À l’occasion de la présentation de la lettre pastorale dans le cadre du carême chrétien, l’évêque de Port-Louis, le cardinal Maurice Piat, s’est livré à Nawaz Noorbux et Jugdish Joypaul. C’était le vendredi 19 février 2021 dans l’émission « Au cœur de l’info » de Radio Plus. Pendant une heure, le cardinal a parlé de l’actualité politique, économique et sociale.
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Espoir
« Espérer encore aujourd’hui. » C’est le titre central de la lettre pastorale. Mais peut-on encore avoir espoir en l’avenir ? « L’humanité traverse des moments difficiles, tout comme l’île Maurice. Je crois profondément qu’il y a des espoirs. Ils sont dans les gens, dans les Mauriciens qui ne sont pas d’accord avec ce qui se passe et qui veulent du changement », estime le cardinal Piat.
À ses yeux, le fait que des citoyens descendent dans la rue pour manifester leurs griefs doit être vu de manière positive. « C’est bon signe que des gens qui ne sont pas inféodés à un parti disent concrètement qu’ils ne sont pas d’accord avec la manière dont le pays est géré et qu’ils disent haut et fort qu’ils veulent que ce gouvernement parte. C’était le slogan des deux principales marches. »
Toutefois, note l’évêque de Port-Louis, dans la marche du samedi 13 février 2021, « il est intéressant de voir que les gens disent qu’ils ne veulent pas de ce gouvernement et pas de l’opposition non plus ».
Changement
Le cardinal Piat concède que du changement est nécessaire, mais pas à n’importe quel prix. « Nous devons réfléchir à tête reposée. Nous voulons tous le changement et nous devons l’avoir. Même si ce gouvernement se repose sur 37 % des voix, il a une légitimité constitutionnelle à l’Assemblée nationale, car il a été élu constitutionnellement, jusqu’à preuve du contraire. Il faut accepter ce fait, même si nous ne sommes pas d’accord. C’est notre devoir de citoyen. »
Ce n’est donc pas à la rue de décider du gouvernement ? « Exactement. Mais attention, je ne dis pas du tout que descendre dans la rue est inutile. Au contraire, c’est important d’exprimer son désaccord. Mais les citoyens qui descendent dans la rue ont leur responsabilité aussi. »
Car, précise le cardinal, manifester est une chose et permettre un vrai changement en est une autre. « Il ne faut pas juste dire qu’on ne veut pas de ceci ou de cela, mais il faut aussi dire ce qu’on veut concrètement. S’il y a un désordre, de la corruption et des institutions qui ne fonctionnent pas, il faut cibler les points névralgiques qui causent ce dérèglement. » Le cardinal Piat insiste sur le fait que la société civile doit elle aussi prendre ses responsabilités.
Les politiciens qu’on mérite
« Nous avons les politiciens qu’on mérite. Si on prend leur argent et si on suit leurs consignes communales, c’est nous qui en sommes responsables. C’est à la société civile d’attirer des personnes valables », indique le cardinal Piat.
Il affirme ne pas partager l’avis de Pravind Jugnauth quand celui-ci a comparé les manifestants du 13 février à une « bande de frustrés » : « Avec tout le respect que je dois au Premier ministre, je ne suis pas d’accord avec cela. On parle là de citoyens qui veulent le bien de leur pays. Il faut leur rendre hommage. Il faut faire émerger ce qu’il y a de bon et de valable dans leur démarche. »
Par contre, il dit ne pas être d’accord avec le slogan B*** Li Deor. « Dire à un gouvernement de partir comme cela, cela n’aboutit pas. Ce serait livrer le pays entre les mains d’un dictateur. Il faut suivre les procédures démocratiques pour faire partir un gouvernement, mais cela demande du travail. Si on veut un bon gouvernement, il faut de bons électeurs. »
Le cardinal Piat est-il partie prenante dans la démarche du changement ? « Je peux donner mes idées, mais je ne peux pas mener le mouvement. Ce n’est pas mon rôle, mais je serais d’accord de donner mon point de vue », répond-il.
Crise de leadership
« C’est vrai », reconnaît le cardinal Piat à la question de savoir s’il y a une crise de leadership. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il trouve nécessaire de préparer les élections générales dès à présent car « quatre ans ne sont pas de trop pour se préparer et proposer un programme avec des propositions concrètes. Peut-être que cela va attirer des politiciens d’un autre calibre. S’il y a un groupe qui se lève avec des propositions intéressantes, les gens s’inscriront dès maintenant ».
Mais, déplore le cardinal, « il n’y a pas encore de leader ». Il souligne qu’il « en faut plusieurs pour exprimer ce que les gens dans la rue expriment de manière spontanée. Il faut pouvoir capter ce que disent les gens ».
Le cardinal Piat estime qu’il « faut à tout prix que le peuple reprenne le vrai pouvoir ». Le fait est cependant que la scène politique est entre les mains de politiciens qui sont là depuis des décennies. Le cardinal rappelle qu’en 1971, sir Seewoosagur Ramgoolam et Gaëtan Duval étaient là depuis des années. « Puis quelqu’un a émergé. Une autre force. Cette force qui a émergé c’était préparé bien en avance. Le MMM n’est pas né d’une petite crise après l’indépendance. C’est le même genre qu’il nous faut. On a un précédent dans le pays. »
« Partis corrompus »
Pour le cardinal Piat, si une partie de la population ne fait plus confiance aux partis politiques, c’est notamment à cause du manque de transparence dans leur fonctionnement. « Le financement des partis politiques est tellement corrompu. Ils n’ont aucun compte à rendre à personne. Ce qui ouvre la voie à beaucoup d’abus. Il faut insister pour qu’il y ait une loi sur le financement des partis politiques. »
Le cardinal Maurice Piat ajoute que cela fait plusieurs années que les partis essaient de tomber d’accord sur le sujet ainsi que sur un nouveau système électoral et que « chacun s’accuse de l’échec ». Ce qui le pousse à croire que « peut-être que le statu quo arrange tout le monde ».
