
À la fin de septembre, Maurice vivra les assises du travail et de l’emploi, organisées par le ministère du Travail.
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Les syndicats, les employeurs, les ONG et le grand public sont invités à repenser les politiques de l’emploi, à renforcer le dialogue social et à proposer des réformes législatives.
Quelles sont les grandes attentes de cet évènement ? Le point.
Les assises du travail et de l’emploi, conçues comme un exercice participatif et structuré sur trois jours, visent un consensus national autour du travail décent. Elles incluront des ateliers et des groupes de travail thématiques pour formuler des recommandations, avec une attention particulière concernant l’égalité des genres, l’inclusion des jeunes, des personnes handicapées et des groupes vulnérables. Les thématiques abordées seront larges : réforme du Code du travail, conditions de travail, relations industrielles, sécurité et santé au travail, santé mentale, impact des nouvelles technologies et changement climatique. La question de la main-d’œuvre étrangère sera également centrale, dans le cadre d’un vieillissement démographique, afin de garantir dignité et respect des standards internationaux.
Mais au-delà d’un simple colloque, les assises visent des résultats tangibles : recommandations, plan d’action et, si nécessaire, réformes législatives fondées sur un consensus social durable.
Interrogé en août par Le Défi Media Group, le ministre du Travail, Reza Uteem, avait exprimé sa volonté de changer la manière dont les réformes du droit du travail sont élaborées à Maurice. Il a souligné que le pays est lié par une convention internationale qui requiert la tenue régulière de consultations tripartites entre l’État, les employeurs et les travailleurs.
Selon lui, cette exigence n’a pas toujours été respectée dans le passé. Sous le précédent gouvernement, plusieurs réformes ont été introduites via le Finance Bill, sans concertation préalable. Cette méthode aurait, selon lui, fragilisé le dialogue social et réduit la confiance entre les partenaires sociaux.
Depuis son arrivée au ministère, Reza Uteem dit vouloir instaurer un climat plus transparent et collaboratif. Les assises, a-t-il indiqué, marquent une étape dans cette démarche en réunissant l’ensemble des acteurs concernés pour réfléchir collectivement aux évolutions nécessaires.
« Il ne s’agit pas d’un simple exercice de communication », a précisé le ministre, qui insiste sur l’objectif de formuler un plan d’action, comprenant des recommandations et, le cas échéant, des propositions de réforme législative fondées sur un accord entre les différentes parties.

Ravish Pothegadoo, directeur de Talent on Tap : « Une ‘Ile Maurice 2.0’ pour garantir justice et équité aux travailleurs »
Les assises du Travail et de l’Emploi offrent « l’occasion de refondre complètement le système », estime Ravish Pothegadoo, directeur de Talent on Tap. Selon lui, le pays a besoin d’une véritable « Ile Maurice 2.0 ».
Pour Ravish Pothegadoo, la première réforme nécessaire concerne la définition même du mot « worker ». « C’est une absurdité absolue que seules certaines catégories d’employés, celles gagnant moins de Rs 50 000, soient protégées par la loi. Les règles doivent s’appliquer à tous, sans discrimination », déclare-t-il. Il critique aussi le calcul des indemnités de licenciement. « Les employés ayant moins d’un an d’ancienneté ne perçoivent rien en cas de licenciement injustifié. Ce n’est pas normal », insiste-t-il, rappelant que le « severance allowance » actuel ne s’applique qu’après la première année de service. Il remet en question le fonctionnement du comité disciplinaire. « Le président est payé par la compagnie elle-même. Il est évident que ses recommandations pencheront en faveur de l’employeur. Il faut une entité indépendante, composée de juges ou de préposés du travail retraités. » Il met en avant l’importance de la prévention des risques professionnels et de la santé mentale au travail. « La santé physique et psychologique des travailleurs doit être protégée. Il faut se calquer sur les principes de l’Organisation internationale du travail. » Avec ces propositions, Talent on Tap souhaite que les assises du travail deviennent le point de départ d’un système plus juste, inclusif et moderne à Maurice.
