C’est la toute première fois qu’il parle de lui, de l’homme derrière le syndicaliste et le militant engagé de Rezistans ek Alternativ. À l’occasion de son 60e anniversaire, le lundi 13 novembre, Ashok Subron ralentit le rythme, lève le voile et se confie.
Soixante ans. Un événement. « Nous avons pu vivre six décennies. Ce n’est pas rien ! » Un tournant. « Atteindre l’âge de 60 ans est un moment important dans la vie de tout individu. » L’occasion pour Ashok Subron de lever le voile sur tout un pan de sa vie. Dévoilant l’homme derrière le syndicaliste engagé en faveur des droits des travailleurs et de la nature.
Nous l’avons rencontré à son domicile à Moka jeudi, quelques jours après son 60e anniversaire le 13 novembre. Une maison qui l’a vu grandir et qu’il envisage de léguer à Rezistans ek Alternativ (ReA) ainsi qu’au Centre for Alternative Research and Studies (CARES) avant son départ de ce monde. Adossé au fauteuil en rotin appartenant à sa mère, il remonte le fil du temps et ouvre le livre de sa vie.
Il s’est livré sur sa page Facebook en début de semaine. Pourquoi ? « Pour mes 60 ans, j’ai décidé de parler de mon enfance », répond-il. Avant de faire savoir qu’il y était déjà disposé en 2005, lorsque ReA avait déposé sa première plainte en Cour suprême concernant la classification communale lors de la tenue des élections générales. « Je m’étais préparé à parler de moi s’il arrivait que je sois appelé à me présenter dans le box. Mo ti pou dir ziz la, gete si kapav klas mwa pli bien ki mwa ! Mais l’occasion ne s’est pas présentée. »
Pour ses 60 ans, poursuit Ashok Subron, il a décidé de parler de celles qui ont fait de lui l’homme qu’il est. « Et tout commence par celle qui m’a donné naissance. »
Celle qui lui a donné naissance, un 13 novembre 1963 à l’hôpital de Moka, portait le surnom Subron. « Seki monn aprann par laswit ar mo bann pros se a enn moman, kan inn fini deklar mwa, madam-la inn dir de madam, kinn vinn mo de mama apre, pran mwa », révèle-t-il.
C’est ainsi que les deux femmes, qui travaillaient à l’hôpital de Moka, sont devenues ses deux mamans. « Elles ont pris soin de moi comme si j’étais leur fils biologique. Dan plas enn mama, monn gagn de mama ek de lakaz. Je dois dire que je n’ai eu aucune privation durant mon enfance. Au contraire, j’étais un enfant gâté », se remémore Ashok Subron.
Comment faisait-il pour jongler entre deux maisons et deux familles ? « L’alternance a pris place par la force des choses. Kan enn mama ti pe al travay, mo pe res kot lot. C’est ainsi qu’au sens propre du terme, j’ai vécu dans deux maisons. Cette chance de vivre dans deux familles m’a permis de développer deux sensibilités culturelles qui font partie de la mosaïque mauricienne. »
L’éducation tient une place importante dans ses deux maisons. Il est introduit à la lecture et aux journaux. Il fréquente l’école primaire du gouvernement de Montagne-Ory, un véritable bonheur pour lui. « La région était magnifique et l’école primaire était connue comme étant l’une des plus belles du pays à l’époque. »
Il doit marcher pour se rendre à l’école. « En route, je devais passer tout près des deux rivières de la région. C’est à ce moment que ma passion pour la nature s’est éveillée. »
D’ailleurs, Ashok Subron confie qu’il a passé presque toute son enfance à jouer au bord des rivières. « J’ai eu une enfance très riche. J’ai appris à nager et à plonger. Les enfants de la région se rendaient souvent à la rivière. Nounn kap lekol pou al naze larivier. C’était un véritable plaisir. Les rivières n’étaient pas polluées. Mo ti pe al lapes kamaron. Ti pe sove al lor montagn… »
Ashok Subron fait ses études secondaires au collège St Andrew’s. C’est une nouvelle période d’éveil politique pour lui. « J’adore ce collège en raison de sa superficie, son architecture et la liberté octroyée aux élèves de pratiquer un sport. J’étais un passionné des sciences, que j’ai étudiées jusqu’en HSC », ajoute-t-il
C’est durant ses années de collège, dans les années 70, qu’il se retrouve au contact de la « rébellion estudiantine » à l’origine de son éveil politique. « Je me suis frotté aux élèves de 1975 et à l’école j’étais un gauchiste. La preuve, sur mon sac à dos était écrit ‘MMM-SP ! J’étais fasciné par la mouvance. Cela m’a façonné en tant que démocrate. Je sais très bien ce que signifie répression », affirme Ashok Subron.
Une fois le secondaire complété, il se lance en politique. « Mes idées politiques, qui étaient parfaitement structurées, m’ont permis de rejoindre la lutte des classes en 1982. C’est ainsi que j’ai rejoint Lalit où j’ai eu l’occasion de tisser une profonde relation avec feu Rex Stephen. J’ai été candidat aux élections générales de 1983, 1987, 1995 et 2000 sous la bannière de Lalit. »
En 2004, après 22 ans, il décide de prendre son envol. « Mo pa regrete monn dan Lalit ek mo pa regrete monn kit Lalit. Lalit a été comme une école pour moi. Pou exekit seki ounn aprann dan lekol-la, ou bizin andeor lekol-la », fait ressortir Ashok Subron. C’est dans le courant de la même année que ReA est créé.