Le système électoral mérite également d’être revu, selon lui. Le cardinal se dit en faveur de l’abolition du Best Loser System. Il souhaite que les candidats aux élections n’aient plus besoin de déclarer leur communauté.
Le découpage des circonscriptions est aussi un autre point à revoir, d’après lui. Il déplore l’absence de projet de société au moment des élections. « C’est une question de pouvoir et d’argent, mais il n’y a aucun projet de société (…) Les politiciens disent toujours : ‘Faites-nous confiance’. Or, la confiance n’est pas quelque chose qui s’achète mais qui se mérite. Un parti qui donne de l’argent pour voter pour lui est le parti le plus fragile qui soit. Un parti solide c’est des gens convaincus qui croient dans ce qu’ils veulent. »
Le combat contre la corruption, une priorité
Pour le cardinal, un des plus importants combats à mener rapidement est la lutte contre la corruption. « C’est comme une deuxième épidémie », affirme-t-il avant d’ajouter : « L’index de perception de corruption de la Banque mondiale montre que nous glissons sur une pente descendante. Cela risque de nous mener au chaos. Le chaos du Liban est dû à la corruption. Il faut faire très attention. Ce n’est pas uniquement une question de morale mais aussi de survie. La corruption est comme un cancer. »
Le cardinal Piat déplore le fait que certaines institutions ne fonctionnent pas comme il le faudrait. « Parmi, il y a l’Assemblée nationale qui ne se réunit que trop rarement. Et quand il se réunit, il y a un Speaker qui empêche un vrai dialogue. C’est un premier scandale. Le chef de l’Icac (Independent Commission against Corruption ; NdlR) est un nominé politique alors qu’il devrait être quelqu’un d’indépendant. C’est un second scandale. »
S’il reconnaît qu’au sein de la police « il y a beaucoup d’éléments de grande valeur », il est d’avis qu’un renouveau s’impose avec « une formation humaine pour pouvoir être à la hauteur de sa responsabilité dans la société ». Il suggère que toutes les grandes institutions soient gérées par « des gens indépendants qui sont pour le bien commun ».
Risque de dérapages communaux ?
« Il ne faut pas attendre qu’il y ait un feu pour l’éteindre. Il faut commencer par prévenir. Il faut prendre le temps de rencontrer des gens issus d’autres communautés. On est tous dans le même bateau. La solution à nos problèmes est dans la main de chaque Mauricien. »
Le cardinal Maurice Piat déplore le fait que des politiciens utilisent le levier communal dans le but de se faire élire. « Les personnes en charge des partis doivent mettre à la première place le bien du peuple et non celui de son parti », tranche-t-il.
Par contre, dit-il, ce qui est un fait général est que « des Mauriciens qui veulent des changements, on les trouve dans toutes les communautés ».
« Choquantes » allocations de contrats
L’évêque de Port-Louis a été interrogé sur les allégations autour des allocations des contrats pour du matériel médical durant le confinement. « C’est très choquant. C’est révoltant. Il faut que les vrais coupables soient punis. Où est le bien commun là ? Des petits malins cherchent à se remplir les poches alors qu’il y a une population qui souffre d’une crise économique et qu’il faut se soutenir mutuellement. Il y a vraiment de l’ordre à mettre. »
Indépendance de l’église et le père Grégoire
L’église soutient-elle Bruneau Laurette ? « On ne soutient aucun parti politique, ni aucun groupe de pression ou personne en particulier. » Le cardinal Piat souligne que « l’église catholique a une politique de longue date qui veut qu’on respecte l’autorité qui est en place ».
Mais, nuance-t-il, « je garde ma liberté ». Il soutient que quand il y a des célébrations, « les politiciens n’ont pas droit à la parole ».
Interrogé sur le père Jocelyn Grégoire, il reconnaît que celui-ci fréquente le milieu politique. Il précise toutefois qu’il l’a « déjà interpellé sur le sujet » et qu’il lui a dit que « ce n’est pas notre tradition ». Ce à quoi le père Grégoire lui a répondu qu’il « a des contacts pour pouvoir faire profiter à la population créole des différentes facilités qu’offre le gouvernement ».
« C’est très bien, mais il faut faire attention. Il faut rester libre et garder sa capacité d’être critique de manière constructive. Je lui ai dit. Il doit prendre ses responsabilités. Les prêtres de l’église catholique ne doivent jamais faire de politique active », estime le cardinal.
Logements sociaux
L’évêque de Port-Louis est d’avis qu’il y a des améliorations à apporter en matière de logements sociaux. « Depuis la bataille sur les squatteurs, il y a une bien meilleure coordination entre notre service de Caritas et la NHDC (National Housing Development Company ; NdlR). On a pu travailler ensemble pour chercher des solutions et délimiter des urgences humanitaires. J’ai visité quelques nouvelles maisons qu’ils font. Je dois dire qu’elles sont très bien. Ce ne sont plus des boîtes d’allumettes. Nos travailleurs sociaux sont très heureux de la relation qu’ils ont avec les officiers de la NHDC. »
Le PM
« Pourquoi ne rencontrez-vous pas le Premier ministre pour partager vos opinions et vos propositions ? » Pour répondre à cette question posée par Nawaz Noorbux, le cardinal Maurice Piat déclarera ceci : « Mon désir est de le rencontrer à nouveau. On s’est rencontré quelques fois, mais je ne l’ai pas souvent vu. »
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