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Babita Thannoo : « On ne peut pas céder au populisme »

La dentition ne se fait pas sans douleur. Si la députée de Rezistans ek Alternativ de la circonscription n˚8 reconnaît quelques maladresses, elle rappelle cependant que le parti est pleinement engagé au sein du gouvernement. 

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De chargée de cours à parlementaire, qu’est-ce qui a changé dans votre quotidien depuis fin novembre ?
C’est un nouveau monde en termes de défis quotidiens, notamment par rapport aux services que nous devons apporter à nos mandants. Mais c’est mon devoir d’y faire face et de donner le meilleur de moi-même afin de les soulager, malgré les difficultés rencontrées chaque jour. Chaque parlementaire a pris l’engagement de servir le peuple, et il faut se battre sans relâche. Nous sommes pleinement conscients que la lutte est la seule constante pour la gauche.

ReA compte désormais un ministre et un Junior Minister au sein du gouvernement. Vous attendiez-vous à cette ascension politique du parti ?
Nous restons profondément redevables envers notre électorat, qui a exprimé un choix très clair lors des dernières élections. Nous ne les prendrons jamais pour acquis. Nous sommes là pour les servir et répondre à leurs besoins. Cet électorat a voulu un programme à la fois socialiste et écologique, et le programme du gouvernement montre que l’Alliance du Changement, dans son ensemble, a compris les attentes du peuple.

Malheureusement, dans un contexte difficile, encore dominé par des institutions capitalistes telles que Moody’s, il nous faut trouver les moyens d’appliquer notre programme.

Nous savons que la lutte sera rude et qu’il faudra persévérer. Partout dans le monde, les programmes socialistes ont toujours été mis en difficulté par des institutions capitalistes telles que la Banque mondiale ou le FMI. Elles sont là pour nous rendre la vie dure. Mais le combat continue.

Nous sommes encore en phase d’apprentissage. ReA reconnaît ses couacs, mais nous sommes surtout là pour essayer de faire de notre mieux.»

Il y a eu un gros couac de la part d’Ashok Subron concernant l’exercice de sélection pour le CEO à la NSIF, avec la présence de membres du Bureau politique de ReA sur le panel. Était-ce un manque d’expérience de l’État, un excès de transparence ou d’autres considérations jugées injustifiables ?
Nous sommes encore dans une phase d’apprentissage. ReA reconnaît ses couacs, mais nous sommes surtout là pour essayer de faire de notre mieux. Nous ne voulons pas sous-estimer la bonne foi de chacun. Nous étions arrivés à un point où le peuple s’est mobilisé dans un esprit de combat pour servir le pays. La diaspora nous a soutenus avec ferveur et confiance. Il faudra créer des opportunités pour que tous puissent participer.

Cela dit, nous reconnaissons que chaque fonction professionnelle a ses exigences, et qu’il est essentiel de les respecter.

Ashok Subron a déclaré sur Radio Plus qu’en tant que ministre de tutelle, il n’avait pas été consulté concernant la réforme de la Basic Retirement Pension (BRP). Pourtant, lors de la PNQ quelques jours plus tard, il semble dire tout et son contraire. Explications ?
Je pense qu’il s’est expliqué sur le sujet lors de la PNQ du leader de l’Opposition. C’est sa parole qui prime.

Kugan Parapen a déclaré sur Radio Plus, vendredi, qu’il reconnaissait que la réforme de la BRP rendait le gouvernement impopulaire et que c’était « un coup de massue » pour la population. Cette réforme était-elle nécessaire ?
Nous avons eu les explications très claires de Kugan Parapen, et surtout de Ram Etwareea, qui ont souligné en détail les implications d’un déclassement. L’exemple de la Grèce, que Ram Etwareea a connu de près, nous met en garde contre les effets néfastes d’un tel déclassement. Il a bien mis l’accent sur la manière dont la Grèce a sombré dans un marasme économique, où le manque d’emplois a entraîné des dégâts sociaux considérables.

Bien sûr, cela nous attriste profondément, et nous déplorons que Moody’s ait autant de pouvoir sur nous. Mais tel est le contexte actuel, et il faudra malheureusement faire avec.

Cela dit, il est important de souligner que le gouvernement a introduit plusieurs impôts ciblant les plus aisés. Nous espérons redresser l’économie et, surtout, améliorer les conditions de vie de chaque Mauricien et Mauricienne.

