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Appareils en panne, cuisines sales : ces hôpitaux en souffrance 

Des légumes avariés, à l’instar de ces chouchous, sont cuisinés et servis aux patients de l’hôpital Brown-Séquard. Cinq ascenseurs sur six étaient hors service à l’hôpital Dr A. G. Jeetoo à jeudi après-midi. La cuisine de l’hôpital psychiatrique Brown-Séquard de Beau-Bassin est dans un état déplorable.

Après les dénonciations faites, photos et vidéos à l’appui, par les députés du Parti travailliste Ehsan Juman et Shakeel Mohamed, Le Défi Plus s’est rendu en immersion dans quelques hôpitaux. La situation est alarmante. 

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Des cuisines insalubres et des aliments avariés. C’est le triste constat que dressent les députés du Parti travailliste Ehsan Juman et Shakeel Mohamed, avec des photos et des vidéos à l’appui. « Ce n’est que le sommet de l’iceberg », a indiqué Ehsan Juman dans une déclaration téléphonique accordée au Défi Plus jeudi soir (voir encadré). 

Le Défi Plus a décidé de mener une enquête approfondie dans plusieurs établissements de santé. Son constat : en sus de l’hygiène déplorable des cuisines, de nombreux appareils et équipements sont défaillants. Des ascenseurs, des climatiseurs et des ventilateurs ne sont plus en état de marche. La situation est alarmante. 

Trois ascenseurs en panne 

Se faisant passer pour des proches de patients, nous nous rendons, en cet après-midi du jeudi 2 novembre 2023, à l’hôpital Dr A. G. Jeetoo de Port-Louis. C’est l’heure des visites, soit de midi à 14h30. Constat : cinq ascenseurs sur six affichent le message « Out of service ». 

Cette scène invraisemblable est d’autant plus révoltante que nous croisons, au même moment, une septuagénaire qui éprouve toutes les peines du monde à monter au premier étage. Elle est accompagnée de son gendre, de sa fille et de son petit-fils. 

« J’ai 75 ans. Je souffre de problèmes cardiaques et je suis diabétique. ‘Lorla, mo bizin mont lor kat leskalie pou ariv dan lasal’ », dit-elle. Elle est là pour vérifier si sa fille a été hospitalisée. Cette dernière est une patiente sous dialyse. 

« Je suis extrêmement choqué ! Comment se fait-il que cinq ascenseurs sur six soient en panne dans un hôpital de la capitale en 2023 ? C’est inacceptable ! Cet hôpital aurait dû être le meilleur centre hospitalier de tout le pays. C’est un véritable scandale qui doit être dénoncé », s’insurge le gendre, un ressortissant étranger. 

Nous rencontrons des Health Care Assistants à proximité des ascenseurs en panne. Nous tentons de les interroger, mais ils sont avares en commentaires. « Ou kone. Ena 5 lasenser ki pa bon depi de trwa zour. Sak fwa zot pa bon sa. Nek vini. Nek aranze. Re kase. Ena enn lote asenser kinn kase gramatin. Tann dir ena dimounn inn tas ladan tou », a expliqué une domestique. 
Ce que semble corroborer une vidéo de 38 minutes que Le Défi Plus a obtenu d’un internaute. Dans ce clip, on aperçoit un individu bloqué pendant une vingtaine de minutes dans un ascenseur de ce qui semble être l’hôpital Dr A. G. Jeetoo. « Pa gagn konpran kouma enn lopital so ‘lift’ pa bon. Ankor pe atann. Si ti ena malad ki zot fer ? », lance l’individu pris au piège. 

Climatiseurs et ventilateurs défectueux 

Notre immersion se poursuit au centre de dialyse de l’hôpital Victoria, à Candos, où la situation n’est guère mieux. Des patients sont présents pour leur traitement. « Kouma ou ouver laport, ena enn Air Cond lor ou latet. Li koule sa. Enn ta dilo sorti ladan. Me kan li koule, li fann dilo anba. Dimounn kapav glise ek tonbe. Parfwa ena infirmie met enn dra lor dilo la zis pou pa glise », confie l’un d’eux sous le couvert de l’anonymat. 

