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Au Nicaragua, un mois de manifestations a eu raison du tourisme

Des manifestants devant le Séminaire de Notre Dame de Fatima à Managua le 16 mai dernier.

"D'ici une semaine, je pense, nous n'aurons plus aucun touriste", confie, inquiet, le Français Raman Suzat, qui gère un hôtel à Grenade, le "Paris de l'Amérique centrale", au Nicaragua, déserté par les touristes après un mois de manifestations. Presque tous ont quitté l'hôtel "Mouth to Mouth", dont Raman s'occupe avec sa femme Apolline. "Il reste les gens qui sont encore dans le pays, en train de terminer leurs vacances".

De style colonial espagnol, la ville de Grenade, à 45 kilomètres au sud de la capitale Managua, est un passage obligé pour les touristes, chaque année plus nombreux au Nicaragua. Mais depuis le 18 avril, le pays d'Amérique centrale vit au rythme des manifestations, affrontements, pillages et incendies.

Depuis le début des mobilisations, déclenchées par une réforme des retraites (depuis abandonnée) puis devenues un mouvement de protestation contre le manque de libertés, 76 personnes ont perdu la vie et plus de 800 ont été blessées, selon la Commission interaméricaine des droits de l'homme. Mercredi, deux nouveaux décès et 54 blessés se sont ajoutés à ce bilan, lors d'affrontements entre manifestants et partisans du gouvernement de Daniel Ortega.

A Grenade, de nombreux hôtels et restaurants ont fermé leurs portes ces dernières semaines. Il devient difficile d'apercevoir un touriste parmi ses rues colorées, en bordure du lac Cocibolca, plus grande réserve d'eau douce d'Amérique centrale. Ces dix dernières années, le tourisme est devenu la principale source de devises du pays, mais les violences depuis avril ont refroidi les étrangers.

Récemment, des hommes armés avec des matraques sont sortis en pleine nuit dans les rues de la ville pour briser les portes des commerces et les piller. Ils ont tenté de faire de même avec l'hôtel de Raman Suzat, mais celui-ci a résisté en plaçant sa voiture derrière le portail, pour les empêcher d'entrer. Pendant ce temps, ses 40 clients tremblaient de peur. Au réveil, ils ont tous fait leurs valises. "Une nuit de terreur", se souvient Apolline.

Arrivé il y a trois ans dans le pays, Raman avait été séduit par sa croissance économique et sa réputation de sûreté, atypique dans une Amérique centrale gangrenée par la violence des gangs. Chaque jour, il accueillait dans son hôtel 30 à 40 touristes, en majorité européens, américains et canadiens. En mai, son activité a plongé et, à regret, il a dû renvoyer la plupart de ses employés. Avec son épouse, il s'est mis à gérer la réception, la cuisine et la comptabilité.

"On était à un taux d'occupation de 50-60% et maintenant on est à zéro, la situation est critique", témoigne aussi l'homme d'affaires nicaraguayen René Sandigo, qui gère l'hôtel Real La Merced. "Tous les jours nous avons des annulations", confirme le président de l'Association des hôteliers, Alvaro Diéguez.

Pourtant, Grenade, avec son architecture coloniale, ses balades au volcan éteint Mombacho et son lac parsemé de près de 400 ilots, a tous les arguments pour séduire les touristes. "C'est une ville avec beaucoup de culture", salue la touriste américaine Lissa Losson. Mais "la nuit, on entend des coups de feu", assure Maya Motyka, Canadienne de 19 ans qui a grimpé dans le clocher de l'Eglise de La Merced pour prendre des photos de la commune, fondée en 1524.

Le boom touristique avait dopé l'économie locale et créé de nombreux emplois comme serveurs, cuisiniers, guides touristiques... "Maintenant, je n'ai que deux clients qui prennent des sodas", soupire Angélica Talavera, propriétaire d'un restaurant. Le gouvernement estime que les manifestations feront chuter de 20% les 811 millions de dollars attendus cette année dans le secteur du tourisme. Il table aussi sur un ralentissement de l'économie, avec une croissance de 3 à 3,5% contre 4,7 à 5,2% prévus auparavant.

Les Etats-Unis déconseillent à leurs citoyens de se rendre au Nicaragua actuellement, or "notre principal marché, ce sont les Américains et avec l'alerte lancée par l'ambassade, la majorité d'entre eux sont partis", regrette le guide Eduardo Corea, qui note que les rares à être restés sont les "routards", qui dépensent peu.

Blanca MOREL/AFP/Photo : Diana Ulloa

 

 

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