
Le Budget 2025-26 de Maurice illustre une volonté de consolider la croissance et de maîtriser la dette publique. Néanmoins, des opérateurs économiques soulignent des lacunes dans le développement de certains secteurs clés. Si des mesures sont introduites pour alléger le fardeau des ménages et protéger leur pouvoir d’achat, des incertitudes demeurent quant à leur impact à long terme et à la situation de secteurs cruciaux comme les PME et la construction. L’équilibre entre relance économique et rigueur budgétaire reste le défi central de cette nouvelle feuille de route financière.
Croissance : Les limites d’un rebond conjoncturel

Présenté le 5 juin, le Budget 2025-26 intervient dans un contexte économique au sein duquel les marges de manœuvre restent limitées. Avec un taux de croissance du PIB réel estimé à 3,7 %, contre 3,9 % pour l’exercice précédent, le gouvernement maintient une trajectoire modérée, sans infléchir sensiblement les fondamentaux.
Selon les projections, la dette publique devrait atteindre 88,3 % du PIB, marquant un léger repli par rapport à l’exercice 2024-25 (90 %). Cette baisse est toutefois en grande partie attribuée à l’accord sur les Chagos, dont les apports financiers permettront le remboursement partiel des dettes, sans nécessairement refléter un assainissement structurel des finances publiques.
Le déficit de la balance courante, évalué à 5,9 %, continue de souligner une dépendance aux importations et une pression sur les réserves, exacerbée par une baisse des investissements directs étrangers, notamment dans l’immobilier. Les mesures fiscales introduites dans ce secteur, dont une hausse des taxes foncières et de nouvelles restrictions à l’acquisition par des non-résidents, pourraient freiner davantage cet afflux de capitaux.
Malgré une inflation annuelle stabilisée autour de 3 %, les incertitudes demeurent. KPMG souligne que les perspectives économiques restent sur une pente positive, avec une croissance moyenne projetée de 4 % jusqu’en 2028, accompagnée d’un retour progressif à l’équilibre budgétaire. Néanmoins, les experts préviennent : la consolidation nécessitera encore plusieurs années d’efforts avant d’en percevoir les effets durables.
Dette publique : La réduction en ligne de mire

Le Budget 2025-26 veut marquer un tournant dans la gestion des finances publiques. Après plusieurs années de déficits soutenus par un recours accru à l’endettement et à des mécanismes hors budget, les autorités entendent dorénavant resserrer les cordons de la bourse.
Chez Swan, on souligne que cette stratégie d’endettement massif a contribué à l’expansion monétaire et a soutenu la consommation, mais qu’elle a atteint ses limites. La dette publique, qui avoisine actuellement les 90 % du PIB, est devenue une priorité. Le gouvernement vise une réduction progressive à 75 % à moyen terme, avec un objectif de 60 % à plus long terme.
Selon Shamin Sookia, directeur général de Perigeum Capital Ltd, cette trajectoire repose sur plusieurs engagements, dont la réalisation d’un excédent budgétaire primaire et une croissance du PIB réel estimée de 4 à 5 %. Une part essentielle du financement de la réduction de la dette proviendra des recettes liées à l’accord sur les Chagos, destinées exclusivement au remboursement de la dette sur trois ans.
Parallèlement, des réformes structurelles sont annoncées : rationalisation des organismes parapublics, lutte contre le gaspillage et meilleure efficacité de la dépense publique, avec une économie estimée à Rs 5 milliards en trois ans.
À partir de 2028, les recettes des Chagos seront redirigées vers un fonds du futur, destiné à financer des secteurs clés comme la sécurité alimentaire, l’énergie propre ou encore l’économie bleue, indique Kesaven Moothoosamy, d’Intercontinental Trust Ltd.
Inflation : Le Price Stabilization Fund comme bouclier budgétaire

L’économiste Ibrahim Malleck est d’avis que le Budget 2025/26 propose des mesures pour immédiatement soulager le pouvoir d’achat, surtout pour ceux avec des revenus au-dessous de la moyenne. « Les incitations par rapport à la croissance et une meilleure productivité impacteront directement, à moyen terme, notre inflation vers le bas », dit-il. D’autre part, il évoque l’importance d’un nouvel outil budgétaire qui pourrait atténuer ses effets sur les consommateurs : le Price Stabilization Fund doté de Rs 2 milliards.
Bien que les modalités de ce fonds restent floues, l’économiste estime qu’il pourrait être utilisé pour subventionner des produits de base, y compris les médicaments. Ce qui permettrait ainsi de limiter la hausse des prix importés due à la dépréciation de la roupie. « Ce mécanisme, même s’il ne réduit pas l’inflation elle-même, protège le pouvoir d’achat en maintenant les prix accessibles », explique-t-il.
De plus, il y a d’autres mesures budgétaires ciblées. « Le seuil non imposable a été relevé à Rs 500 000, ce qui diminue la pression fiscale sur les foyers à faibles revenus », avance-t-il. D’autre part, dit-il, la suppression de la TVA sur des produits essentiels comme les aliments pour bébés, les conserves ou les légumes surgelés représentent un soulagement pour les ménages. « Une fiscalité plus progressive contribue également à redistribuer les revenus de manière équitable et aide ceux au bas de l’échelle à améliorer leur pouvoir d’achat », dit-il. Selon Ibrahim Malleck, le véritable enjeu réside désormais dans la coordination entre les politiques fiscales et monétaires, sans quoi les effets escomptés sur le pouvoir d’achat risquent d’être limités.
PME : Le manque d’incitations et d’accompagnement déploré