Selon lui, le centre de dialyse est pourvu de trois climatiseurs défectueux. « Tou le trwa Air Cond pa bon ! Ou kone. Bann masinn fer dializ la, bizin res fre parski zot sofe. Bann Air Cond la ti deza fer aranze. Me li re kase », souligne-t-il. 

Le personnel du centre est-il au courant que ces climatiseurs sont défaillants ? « Wi. Me zot pa kapav fer nanie. Ena enn vantilater ousi, me li pa bon. Me selma kote dializ tou bon. Bann infirmie la get ou bien. Pena repros », concède le patient.

Pas de bonnets, ni de gants en cuisine

L’escapade se poursuit par une brève visite dans la cuisine de l’hôpital Victoria de Candos. Les ustensiles sont disposés sur des chariots en acier inoxydable. Le sol, encore humide, porte des traces de sabots en caoutchouc. Une épaisse vapeur s’échappe des fourneaux. 
Deux individus sont aux fourneaux. Ils ne portent ni bonnets de cuisine, ni gants. Qu’y a-t-il au menu en ce jeudi ? Une des cuisinières répond en s’essuyant le visage qui est couvert de sueur : « Diri ek salmi poul. » Elle claque ensuite la porte. 

« Bien rar manze kwi bien dan mental » 

Parmi les images choquantes figurent celles montrant la cuisine de l’hôpital psychiatrique Brown-Séquard de Beau-Bassin qui sont en circulation sur les réseaux sociaux depuis environ trois jours. On y voit non seulement des légumes dans un état de décomposition, mais également une cuisine insalubre et des ustensiles de cuisine superposés sur des tables et des chariots en acier inoxydable. 

Notre enquête nous a menés à quelques employés de l’hôpital psychiatrique. « Les images qui sont partagées sont vraies. Les cuisines sont dans un état d’insalubrité. Bien souvent, les légumes qui sont cuisinés pour les patients ne sont pas frais », fait-on comprendre. 
Ces employés remettent en question les compétences du cuisinier rattaché à l’hôpital. « Bien rar manze kwi bien dan mantal. Kan ena pou kwi kari poul, ou gagn poul la ek enn lasos masala samem tou. Si ena pou kwi briani, ou gagn enn melanz. Kouma dir poul la inn kwi enn kote. Ek diri la inn kwi enn lot kote. Lerla inn melanze », explique-t-on. 

L’un des rares plats « les mieux cuisinés » à l’hôpital psychiatrique serait le briani de légumes. La nourriture du personnel est, elle, cuisinée dans un autre espace. 

Un pigeon picore des miettes sur une table 

« Une des images en circulation sur les réseaux sociaux montre un pigeon picorant des miettes sur l’une des tables de la cuisine. La préparation d’aliments dans des conditions aussi insalubres met en danger la santé des patients déjà vulnérables aux infections », indique-t-on. Des rapports font état de surfaces de travail mal nettoyées, d’équipements sous-entretenus et de protocoles de désinfection inadéquats. 

Noellie Bactora, 89 ans, meurt à l’hôpital Victoria après une morsure de rat 

Difficile de ne pas repenser au triste cas de Noellie Bactora. Cette femme de 89 ans est décédée à l’hôpital Victoria à Candos le 10 avril 2023. Selon ses proches, l’octogénaire qui souffrait d’un cancer, a été mordue au visage par un rat le 9 avril alors qu’elle se trouvait dans l’établissement hospitalier. 
Des injections par intraveineuse et des antibiotiques lui ont été administrés, mais rien n’y a fait. Elle a rendu l’âme dès le lendemain. De son côté, le ministère de la Santé affirme qu’une enquête est en cours. Il avance que des dératisations sont menées le plus souvent possible à l’hôpital.

Ehsan Juman :  « Ce n’est que le sommet de l’iceberg »

« Les descentes que nous avons faites, Shakeel Mohamed et moi, dans certains hôpitaux font suite à plusieurs plaintes émanant du public. Il était de notre devoir d’éveiller l’opinion publique de diverses manières. Ce n’est que le sommet de l’iceberg », a expliqué le député Ehsan Juman dans une déclaration téléphonique accordée au Défi Plus jeudi soir. 
Il ajoute avoir aussi appris « que des rongeurs sont souvent aperçus grignotant des fruits dans la cuisine de l’hôpital Victoria ». Une situation inadmissible, selon lui.  