Dr Vasant Bunwaree, ancien ministre du Travail : « Il faut corriger les failles dans une optique de modernisation »
L’ancien ministre du Travail, Dr Vasant Bunwaree, plaide pour des Assises inclusives, ouvertes et tournées vers des réformes concrètes, afin d’éviter un simulacre de dialogue sans impact législatif réel.
À votre avis, quelles sont les conditions essentielles pour que les Assises de l’Emploi et du Travail débouchent sur un consensus réel et durable, au-delà des intentions affichées ?
Je ne pense pas qu’il puisse y avoir de conditions prédéfinies pour que cela soit une réussite. Ce qui est important, c’est d’organiser les Assises. Il faut savoir de quoi on parle. Toutes les parties prenantes, sans exception, doivent être prises en compte. Il faudrait un agenda de travail élaboré par le ministère du Travail. Les Assises sont l’occasion de faire des progrès. La possibilité doit être laissée à tous les acteurs de s’exprimer et de défendre leurs arguments. Un des éléments essentiels est la capacité d’écoute.
Il conviendrait de se rappeler la période pré-indépendance, où il y avait un régime dictatorial et la souffrance des travailleurs. Après l’indépendance, le pays a connu une opposition forte qui a dénoncé l’injustice et défendu le petit peuple. Des années plus tard, de nouvelles lois du travail ont été adoptées à Maurice. Les plus grands changements fondamentaux ont été effectués dans les années 2007. Cependant, le monde du travail évolue continuellement.
Comment jugez-vous la volonté du ministre actuel de rompre avec les pratiques du passé en instaurant un processus plus participatif, notamment à travers la tenue de consultations tripartites ?
Je ne comprends pas vraiment ce que veut dire le ministre. Peut-être qu’il parle d’approche pour aborder les divers domaines à discuter. Le but principal devrait être de réunir toutes les parties prenantes autour d’une même table et de parler à cœur ouvert de tous les sujets d’intérêt liés à l’emploi et au travail.
Quels défis concrets identifiez-vous dans la mise en œuvre des éventuelles recommandations qui découleront des Assises, notamment concernant les groupes vulnérables, la réforme du Code du Travail ou la question de la main-d’œuvre étrangère ?
Ce ne sont pas des transformations fondamentales qu’il faudrait, mais des retouches à apporter à notre loi du Travail. Il faut identifier les failles et proposer des amendements nécessaires, avec une idée de modernisation. L’aspect technologique et les développements associés doivent être pris en compte.
Pensez-vous que les Assises pourraient véritablement influencer la réforme législative du travail, ou risquent-elles de rester un exercice symbolique sans portée juridique ?
Les changements qui seront présentés au Parlement devront avoir un visage différent de la loi que j’ai élaborée dans le passé. Les anomalies doivent être corrigées. Il faut tenir compte à la fois de l’employé et de l’employeur. Les mesures ne doivent pas freiner les entrepreneurs, tout en garantissant les droits des travailleurs. Dans le passé, il y a eu certaines concessions, le but étant d’aboutir à une loi valable pour le pays, après des années infructueuses de lutte pour la loi du travail dans le sillage de l’indépendance.
Adilla Diouman-Mosafeer , directrice et fondatrice de Talent Lab et de HR Café : « Une ‘scarcity list’ permettrait de faciliter l’arrivée rapide de talents étrangers »
Les prochaines assises du travail arrivent à un moment crucial. Pour Adilla Diouman-Mosafeer, directrice et fondatrice de Talent Lab et de HR Café, cette initiative représente une opportunité de réformer le système et d’aligner les politiques sur les besoins réels des entreprises et des travailleurs. « Au-delà des engagements électoraux sur la semaine de 40 heures et le congé parental prolongé, j’espère que ce dialogue national servira de plateforme pour une action plus profonde et stratégique », indique-t-elle.