Nous voulons dynamiser l’agriculture afin de réduire notre dépendance aux produits importés. Je m’investirai personnellement pour soutenir l’agriculture biologique et ceux qui s’y consacrent. Je suis soulagée que certains de mes mandants aient pu obtenir un permis pour importer du bétail de Rodrigues. Cela permettra non seulement de soutenir nos amis rodriguais, mais aussi de contribuer à la création d’une coopérative à Vuillemin – l’un des endroits les plus défavorisés – qui œuvrera en faveur des habitants.

La classe syndicale reproche à ReA d’avaler des couleuvres en se taisant sur des mesures jugées impopulaires dans le Budget. Que lui répondez-vous ?
C’est une situation très difficile pour nous, et ils le savent très bien. Comme je l’ai dit au Parlement, nous allons nous atteler à trouver des solutions pour les travailleurs qui ne pourront pas exercer jusqu’à l’âge de 65 ans.

Surtout, il sera impératif d’introduire la semaine de 40 heures et de mettre en place des garde-fous afin que le flexitime soit instauré de manière digne et respectueuse. Nous tenons absolument à ce que l’équilibre entre vie professionnelle et qualité de vie devienne une priorité pour chaque employeur et soit pleinement ressenti par chaque employé.

La défense des droits des travailleurs reste au cœur de notre engagement. Ce sera toujours notre priorité et notre but ultime. Nous continuerons à nous battre. 

Il existe une marge de manœuvre pour venir en aide aux travailleurs qui seraient dans l’incapacité de poursuivre leur activité professionnelle»

On dit qu’un ministre, ça se tait et accepte une décision collective ou ça part. Le départ du gouvernement est-il à l’agenda de ReA, sachant qu’il existerait une aile favorable à cette option ?
ReA est un membre à part entière du gouvernement, et le programme 2025-2029 est aussi le nôtre. Nous avons pu compter sur des dirigeants et des colistiers à l’écoute lorsque nous avons travaillé sur ce programme qui s’échelonne sur cinq ans. Nous sommes là pour veiller à sa mise en œuvre et pour trouver des solutions durables aux défis majeurs que traverse le pays.

Comme tout gauchiste convaincu, nous savons que le combat n’est jamais gagné d’avance. D’ailleurs, Mouffe et Laclau (Hégémonie et stratégie socialiste. Vers une radicalisation de la démocratie, Paris, Fayard) ont bien souligné que la révolution nous inspire, mais que c’est la réalité des batailles quotidiennes qui nous façonne, d’où notre résilience.

Et vous-même, êtes-vous à l’aise au sein d’un gouvernement qui, après sept mois au pouvoir, a réussi l’exploit de réunir la grande famille des syndicats contre la réforme de la BRP ?
Nous saluons l’engagement des syndicats. Depuis longtemps, ils nous ont guidés, et leur persévérance a façonné notre peuple en peuple de combattants. Nous vivons dans un État de droit et nous respectons pleinement leur droit de se réunir, de s’exprimer et de manifester. C’est cela, une démocratie vivante.

Nous aimerions aussi pouvoir dire non à Moody’s. Mais quelles en seraient les retombées ? Il faudra donc travailler activement au sein des comités et proposer des solutions durables et humaines pour tous.
Plus que jamais, il est urgent d’humaniser le monde du travail. L’exploitation des travailleurs perdure depuis trop longtemps sur notre île ; c’est l’un des traumatismes hérités du colonialisme. Je compte sur les syndicats pour poursuivre leur combat en faveur du bien-être des travailleurs, dans tous les secteurs.

Cette question n’engage que vous : êtes-vous person-nellement et objectivement favorable à la réforme de la BRP ?
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : la viabilité du système est remise en question. On ne peut pas se voiler la face ni céder au populisme. Ce n’est pas notre but. Cela dit, il est impératif que les experts proposent des solutions adaptées aux réalités des travailleurs. Nous avons besoin de recherches approfondies sur les conditions de santé propres à chaque secteur, y compris dans des domaines professionnels comme la finance, où le burn-out décime littéralement des milliers d’employés.