Pour Ehsan Juman, la responsabilité incombe directement au ministre de la Santé et du Bien-être. « S’il effectuait des visites surprises dans les hôpitaux, nous n’en serions pas là. C’est pourquoi nous réclamons la démission du ministre. Il doit assumer ses responsabilités. La confiance des citoyens dans nos hôpitaux est en jeu. La situation est très grave et la santé publique est sérieusement compromise », conclut-il.
Il estime que le ministre de la Santé et du Bien-être devrait inviter les journalistes de toutes les rédactions du pays, ainsi que ceux de la MBC, à visiter les hôpitaux s’il souhaite véritablement promouvoir la transparence dans cette affaire. Ehsan Juman a souligné l’importance de « rassurer nos patients et la population ». 

Shakeel Mohamed : « Pourquoi des aliments avariés sont-ils toujours en stock ? » 

Shakeel Mohamed en est convaincu : des aliments périmés sont cuisinés puis distribués aux patients. « Les responsables de l’entrepôt assurent, dans leurs explications, que ce n’est pas le cas. Nous pouvons dire que nous sommes rassurés si ce n’est pas le cas. Ils affirment qu’un audit est effectué sur une base trimestrielle dans l’entrepôt, dans le but de détruire les produits expirés », ajoute le député du PTr. 

Ce qui l’amène à poser la question suivante : « Pourquoi des produits de consommation périmés sont-ils toujours en stock ? » Il fait ressortir qu’à la fin du mois d’octobre, il y avait encore du Fortimel datant de 2021 stocké dans l’entrepôt. « Où sont donc passées les commissions d’audit qui sont censées venir tous les trois mois ? », s’interroge-t-il. 

Les autorités, poursuit-il, doivent impérativement promouvoir la transparence dans cette affaire. « J’ai en ma possession des informations indiquant que des médicaments périmés sont distribués dans certains hôpitaux. De telles pratiques sont inacceptables », s’insurge Shakeel Mohamed. 
Il ajoute que l’hôpital Victoria de Candos est infesté de rongeurs. Il rappelle alors le cas de Noellie Bactora, décédée après avoir été mordu au visage par un rat. 

Des Red Tag Zones pour les produits périmés

Sailesh Sobhun, consultant en sécurité alimentaire, qualité et environnement ainsi qu’en Health and Safety, explique qu’il est important de séparer les produits alimentaires consommables des articles périmés pour prévenir les risques sanitaires.

Il met en évidence plusieurs points clés qui doivent être pris en compte pour garantir la sécurité alimentaire. « La base de tout processus de gestion de la sécurité alimentaire repose sur le système HACCP (Analyse des Dangers et Points Critiques pour leur Maîtrise), un standard attaché à l'appellation Codex Alimentarius. Ce système définit clairement la séparation entre les produits périmés et ceux en bon état », précise notre interlocuteur.

Ce dernier recommande la mise en place d'une zone clairement désignée pour les produits périmés ou consommables, où ils sont stockés de manière sécurisée et étiquetés de manière adéquate. « Seules les personnes formées doivent être autorisées à manipuler ces produits et à les étiqueter », dit-il.

Sailesh Sobhun revient sur la formation en sécurité alimentaire et la compréhension de la gestion des zones d'étiquetage pour éviter toute confusion. « Le respect de la procédure "Red Tag Zone" où sont stockés les produits périmés ne doit pas être pris à la légère », avance notre interlocuteur.

Il soutient de plus qu’il ne faut pas qu’il y ait un stockage inadéquat des produits périmés ou encore des produits qui sont consommables. « Pour les produits qui sont consommables, il ne faut pas les laisser au sol ni les coller au mur. Par rapport à la Food and Drug Administration (FDA), il est recommandé de laisser un espace d'au moins 20 cm entre les produits et le sol », met-il en exergue. Il suggère de les stocker sur des palettes en plastique ou en métal et non plus en bois, pour éviter la contamination par des microbes.