Politicien et formateur
Qu’en est-il de sa carrière professionnelle ? « C’est une très bonne question. » Ashok Subron dit avoir travaillé comme documentaliste dans le centre de documentation de Lalit et de Ledikasyon Pu Travayer en 1982. Il a fait des études post-secondaires dans le domaine de l’informatique. « J’ai même été enseignant d’informatique dans une institution située à Curepipe en 1991 et 1992. Durant la même période, j’ai obtenu des bourses afin de suivre des cours à l’Organisation internationale du travail (OIT) basée à Turin, en Italie. »
Une fois ses cours complétés, il travaille comme consultant pour l’OIT à partir de 2005-2006. « Je formais des représentants syndicaux mauriciens et étrangers dans le domaine de l’informatique. »
Ashok Subron revient ensuite sur les divers mouvements de grève dont il a été à l’origine. Le premier remonte à 1992. « C’était la grève des travailleurs opérant dans le domaine de la construction. Après cela, il y a eu le mouvement de grève dans l’industrie sucrière en 2010. Une année plus tard, il y a eu le mouvement de grève pour revendiquer les conditions de travail des employés de la Cargo Handling Corporation Ltd (CHCL), sans oublier celui de l’industrie du transport en 2014 », rappelle-t-il.
Quels sont les sentiments qui l’animent en réalisant qu’il a eu une riche carrière sur tous les fronts ? « J’apprécie le fait qu’il n’y a aucune négativité et hostilité à mon égard. Kan mo marse lor sime ena dimoun aret mwa ek dir mwa kontign seki ou pe fer. Ena dimoun aret mwa ek dir mwa pei bizin dimoun kouma ou ek kontign ou lalit kont kominalis ek linzistis. Je constate, et ce avec beaucoup de contentement, que je suis apprécié de tout le monde. À mes yeux, le plus important n’est pas la popularité mais la reconnaissance de ma contribution. »
À 60 ans, l’heure est à un bilan, selon Ashok Subron. Il rappelle que la pandémie de Covid-19 a mis en évidence l’importance, mais aussi la fragilité de la vie. « C’est la raison pour laquelle je pense qu’il faut faire un bilan de sa vie sur terre une fois avoir atteint 60 ans. Il faut méditer sur ce que nous avons pu donner aux autres, ou encore sur les éléments qui sont à l’origine de notre constitution physique. Je pense que c’est également le moment de dire ce que nous n’avons pas pu dire à haute voix », dit-il.
Et qu’est-ce que la vie lui a appris ? « J’ai appris à avoir deux familles. Ena enn fami inn grandi mwa. Ek mo fami ar ki monn milite. Je suis très attaché au petit-fils de ma compagne. Ce petit, qui se prénomme Julian, est comme une partie de moi. La vie m’a aussi appris à rester humble peu importe les situations et c’est ce qui m’a permis d’avancer. La vie m’a appris l’importance de la vie. La crise écologique est une véritable menace à la reproduction de la vie. C’est la raison pour laquelle je remercie ceux qui ont fait de moi l’homme que je suis. Je suis le produit de tout ce qui m’entoure. C’est la première fois de ma vie que je parle de moi. J’assume pleinement mes propos car je me suis promis de dévoiler cette partie de moi lors de ma 60e année d’existence sur cette terre », conclut-il.
Et a-t-il fêté son anniversaire ? Ashok Subron révèle que ce sont ses « amis » qui l’ont convaincu de célébrer son anniversaire vendredi dernier… au bord de la plage entouré d’un feu de camp. « Et depuis ce long week-end d’anniversaire, je dois vous avouer que je me sens très bien. Mo ena plin lenerzi ek mo santi mwa anvi fer boukou kiksoz ! »
Son amour pour la plage de Tamarin
Ashok Subron explique avoir toujours aimé camper en bord de mer. Adolescent, il jouait des instruments à percussion. Pour lui, « le village de Tamarin est un lieu magique ». « Monn grandi laba. Monn al kanpe pandan enn mwa. Bann pli zoli lamizik monn tande se dan Tamarin. J’ai vu les plus belles vagues de toute mon existence à Tamarin. »
Sa passion pour les dauphins vient de son amour pour la plage de Tamarin. « Kan nou asiz lor laplaz Tamarin lontan, nou ti kapav trouv dofin. Ena bann ler nou ti pe asize ek ti pe get dofin pe zwe. C’était un véritable plaisir. Je menais une vie de hippie. J’ai joué mes plus belles parties d’échecs sur la plage de Tamarin », se remémore-t-il.
Il se dit « extrêmement blessé » devant « l’agression dont la région de Tamarin a été victime au fil du temps ». Ashok Subron déplore le fait que le village, « qui a été envahi par les riches, a été bétonné de partout ».
Aujourd’hui, il se rend dans la région uniquement durant la soirée. « Zis pou mo pa santi mwa pertirbe. » Son souhait le plus cher est qu’une fois décédé et incinéré, ses cendres soient dispersées sur la plage de Tamarin. « Laba ki mo anvi ale parski se laba ki monn grandi. »
Ashok Subron confie être une personne simple. « Je suis friand de bon café. Je ne m’attache à rien de matériel. J’ai déjà fait un testament stipulant clairement que tout ce dont j’ai hérité de ma maman ira à CARES et ReA. Mes documentations seront léguées à mon petit-fils », révèle-t-il.
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