Le président de la SME Chambers, Ajay Beedassee, tire la sonnette d’alarme après la présentation du Budget 2025/26. Selon lui, ce budget ignore complètement les réalités et les souffrances des petites et moyennes entreprises (PME). « Aucune des demandes que nous avons fait parvenir au ministère des Finances n’a été prise en considération », déplore-t-il. Il ajoute que rien n’a été annoncé pour alléger le fardeau des PME, notamment en termes de réduction de dettes ou des coûts.
Ajay Beedassee met en garde contre les conséquences de cet oubli. « Déjà, les PME peinent à joindre les deux bouts. Même les grandes entreprises sont dans la tourmente. Une grande usine textile a récemment mis la clé sous le paillasson. Maintenant, vous imaginez ce qui arrivera aux PME ? », dit-il. Il critique aussi la fin des exonérations fiscales dont bénéficiaient jusqu’ici les véhicules hybrides et électriques. Ce sont des véhicules très utilisés par les PME. « Le gouvernement est en train de mettre un frein à notre développement », fait-il ressortir. Il prédit des fermetures imminentes. « Je ne serai pas surpris si des PME ferment leurs portes très prochainement. Ce qui aura un impact important sur l’emploi et l’économie en général. »
SME Chambers remet en question la priorité donnée à l’intelligence artificielle. « C’est bien de venir avec des innovations. Mais si les secteurs existants n’arrivent même pas à survivre, que vont-ils faire avec l’IA ? Il faut d’abord consolider les entreprises existantes », avance Ajay Beedassee.
Secteur financier : Cap sur la conformité et l’innovation
Le budget national présenté récemment amorce une nouvelle dynamique dans le secteur financier mauricien. Pour Shahannah Abdoolakhan, CEO d’Abler Consulting Ltd, les mesures annoncées marquent une transition de la gestion de crise vers une stratégie axée sur la crédibilité à long terme.
Au cœur des réformes, un changement de posture en matière de conformité se dessine. Maurice adopte désormais une approche proactive, fondée sur des évaluations de risques thématiques, des mises à jour législatives et un renforcement de la supervision. Cette orientation vise à mieux préparer le pays à l’évaluation de l’ESAAMLG en 2027.
Le Budget intègre également des mesures concrètes dans les services financiers : lancement d’une banque d’investissement, création d’un régime d’agrément pour les gestionnaires de patrimoine et les family offices, et mise en place d’une plateforme électronique d’agrément basée sur l’IA. Ces initiatives traduisent une volonté de structurer durablement le secteur.
Par ailleurs, l’investissement dans le capital humain prend une nouvelle place, avec un programme de formation à la conformité et une cartographie nationale des compétences. L’humain est replacé au centre de la stratégie de développement.
À l’international, Maurice se repositionne avec une stratégie africaine renforcée et une diplomatie économique plus active.
Pour Shahannah Abdoolakhan, ces orientations doivent maintenant se traduire par une mise en œuvre rigoureuse, impliquant à la fois les institutions publiques et les acteurs privés, afin de transformer les intentions en résultats tangibles.
Emploi : Des avancées mesurées et des défis persistants
Le Budget 2025-26 contient plusieurs mesures susceptibles d’influencer le marché du travail à Maurice. Toutefois, certains analystes estiment qu’il reste du chemin à faire pour répondre aux mutations structurelles de l’économie.
Anthony Leung Shing, Country Partner chez PwC Mauritius, souligne que le Budget ne va pas assez loin dans les réformes nécessaires pour réaligner l’allocation de la main-d’œuvre avec les priorités économiques à long terme. Selon lui, malgré les initiatives proposées, l’alignement stratégique du capital humain reste insuffisamment traité.
Face aux pénuries de main-d’œuvre persistantes, le gouvernement prévoit un système de permis de travail accéléré et fondé sur des règles pour les travailleurs étrangers. Cette initiative est saluée, mais son efficacité dépendra de la capacité des organismes à assurer son suivi, un point faible relevé dans les expériences antérieures.
Pour sa part, AXYS note des signes de modernisation, notamment l’introduction d’une législation sur les horaires de travail flexibles, qui pourrait répondre aux attentes d’une population active en mutation. Le soutien accru aux femmes entrepreneures – avec un plafond de prêt relevé à Rs 1,2 million et une période de grâce allongée – vise à stimuler leur participation à l’économie, complété par des dispositifs de mentorat.
Enfin, l’économie des plateformes, souvent à la marge des politiques publiques, est désormais reconnue comme un secteur d’emploi légitime, reflétant une évolution dans la compréhension des nouvelles formes de travail.
Consommation : Signaux positifs pour les ménages, mais des suivis s’imposent
Suttyhudeo Tengur, président de l’association pour la protection de l’environnement et des consommateurs (APEC) note des avancées notables pour les ménages dans le Budget 2025/26. Mais il appelle à une vigilance dans leur mise en œuvre. La suppression de la TVA sur plusieurs produits essentiels, notamment « les aliments pour bébés, les boîtes de conserve et les légumes frigorifiés », est perçue comme une réponse directe à la hausse du coût de la vie. « C’est un soulagement pour les ménagères, surtout quand les prix des légumes frais ne baissent pas », affirme-t-il.
L’introduction d’une législation contre la shrinkflation est aussi saluée. Cette pratique, qui consiste à réduire la taille des produits sans ajuster leur prix, est, selon lui, une source fréquente de frustration. « Les consommateurs se sentent trompés. Il est temps de mettre un cadre clair contre ces pratiques », dit-il. Un autre point abordé : la lutte contre le stockage illégal de produits de première nécessité. « Certains commerçants profitent des pénuries pour faire de gros profits. Le dispositif Anti-Hoarding est une bonne initiative », estime-t-il. L’APEC voit d’un bon œil le renforcement des pouvoirs de la Competition Commission ainsi que la mise en place d’un système d’information sur les prix. « Ces mesures favoriseront une meilleure transparence et aideront les consommateurs à faire des choix éclairés. » Il juge que le fonds de stabilisation et les mesures fiscales peuvent « contribuer à alléger le fardeau des plus vulnérables, à condition que leur mise en œuvre soit rigoureuse et suivie de près. »
Tourisme : Vers une industrie plus structurée et durable, selon l’AHRIM

