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[Article complet] Marchands ambulants à Port-Louis: Rs 50 millions de recettes par mois

Martine Baptiste
Les colporteurs s’opposent toujours à leur relogement de peur que leur confinement dans des sites hors rue diminue sévèrement leurs recettes. Celles-ci s’élèvent à Rs 1,8 million en moyenne par jour et Rs 50 millions par mois pour 1 3 00 marchands, selon notre enquête. Leur marge de profits oscille autour de 40 %.     « Isi nou pa pou kapav fer enn tyer la vante ki nou fer lor lari », tempêtent des marchands ambulants qui ont dû abandonner les rues Léoville L’Homme, Sir William Newton et les alentours pour s’installer Place Immigration. « Croyez-vous que des gens qui travaillent au centre de la capitale vont pouvoir venir ici pendant le déjeuner ? D’autant plus que nous opérons dans un espace restreint, comme qui dirait une boîte de sardines. Nous allons devoir nous contenter du nombre de gens qui emprunte cette gare routière. » Les marchands ambulants de Port-Louis sont répartis en quatre catégories. Environ 40 % des colporteurs (500) vendent des vêtements, 300 des articles de luxe, 200 des petits articles, 150 des fruits et 150 des légumes, selon Hydar Ryman, président du Front commun des marchands ambulants et une centaine de marchands à la sauvette. Il ressort de notre enquête que les recettes de 1 300 marchands ambulants se chiffrent à Rs 1,8 million en moyenne par jour et Rs 50 millions par mois.

Tableau des recettes

[lptw_table id="26972" style="material-blue"] Soit  Rs 750 000 en moyenne par jour par les 500 marchands de vêtements, Rs 450 000 par les 150 vendeurs de fruits, Rs 400 000 par les 300 marchands de luxe, Rs 100 000 par les 200 commerçants des petits articles et Rs 100 000 par les 150 légumiers. Tous les colporteurs sont unanimes qu’ils réalisent les plus grosses recettes en fin et au début du mois. « La majorité des Mauriciens attendent la paie pour dépenser car ils tirent le diable par la queue pendant les deux dernières semaines du mois », fait ressortir Pradeep. Samedi est considéré comme le « jour de la moisson », avec un nombre supérieur d’acheteurs. « En jours de semaine, il n’est pas donné à tout le monde de faire du shopping. Les acheteurs sont principalement des gens qui habitent ailleurs et qui viennent travailler à Port-Louis. Or, les Portlouisiens et les habitants des régions avoisinantes profitent de samedi et dimanche pour faire leurs courses », observe Hydar Ryman.

Profits variant de 25 à 50 %

Au nombre de 500 environ, les marchands de vêtements sont parmi les plus nombreux dans la capitale. Leurs produits varient des sous-vêtements aux blouses, chemises, pantalons et jupes en passant notamment par les sandalettes et les chaussures. La majorité des commerçants concèdent qu’ils vendent au minimum un ou deux items par jour. Ce qui peut leur rapporter entre Rs 200 et 400. Certains colporteurs avancent qu’il y a des jours où ils font chou blanc, autrement dit « pa fer batem ». C’est le cas d’Ibrahim, marchand de vêtements depuis plus de deux décennies que nous avons croisé rue Sir Celicourt Antelme (près du Supermarché Winners). « Je dois faire bouillir la marmite, ayant une famille à nourrir. C’est la raison pour laquelle je suis obligé à travailler, malgré moi, 7 jours sur 7. Ou krwar mo pa ti pou kontan ress mo lakaz pass impe letan avek mo lafami ? Ce n’est pas mon choix. J’ai été contraint et je suis condamné à vivre ainsi. » Pendant le week-end, la période où les clients sont plus nombreux, les recettes peuvent grimper jusqu’à Rs 2 500, voire plus, pour des profits variant de 25 à 50 %, comme nous l’explique Jean Noël Curpen, marchand de chaussures. « Avant le relogement, nous brassions un chiffre d’affaires de Rs 2 000 par jour, voire plus. C’était suffisant pour moi et mes deux collaborateurs. Cela fait trois jours depuis que nous sommes à Decaen et nous n’avons vendu qu’une paire de chaussures à Rs 250. Kouma pou viv ? » s’interroge Jean Noël Curpen, marchand ambulant depuis plus de 25 ans. Les marchands de produits dits « de luxe » sont, eux, au nombre de 300. Ils proposent des bijoux fantaisies, des montres, des parfums et des lunettes de soleil, des accessoires pour téléphones portables ou tablettes tactiles ou tout autre produit « à la mode », comme nous le révèle Shariff Nabeebux, horloger. « Lorsque je travaillais dans l’ancien bâtiment de la National Transport Authority, je pouvais me faire entre Rs 500 et Rs 2 000 de recettes par jour. Mais ici, à Daecan, où je squatte l’étal de quelqu’un d’autre, c’est à peine si j’arrive à ‘kas pisso’ », martèle le quinquagénaire. Un autre colporteur nous confie que les recettes peuvent dépasser les Rs 3 000 pendant le week-end de fin du mois. La marge de profits pour ces marchands se situerait dans la fourchette de 20 à 35 % pour des recettes quotidiennes de Rs 500 à Rs 3 000.