Selon Adilla Diouman-Mosafeer, le décalage persistant des compétences et la dépendance à la main-d’œuvre étrangère restent des défis majeurs. Elle insiste sur l’importance de mesures, notamment le traitement accéléré des demandes de permis de travail pour les secteurs en pénurie. « L’établissement d’une “ scarcity list ” permettrait de faciliter l’arrivée rapide de talents étrangers là où ils sont le plus nécessaires », précise-t-elle. Pour elle, il est nécessaire de valoriser les métiers peu plébiscités localement et de soutenir les PME dans la gestion de leurs ressources humaines. « Une plateforme dédiée aux PME les aiderait à maîtriser une fonction Ressources humaines de plus en plus complexe et essentielle à leur croissance », explique-t-elle. Enfin, elle appelle à un dialogue inclusif, impliquant les employeurs, les syndicats, les jeunes et les PME. Elle souhaite que les assises débouchent sur une feuille de route claire et une culture d’entreprise harmonisant productivité et bien-être. « C’est à ce prix que nous pourrons bâtir un marché du travail résilient et compétitif pour tous », confie-t-elle.
Haniff Peerun, président du MLC : « L’adhésion syndicale doit être obligatoire »
Le président du Mauritius Labour Congress (MLC) présente un ensemble de propositions visant à moderniser le monde du travail à Maurice. Pour Haniff Peerun, la transition vers la retraite doit être anticipée. « Il est crucial de préparer psychologiquement les travailleurs quelques mois avant leur départ. Trop de personnes tombent dans la dépression ou se sentent oubliées, subissant un stress important », explique-t-il. Le président du MLC met aussi l’accent sur le renforcement des syndicats. « Dans le privé, le taux de syndicalisation est très faible. Nous devons rendre l’adhésion obligatoire, comme en Chine. Ce qui donnera plus de force aux syndicats tout en préservant leur autonomie financière », souligne-t-il.Haniff Peerun propose de réformer les conseils disciplinaires afin de retirer à l’employeur le pouvoir de nommer et de rémunérer le président. « Le ministère du Travail devrait constituer un pool indépendant pour présider ces conseils et garantir l’équité », précise-t-il. Parmi ses autres recommandations : la création de comités d’entreprise pour le bien-être des employés, la révision des horaires de travail en lien avec le changement climatique, l’instauration du flexi-time, la couverture médicale annuelle gratuite pour tous les salariés ou encore une cantine d’entreprise ou un pourcentage d’actions gratuites aux employés.
Jane Ragoo, secrétaire générale de la CTSP : « Le droit aux congés ne doit pas être conditionné au bon vouloir de l’employeur »
La Confédération des travailleurs du secteur privé (CTSP) présente un ensemble de propositions visant à réformer le droit du travail à Maurice. Jane Ragoo, secrétaire générale de la CTSP insiste sur la nécessité de protéger les travailleurs et d’adapter la législation aux réalités actuelles.
Parmi les propositions phares figure la révision des congés annuels, avec une garantie de trente jours tous les cinq ans et la suppression de la dépendance à l’autorisation de l’employeur. « Il est crucial que le droit aux congés soit effectif et non conditionné au bon vouloir de l’employeur », affirme-t-elle. Le traitement des contributions au Fonds de gratuité portable (PRGF) fait également l’objet de recommandations, avec un délai maximum de trois mois pour le paiement après la fin du contrat. « Retarder l’accès au PRGF prive le travailleur de sa sécurité financière quand il en a le plus besoin », dit-elle.
La CTSP propose aussi l’instauration d’une semaine de travail de 40 heures rémunérée sur six jours. Elle plaide pour la transparence des fiches de paie, le droit à un congé menstruel d’un jour par mois et des mesures spécifiques pour les travailleurs étrangers, incluant l’accès à la nourriture, au logement et à un suivi médical. Sur le plan institutionnel, la CTSP recommande la décentralisation du tribunal industriel, l’introduction de pénalités financières pour retard dans le traitement des litiges et la représentation des syndicats devant les instances de redondance. « L’objectif est de rendre le système plus équitable et efficace », avance Jane Ragoo. Elle insiste également sur l’inclusion des travailleurs étrangers dans les syndicats et la ratification de conventions internationales, notamment l’ILO 190 sur la violence et le harcèlement au travail. « Les droits des travailleurs, qu’ils soient locaux ou étrangers, doivent être protégés de manière uniforme et systématique. » Selon elle, ces propositions, si elles sont adoptées, pourraient transformer le paysage du travail à Maurice, en renforçant la sécurité, la dignité et le bien-être des travailleurs dans tous les secteurs.

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