En parlant de réforme, le gouvernement serait-il à la botte d’institutions comme Moody’s et le FMI, dans la crainte d’un déclassement ou d’une étiquette de « junk state » ?
Le néolibéralisme s’appuie sur des institutions dominantes et manipulatrices. Nous attendons, avec espoir, le jour où Moody’s sera remise en question, tout comme McKinsey l’a été dans le passé. Comme l’a rappelé Ram Etwareea dans son discours budgétaire, Moody’s incarne une forme de néocolonialisme, un impérialisme économique exercé par les pays du Nord.

Cependant, il est important de souligner que le gouvernement ne s’aligne pas aveuglément sur ces instances néolibérales. Il a taxé les plus riches et mis en place un programme social structurant à travers des investissements massifs dans des secteurs essentiels comme la santé et la sécurité sociale. Il faut aussi reconnaître que le portefeuille budgétaire le plus important a été attribué au ministère de la Sécurité sociale.

Plusieurs mesures du budget visent une refonte de nos institutions publiques afin qu’elles cessent d’être vulnérables aux dérives et aux pillages du passé. Nous sommes tenus d’instaurer davantage de transparence et d’efficacité. Ce sont, certes, des défis majeurs, mais c’est justement pour cela que nous avons pris ces engagements.

Le gouvernement a nommé deux comités pour se pencher sur la réforme de la BRP. N’est-ce pas mettre la charrue avant les bœufs, alors qu’on lui reproche de ne pas avoir initié de consultations préalables ?
Il faut reconnaître qu’il s’agit d’un gouvernement à l’écoute, qui cherche aujourd’hui à apporter des solutions. Nous devons désormais nous concentrer sur des mesures durables, viables à long terme. Les difficultés sont réelles, mais il existe une marge de manœuvre pour venir en aide aux travailleurs qui seraient dans l’incapacité de poursuivre leur activité professionnelle.

Qui dit ciblage dit aussi catégorisation des employés. Mais qui décidera ? Sur quelles bases et quels critères ? Le « means testing » est perçu comme subjectif, et le Board médical du gouvernement souffre d’un déficit de crédibilité auprès du public.

Le Board médical, dans sa forme actuelle, est quasi-dysfonctionnel. Il est dans notre intérêt de mettre en place un système efficace, fondé sur le respect des droits humains et de la dignité de chaque travailleur. Le défi est là : ne pas se limiter à un « means testing », mais tenir compte des conditions de travail réelles, ainsi que de la santé physique et psychologique des travailleurs.

Kugan Parapen a plaidé pour que les élus donnent l’exemple, en acceptant une réduction de leur salaire et des allocations, à titre symbolique. Seriez-vous prête à faire cet effort ?
La solidarité est l’un des piliers de la gauche. Donc, oui.

La perception des syndicats est que l’État-providence se meurt à petit feu. On commence avec la BRP, et d’autres acquis pourraient suivre. Ont-ils tort dans leur interprétation ou est-ce de la démagogie de bas étage ?
La BRP représentait effectivement une expression de l’État-providence, notamment pour des milliers de travailleurs issus de secteurs sous-payés et surexploités. On pense aussi aux femmes au foyer qui, après des années de dur labeur à élever leur famille et à contribuer à la reproduction sociale, pouvaient enfin bénéficier d’une somme d’argent qui les aidait dans leur quotidien. Cette pension permettait aussi de soulager nombre de personnes lourdement endettées.

Mais l’État-providence doit répondre aux besoins des plus nécessiteux. La coupure des pensions d’invalidité tous les six mois continue de faire des ravages parmi les plus vulnérables.

L’État-providence, d’autre part, inclut l’éducation gratuite, maintenue pour presque toutes les catégories, à l’exception de certains étudiants déjà en emploi. Il comprend également les services essentiels du secteur de la santé, l’ensemble des autres pensions, les aides de la NEF, ainsi que les soutiens apportés aux ONG.

Cela dit, une réforme concrète s’impose pour que chaque personne éligible à une allocation digne puisse y accéder, sans entraves institutionnelles.

Dans un éventuel rema-niement ministériel, dont on parle en coulisses, accepteriez-vous un poste de Junior Minister, voire de ministre ?
Le gouvernement est composé de ministres et de Junior Ministers qui remplissent leurs fonctions avec expérience, professionnalisme et un sens aigu du devoir envers un peuple profondément marqué par le passé. Je souhaite que cette dynamique se poursuive.

  • Nou Lacaz

 

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