème. En effet, nous croyons fermement dans la capacité de leadership des infirmières et infirmiers à promouvoir la santé et le bien-être de la population du monde entier. Nous avons aussi confiance qu’ils peuvent diriger et contribuer énormément à atteindre les objectifs de développement durable fixés par les Nations unies.
Quels sont ces objectifs de développement durable liés à la santé de la population ?
Le développement durable comporte 17 objectifs relatifs aux grands enjeux actuels : mettre un terme à la pauvreté et à la faim, améliorer la santé et l’éducation, l’égalité des genres, accéder à l’eau potable et à l’énergie propre, le travail décent, entre autres. La santé est au cœur du troisième objectif : « Permettre à tous de vivre en bonne santé et promouvoir le bien-être de tous à tout âge. »
Les infirmiers ont clairement un rôle essentiel à jouer pour atteindre cet objectif. Toutefois, le travail des infirmiers et des infirmières a aussi un impact majeur sur la réalisation d’autres objectifs, notamment l’éducation, la pauvreté et autres déterminants sociaux de la santé. Ces déterminants sont les conditions dans lesquelles les individus naissent, grandissent, travaillent, vivent et vieillissent. Ils influent sur leur état de santé et leur vie quotidienne. Si les infirmières améliorent la santé, leur travail influence aussi, bien souvent, les déterminants sociaux de la santé.
Les infirmières compren-nent le lien existant entre les conditions de vie dans un monde inégal et la santé des populations et des individus.
Pourquoi dites-vous un monde inégal, car n’importe qui peut tomber malade ?
À travers le monde, l’écart ne cesse de se creuser entre les riches et les pauvres, entre les personnes malades et les bien portants, entre les personnes instruites et les personnes privées d’éducation, entre les groupes sociaux et entre les niveaux de revenus. Ce sont ces inégalités de pouvoir, d’argent, d’éducation et de ressources qui entraînent l’inégalité au quotidien. En même temps, elles influencent directement l’état de santé d’une personne. Toutefois, prodiguer des soins dans ce monde inégal reste un parcours du combattant pour les infirmiers et infirmières.
Quel regard portez-vous sur la qualité de service offerte par vos collègues infirmiers et infirmières ? Sont-ils à la hauteur des attentes ?
Ils font de leur mieux pour satisfaire la demande grandissante du service de santé. En même temps, ils ne lésinent pas sur les moyens pour prodiguer des soins de qualité aux patients.
Vous dites soins de qualité, le croyez-vous vraiment ?
Certainement. Ils font de leur mieux avec les ressources disponibles. Le personnel infirmier dans certaines unités, comme dans les salles d’opération, les soins intensifs, le centre de chirurgie cardiaque et les centres de dialyse, frôle même l’excellence. Pour preuve, le centre de dialyse de Flacq a décroché le Public Service Excellence Award et d’autres récompenses.
Est-ce le même service irréprochable dispensé partout dans nos établissements de santé ?
Je dirais qu’on pourrait faire mieux. Malheureusement, dans cette profession comme dans tous les autres secteurs, il existe des brebis galeuses. Toutefois, la majeure partie du personnel est dévouée pour le bien-être des malades.
Les infirmiers sont moins bruyants ces temps-ci et semblent n’avoir rien à revendiquer. Comment expliquez-vous cela ?
Au contraire, il existe une frustration énorme au sien de la profession. Malheureusement, leurs dirigeants syndicaux s’entredéchirent constamment dans des batailles intestines. Le pouvoir, l’argent et les gains personnels priment aux dépens de l’intérêt des membres qui contribuent mensuellement. Pour les autorités, c’est une véritable aubaine.
Que reprochez-vous aux autorités ?
Qu’ils reconnaissent cette noble profession à sa juste valeur. Nous sommes toujours relégués au dernier plan, malgré l’effort colossal que nous faisons pour promouvoir la santé et le bien- être de la population mauricienne. Le corps médical se taille la part du lion du mérite. Prenons l’exemple de notre School of Nursing, qui est l’une des plus anciennes écoles de formation et où la restructuration et la modernisation ne sont toujours pas une priorité pour le ministère de la Santé.
Malgré les efforts exceptionnels des éducateurs, on arrive difficilement à maintenir les normes des cours dispensés. Nos anciens dirigeants syndicaux avaient négocié et obtenu le retention allowance, ce qui était un moyen efficace pour retenir les infirmiers dans le service et stopper l’émigration du personnel vers d’autres cieux plus prometteurs. Peu convaincu par les négociations de nos syndicalistes en 2016, le PRB a retiré cette allocation. L’hémorragie a recommencé et en ce moment même, nous faisons face à un manque aigu d’infirmiers(ères) et de sages-femmes. C’est une double perte : l’argent des contribuables est investi dans la formation du personnel et les professionnels partent ailleurs au lieu de servir la population mauricienne. On a perdu d’autres bénéfices qui étaient déjà acquis.
On dépense énormément l’argent des contribuables pour soutenir les services de santé publique, sans toujours obtenir les résultats escomptés. Qu’en pensez-vous ?
Vous avez raison, on pourrait faire mieux. Malheureusement, certaines personnes croient posséder toutes les connaissances du monde et ne sont pas à l’écoute. La santé publique est une chose très complexe. L’écart entre les riches et les pauvres se creuse davantage. Des gens souffrent dans la pauvreté extrême, la drogue fait des ravages, la maltraitance et les abus sexuels contre les enfants deviennent alarmantes, la violence domestique brise tant de familles, les accidents de la route augmentent… Tous ces facteurs ont un impact direct sur la santé physique et psychologique de la population. Le ministère de la Santé ne pourra jamais tout gérer seul. Les décideurs de divers ministères, les membres du personnel soignant et surtout les membres du public doivent impérativement prendre part aux décisions et définir les politiques de santé publique. On doit absolument prendre une approche holistique et non fragmentée.
Avez-vous maintenant plus d’espoir avec le nouveau ministre de la Santé, Anwar Husnoo ?
Le nouveau ministre de la Santé est médecin de formation et il semble très à l’écoute. J’ai tous les raisons d’être optimiste.
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