Vente de « ti-lartik »

Les « piles », « lakre kankre », les ustensiles de cuisine, les « lasse soulyer » et les coupe-ongles constituent les articles dits « de base » des marchands « ti-lartik ». Leurs recettes tournent autour de Rs 300 pour une journée dite « normale ». Toutefois, elles peuvent atteindre les Rs 2 000 en fin de mois ou pendant les périodes de festivités. « Certains jours, je me contente de la vente d’un ou deux briquets à Rs 10 ou à une brosse à dents à Rs 20 seulement. Ek la osi bizin arpante Port-Louis avan gayn enn kliyan. Lorsque j’essaie de tenter ma chance dans les autobus, on m’insulte. J’ai parfois honte de rentrer chez moi les mains vides », soutient Andy. La capitale compte quelque 300 marchands ambulants de produits comestibles, soit environ 150 marchands de fruits et le même nombre de marchands pour les légumes. La première catégorie de marchands de fruits ne propose – que deux ou trois variétés de fruits et ces marchands ne travaillent que pendant les heures de bureau, soit de 8 à 17 heures. Leurs recettes journalières tournent autour de  Rs 500. « Je suis de ceux qui ‘travay gramatin pou manze tanto’. Avec un maigre capital, mo na pa kapav expoz boukou ek enkor mwin fer lekonomi. Les recettes du jour, je les utilise pour acheter à ma famille de quoi manger le soir et le lendemain matin, et pour l’argent de poche des enfants », souligne Vinen, ancien marchand de fruits à rue Farquhar. La deuxième catégorie de marchands de fruits, eux, propose une plus large variété de fruits et pour ceux qui travaillent jusqu’à fort tard en fin d’après-midi, ils peuvent empocher jusqu’à Rs 5 000 par jour. « La majorité des gens achètent pour Rs 50 à Rs 100 de fruits au minimum. Avec une moyenne d’une trentaine de clients par jour, les recettes me reviennent à environ Rs 3 000 à Rs 4 000 et, parfois, elles peuvent atteindre jusqu’à Rs 6 000–Rs 7 000 », soutient un marchand qui a toutefois souhaité garder l’anonymat. Idem pour les marchands de légumes avec, d’un côté, les « ti-marsan ». Il s’agit généralement de vendeurs qui habitent les régions rurales et qui cultivent eux-mêmes leurs légumes, notamment des fines herbes et des « bred ». À Rs 10-Rs 20 l’unité, ces légumes « prêts à cuire » se vendent généralement comme des petits pains. « Pour les gens qui travaillent et qui ne disposent pas beaucoup de temps, nous leur proposons des ‘sachets chopsoy’, ‘legum lasoup’ et d’autres ‘salades’ déjà nettoyés et découpés. En une journée, si les conditions sont favorables, je peux espérer vendre jusqu’à 40-50 de ces sachets », avance Lallwantee, 58 ans et habitant d’Épinay. De l’autre, il y a les « gro marsan », moins nombreux certes, mais qui proposent une plus large variété de légumes. Ces deux catégories de marchands enregistrent un chiffre d’affaires quotidien de Rs 200 à Rs 2 000.  
 

