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Argent sale : la tare qui gangrène notre économie

Une partie de l’argent sale se retrouve dans le circuit économique via l’achat de biens immobiliers ou en investissant dans l’automobile de luxe.

L’affaire Franklin a mis un point d’orgue sur une économie parallèle à Maurice. Celle-ci, à travers le blanchiment d’argent, provoquerait un manque à gagner s’élevant à des milliards de roupies à l’économie réelle.

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Voilà plusieurs années maintenant que l’on entend le Chef du gouvernement marteler qu’il va « casser les reins » des trafiquants de drogues. Ceux-là même –mais pas que-qui sont liés au blanchiment d’argent. Ce phénomène semble s’amplifier dans le pays au point où Sudhamo Lal, directeur général de la Mauritius Revenue Authority (MRA), soulignait dans le cadre d’un séminaire le 15 mars dernier, que le
blanchiment d’argent est une menace persistante. Considéré comme un crime, cette pratique a des répercussions sur l’économie locale.

Pierre Dinan explique que le Produit Intérieur Brut est composé de trois parties, en l’occurrence, l’officiel, le légal mais caché, ainsi que l’illégal et caché. Le trafic de drogue et le blanchiment d’argent figurent
dans la troisième catégorie.

« Notre gâteau national est probablement plus gros que ce que l’on voit. Cependant, il y a une bonne partie qui est cachée et qui se retrouve entre les mains de ceux qui font une économie parallèle », argue l’économiste. De l’avis de Den Surfraz, président du Mauritius Institute of Professional Accountants (MIPA), l’économie parallèle serait estimée à plusieurs milliards de roupies.

ÉCONOMIE PARALLÈLE

Comme dans le cas de l’affaire Franklin, une partie de l’argent sale pourrait se retrouver dans le circuit économique. Ce, via l’achat de biens immobiliers ou en investissant dans l’automobile de luxe, par exemple. En fin de compte, affirme Erig Ng, cela est comptabilisé dans le PIB et risque d’entraîner une situation inflationniste. « Beaucoup d’argent circule alors dans l’économie sans que l’on ne le sache. Cela alimente la demande et cause une augmentation des prix », ajoute Eric Ng.

Abondant dans le même sens, Pierre Dinan estime que cela perturbe le marché, provoquant une inégalité. « Ayant un pouvoir d’achat incomparable, ceux qui achètent des grandes maisons et des grosses voitures pour blanchir leur argent, le font au détriment des gens honnêtes », poursuit l’économiste.

Qui dit blanchiment d’argent, dit non-paiement des taxes. Ainsi, cela implique un manque à gagner dans les revenus de l’État. Et à Pierre Dinan de faire ressortir que ce sont les contribuables qui en sont les grands perdants.

En effet, selon Sudhamo Lal, ceux qui utilisent des moyens illégaux pour éviter de payer des impôts, blanchissent leur argent par différents canaux et le réinjectent dans l’économie. Il précise néanmoins que
l’impact de la fraude fiscale et du blanchiment d’argent ne se limite pas aux finances publiques. « Ils sapent la démocratie, l’État de droit et érodent la confiance dans nos systèmes financiers et de gouvernance. Ils affectent les contribuables honnêtes qui doivent supporter le fardeau de ces fraudeurs et blanchisseurs, ce qui pèse sur nos programmes sociaux et crée une société inégalitaire. Ils ont des conséquences profondes qui nous touchent tous, des plus riches aux plus pauvres de nos communautés », fait-il ressortir.

Que fait la MRA ?

La MRA a mis en place une unité spécialisée dans la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme au sein du département des enquêtes fiscales. Celle-ci assure la coopération et la coordination avec toutes les parties prenantes dans les enquêtes parallèles et autres investigations liées au blanchiment d’argent. Les affaires de fraude fiscale, en tant qu’infractions préalables au blanchiment d’argent, sont, selon Sudhamo Lal, renvoyées à l’ICAC pour des enquêtes sur le blanchiment d’argent.

Hawala, une réalité à Maurice ?

L’hawala est une méthode informelle de transfert d’argent sans qu’il y ait de mouvement physique de monnaie. Issu de l’Asie du Sud au cours du 8ème siècle, ce système bancaire clandestin serait d’actualité à
Maurice. Ceux qui blanchissent de l’argent l’utiliseraient pour transférer des fonds d’un endroit à un autre, selon une source. « L’argent sale passe par ce système à Maurice. Ceux qui tendent à échapper à l’impôt le font via le hawala, car faut-il souligner que l’argent généré par des transactions illicites qui ne sont pas enregistrées ne peut être taxé. La question qui mérite d’être posée est pourquoi n’a-t-on pas
entendu parler du hawala dans les différentes affaires liées au blanchiment d’argent ? Qui veut-on protéger ? »,
se demande notre source.

Les institutions internationales veillent au grain

Le Groupe d’action financière (GAFI), qui avait placé Maurice sur sa liste grise en raison de déficience stratégique, continue de déceler les juridictions dont le système de lutte contre le blanchiment d’argent est
défaillant. D’ailleurs, la prochaine évaluation de Maurice par le GAFI devrait être effectuée en 2025. Eric Ng est d’avis que Maurice devra montrer la volonté et des actions concrètes dans le combat contre ce fléau, alors que le secteur de l’offshore est sensible à cela.

Selon Sudhir Seesungkur, au vu de la situation qui prévaut dans le pays s’agissant du blanchiment d’argent, Maurice n’est pas à l’abri d’une nouvelle inclusion sur la liste des juridictions faisant l’objet d’une
surveillance accrue par le GAFI. L’ancien ministre des Services financiers soutient que les experts du GAFI verront que les institutions locales ne fonctionnent pas comme il se doit. « L’ampleur atteinte par le
blanchiment d’argent à Maurice démontre que le système de régulation et de supervision n’a pas l’effet escompté. Ailleurs dans le monde, les pays utilisent le lifestyle audit. À Maurice, nous voyons que des gens ont des voitures évaluées à Rs 10 millions, voire plus. Les institutions ferment les yeux sur ceux qui ont des richesses inattendues. Sans l’entrevue de Jean Hubert Celerine à deux presses locales,

l’affaire Franklin n’aurait pas éclaté au grand jour », explique Sudhir Seesungkur. La réévaluation du GAFI devrait être axée sur l’efficacité. Dans son rapport annuel 2021-22, l’institution révèle que de nombreux
pays sont encore confrontés à des défis importants pour prendre des mesures efficaces en fonction des risques auxquels ils sont confrontés.

 

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