L’Association des Hôteliers et Restaurateurs de l’île Maurice (AHRIM) reconnaît le contexte particulier du présent Budget 2025-2026. « De mémoire, une telle situation macroéconomique est inédite. Nous sommes donc rassurés quant au sens des responsabilités du gouvernement et du Premier ministre », déclare le CEO, Jocelyn Kwok. Selon lui, les propositions visant à redresser les finances publiques sur une période de trois ans, ainsi que les ambitions de relance économique, sont bien comprises. « Il faudra veiller à ce que toutes les parties prenantes s’y engagent pleinement, car l’urgence économique ne fait aucun doute », souligne-t-il.
En ce qui concerne le secteur du tourisme, plusieurs mesures annoncées sont en ligne avec les propositions budgétaires de l’AHRIM. « Davantage de moyens pour Statistics Mauritius, une formalisation accrue des opérateurs à travers leur assujettissement à la TVA, ou encore un alignement de nos efforts de promotion et de visibilité entre la MTPA et l’EDB sont des mesures que nous accueillons favorablement », affirme Jocelyn Kwok.
Pour lui, la formulation d’un blueprint en collaboration avec le secteur privé est une excellente initiative. « Cela permettra de repenser en profondeur l’écosystème du secteur, en abordant notamment la qualité de l’offre, les questions de main-d’œuvre, la saisonnalité, l’impact environnemental, l’érosion de nos plages, le transport aérien, le parcours du visiteur dès son arrivée à l’aéroport, le positionnement ainsi que l’évolution du produit touristique », dit le CEO.
Construction : Un ralentissement attendu pour les deux années à venir

La Building and Civil Engineering Contractors Association (BACECA) reconnaît les bonnes intentions du gouvernement, notamment en matière de formation, de perfectionnement des compétences (upskilling) et de facilitation de l’accès à la main-d’œuvre étrangère, ainsi que l’accent mis sur l’intégration de la technologie et de l’IA pour moderniser le secteur.
Cependant, les préoccupations de la BACECA se concentrent sur la visibilité et la continuité de l’activité à court et moyen terme. « Les grands projets annoncés par le gouvernement sont vus comme des initiatives à long terme, dont la mise en œuvre s’étalera sur plusieurs années », prévient l’association. Contrairement aux années précédentes où l’activité a été soutenue par des projets comme le Métro-Express, les logements sociaux de la NHDC et les infrastructures routières, la BACECA anticipe un ralentissement notable en 2025 et 2026. Selon leurs projections basées sur le Programme d’Investissement du Secteur Public (PSIP), une reprise significative de l’activité ne serait envisageable qu’à partir de 2027.
Une autre source majeure d’inquiétude est le retrait des incitations financières pour les projets de Smart Cities et les Property Development Schemes (PDS), qui concernent principalement le secteur privé. La BACECA craint que cette mesure ne freine considérablement l’investissement privé, les promoteurs étant moins enclins à lancer de nouveaux projets sans ces avantages. « Cette diminution prévue de l’activité, tant publique que privée, est alarmante pour une industrie qui s’est considérablement développée ces dernières années », déplore la BACECA.
L’association redoute une compétition féroce pour les rares projets disponibles, d’autant plus que les grands projets seront probablement ouverts aux entreprises étrangères. « Cela aggraverait la situation des firmes locales, les exposant à des risques financiers importants, des pertes d’emplois et, pour certaines, à des situations financières insoutenables », dit-on.

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