Ces femmes battantes

Deux femmes, l’une désespérée, au bout du rouleau et l’autre, qui croit encore en une lueur d’espoir. La première, Malligavally Veerapen, exerçait à La Gare du Nord et la seconde, Martine Baptiste, à la Place Victoria, à Port-Louis. Toutes deux, quadragénaires, étaient des ‘marchands ambulants’, une activité qui, disent-elles, leur permettait d’assurer les dépenses familiales et non de gagner des ‘fortunes’.
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/div> Le ciel est tombé sur la tête de Malligavally Veerapen. D’ici trois mois, il lui faudra trouver une autre maison, son mari ayant reçu l’ordre du propriétaire d’emménager ailleurs.  Tout vient en même temps. Depuis que je ne travaille plus, on puise dans nos économies, mais ça ne va pas durer éternellement », explique cette femme. Depuis plus d’une dizaine d’années, Malligavally Veerapen a posé son grand panier rempli de ces articles au cœur de cette gare grouillante de monde. «Là, mon mari m’a demandé d’essayer de vendre des petites choses à la gare. C’est comme ça que je suis tombée dans ce métier.» Pose-t-elle, comme ses autres collègues, problème aux commerçants voisins, aux piétons et usagers de la gare ? «C’est faux. Au contraire, nous aidons parfois les policiers à identifier les ‘pickpockets’. Quant aux commerçants, moi-même, je m’approvisionne chez eux, ça fait tourner leur commerce. Si les autorités veulent vérifier nos revenus, ils s’apercevront qu’on ne gagne pas des fortunes. Le salaire de mon mari ne dépasse pas 8 000 roupies. C’était moi la colonne de la maison », avoue-t-elle. À 10 ans, se souvient Martine Baptiste, son père la déguisait en garçon, l’affublait du prénom ‘Sébastien’ et coiffée d’un chapeau, l’envoyait vendre des fines herbes au marché de Port-Louis. Cette femme vend perruques et matériel scolaire, selon les périodes de l’année. Ses sœurs sont avec elle et, plus loin, on croise son père qui, lui, vend des légumes. «Nous ne savons que faire ça», dit-elle de sa voix lente et posée. Martine Baptiste n’a jamais rechigné au boulot. Lorsqu’elle vend du matériel scolaires, elle n’hésite pas la passer la nuit à proximité de ses articles, pour faire la garde. « Aux petites heures du matin, je pars me laver dans les toilettes. Ca dure depuis 15 ans maintenant», confie-t-elle. Sa vie ressemble à un livre d’aventures pittoresques et sociales, sorties tout droit de ces pages chères à Émile Zola. «On était une famille de sept enfants et l’argent a manqué pour notre éducation. Comme mon père était déjà marchand ambulant, mes sœurs et moi avons nous aussi suivi ses pas. On a tout fait : on a vendu les goyaves de Chine, ‘ourite’ sec, fines herbes. Un jour, alors qu’on cueillait des goyaves dans un chassé, quelqu’un nous a pointé avec sa carabine. Tout le monde s’est caché, moi, je suis restée debout et j’ai levé les mains», raconte-t-elle avec un brin d’humour. Comment envisage-t-elle l’avenir sans ce métier qui court dans les veines familiales ? «Nous souhaitons le dialogue pour que tout le monde trouve son compte. Je suis en faveur du progrès, de la construction des bâtiments modernes, mais il ne faut pas que des familles entières se retrouvent au chômage. Il y a un manque d’humanisme dans la manière dont les autorités sont en train de traiter ce problème», estime Martine Baptiste.  
 

Hydar Ryman: « Nous sommes prêts à faire des compromis »

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[row custom_class=""][/row] La Street Vendors Association soutient que les marchands ambulants sont prêts à faire des compromis et « mettre de l’ordre » là où il faut. C’est ce qu’a déclaré son président Hydar Ryman au cours d’une conférence de presse vendredi matin, au Centre Social Marie Reine de la Paix. À hier, cela faisait 12 jours depuis que les marchands ambulants de Port-Louis ne sont plus autorisés à travailler dans les rues de la capitale. Une situation de « terreur » que subiraient, selon Hyder Ryman, les colporteurs. Face à cela, le président du Front commun des marchands ambulants se dit disposé à faire des compromis « afin que les marchands puissent continuer à gagner leur vie. » « Peut être que quelque part nous avons failli en tant que marchands ambulants. C’est la raison pour laquelle nous sommes disposés à revoir notre façon d’opérer. Je réitère mon appel aux autorités. Convoquons-nous officiellement autour d’une table ronde avec toutes les parties concernées : la mairie, le ministère des Collectivités locales, la police, entre autres. Si nou trouve ena plas bizin mett lord nou pou fer li », a déclaré Hydar Ryman. Parallèlement, le président de la Street Vendors Association s’interroge sur le projet de construction de deux nouvelles gares routières, comme annoncé par Nando Bodha, ministre des Infrastructures publiques. « Quand le projet va-t-il débuter ? Quand s’achèvera-t-il et qui paiera la note ? Certes, on nous a déjà présenté le projet qui était d’ailleurs très impressionnant, mais il existe toujours plusieurs zones d’ombre », avance Hydar Ryman.  
 

Profits: une moyenne de 40 %

Les colporteurs pratiquent une marge de profits, qualifiée de raisonnable, variant entre 25 % et 80 %. Rarement, elle dépasse ce seuil. Pour concurrencer avec les magasins, les marchands à la sauvette se contentent « de petits profits », voire une moyenne de 40 %. Entre recettes et profit, le fossé est très large. Le profit est la différence entre recettes et coût de l’article. Le profit, c’est l’argent que le marchand utilise pour ses besoins personnels et ceux de sa famille. À titre d’exemple, un petit marchand de « ti-lartik » qui fait des ventes ne totalisant que Rs 300 en une journée rentrera à la maison avec Rs 75, si la marge de profit est de 25 %, avec Rs 120 (40 %), Rs 180 (60 %). En un mois, son revenu tournera respectivement autour de Rs 2 250, Rs 3 600 et 5 400. Prenons le cas d’un marchand de vêtements qui réalise un chiffre d’affaires de Rs 1 000 par jour. Il aura travaillé Rs 250, si la marge de profits est de 25 %, Rs 400 (40%), Rs 600 (60%). En un mois, son revenu oscillera respectivement autour de Rs 7 500, Rs 12 000 et 18 000. Quant aux marchands de fruits ou de produits de luxe qui encaissent Rs 2 500 par jour, son revenu quotidien sera Rs  625, si la marge de profits est de 25 %, Rs  1 000 (40 %), Rs 1 500 (60 %). En un mois, son revenu se situera respectivement autour de Rs 18 750, Rs 30 000 et 45 000. [lptw_table id="26974" style="material-blue"]
 

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