Il fait ressortir la nécessité d'étiqueter clairement les produits en conserve, en indiquant leur date d'expiration, et de les distribuer selon le principe de « premier entré, premier sorti ». « Une liste des produits doit être maintenue pour suivre la rotation des stocks », préconise l’expert. Sailesh Sobhun recommande aussi un ‘cleaning and desinfection schedule’.

Sailesh Sobhun ajoute que la formation en sécurité alimentaire est essentielle à tous les niveaux, de la gestion des hôtels à celle des hôpitaux, avec des procédures bien définies et des vérifications régulières.

« Il est aussi important de tenir des journaux de température pour les réfrigérateurs et les chambres froides, de suivre les températures de cuisson, et de maintenir un système de gestion de la sécurité alimentaire », recommande-t-il.
Il souligne que les audits internes et externes sont nécessaires pour garantir le respect des règles et des procédures, avec des contrôles réguliers réalisés par des parties indépendantes.

« La sécurité alimentaire est un effort continu qui exige une formation rigoureuse, des procédures claires, des vérifications régulières, et un engagement constant à respecter les normes de sécurité alimentaire. C'est essentiel pour garantir que les produits alimentaires restent sûrs à la consommation et que les risques sanitaires sont minimisés », conclut notre interlocuteur.

 

Une pratique courante

Dans le milieu hospitalier, le mutisme règne sur cette affaire. Un infirmier, qui préfère rester anonyme, soutient que cette pratique « perdure depuis des années ». « Les produits sont simplement entreposés sans suivi ni vérification adéquate des dates d'expiration et autres informations cruciales. On se contente d'utiliser ce qui est à portée de main. La présence de produits périmés n’est pas un fait nouveau. Il n’y a même pas de contrôles », ajoute-t-il.

Nando Bodha : « Cela démontre l'irresponsabilité du ministre »

Le manque d'hygiène dans les cuisines et le stockage de produits de consommation et de médicaments dans des entrepôts du ministère de la Santé et du Bien-être a retenu l’attention du député Nando Bodha, leader du Rassemblement mauricien. Il a d’ailleurs soulevé la question, vendredi, lors de la conférence de presse de la plateforme Linion Moris. « Le ministère de la Santé et du Bien-être est un ministère en totale déliquescence. Ce dossier démontre l'irresponsabilité du ministre. Il doit démissionner ! », a-t-il martelé. 



Les risques sanitaires

Le stockage conjoint de produits alimentaires consommables et de produits périmés présente des risques sanitaires significatifs. Notamment à travers ce qu’on appelle la contamination croisée entre les produits en bon état et ceux qui sont avariés, ce qui peut entraîner des problèmes de sécurité alimentaire. Ci-dessous quelques-uns des principaux risques associés à cette pratique :

• Contamination microbienne : Les produits alimentaires périmés ont une plus grande probabilité de contenir des micro-organismes pathogènes, tels que des bactéries, des moisissures et des levures. Si ceux-ci sont stockés à proximité de produits consommables, il existe un risque de transfert de ces micro-organismes. Ce qui peut provoquer une contamination.

• Altération sensorielle : Les aliments avariés peuvent libérer des odeurs et des composés chimiques indésirables qui peuvent affecter la qualité sensorielle des produits consommables voisins, les rendant moins attrayants sur le plan gustatif, olfactif ou visuel.
• Résidus de produits périmés : Des résidus, tels que des particules, des gouttelettes ou des liquides provenant de produits périmés, peuvent contaminer involontairement les aliments consommables lors du stockage. 
• Erreurs de manipulation : La proximité de produits périmés et consommables peut entraîner des erreurs de manipulation. Les employés peuvent accidentellement utiliser des produits périmés, mettant en danger la santé des consommateurs.
• Défaut d'étiquetage : En cas de stockage côte à côte, il y a un risque accru de confusion entre les étiquettes de produits périmés et consommables. Une étiquette incorrecte ou mal lue peut conduire à l'utilisation de produits avariés.
• Risque allergénique : Certains produits périmés peuvent contenir des allergènes non déclarés. Si ces allergènes sont transférés accidentellement à des aliments consommables, ils peuvent provoquer des réactions allergiques chez ceux qui les consomment.

 

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