Antoine Cormery de France 24 : «Si le journaliste se contente d’être un porte-micro, il perdra son utilité sociale»

De passage chez nous pendant une semaine pour assurer la formation d’un groupe de journalistes audiovisuels, Antoine Cormery, journaliste de France 24, livre au Défi Quotidien son point de vue sur la situation de la presse en général et la presse mauricienne en particulier.

Vous êtes à Maurice pour former des journalistes. Quel est votre constat ?
Il y a un dynamisme et une énergie chez les jeunes journalistes. Il y a l’envie d’apprendre, de se nourrir des expériences des autres. Ça donne un partage très riche. Puis, ils ont des supports extrêmement divers : la presse écrite est foisonnante, il y a les radios, les sites Internet qui émergent. Ce qui est formidable aussi, c’est qu’on leur demande de savoir tout faire. Je me rends compte à quel point, on est face à des gens qui ont une souplesse digitale.

Que pensez-vous de la presse mauricienne ? C’est une des plus vieilles de la presse francophone...
Il y a un héritage. Les anciens doivent servir de modèle à cette nouvelle génération. Il y a une presse foisonnante et ce que je retiens, c’est qu’il y a beaucoup de faits divers un peu sanglant dans certains journaux. On va peut-être un peu loin parfois me semble-t-il dans ce que je trouve être un peu trash. Et puis, peut-être que dans les médias publics, on est un peu dans une couverture institutionnelle qui ne laisse pas suffisamment de place à l’autre couverture qui serait celle de la vie quotidienne des gens. J’ai vu un peu trop de gens sur des estrades faire des conférences de presse. Ce ne sont pas forcément des sujets télévisés passionnants. Peut-être qu’on pourrait faire un peu plus de place à des reportages sur la vie des gens, sur l’économie, les entreprises innovantes, les initiatives citoyennes originales.

‘‘Le privilège des journalistes, qui était d’avoir un temps d’avance, n’existe plus. Il faut réinventer ce métier.’’

L’ADN du journalisme a changé. Quelle conséquence sur le travail ?
On est challengé à tous les instants. Quand j’ai commencé ce métier, on était les seuls à avoir accès à l’information. Aujourd’hui, avec un téléphone, n’importe qui peut recevoir les informations instantanément. Le privilège des journalistes, qui était d’avoir un temps d’avance, n’existe plus. Il faut réinventer ce métier dans ce sens. C’est peut-être en cela qu’il faut changer notre ADN. Mais sur les fondamentaux et l’approche intellectuelle de ce métier, je pense que les choses ne vont pas trop changer.

Le web est en train de prendre la place de la presse papier, est-ce que ce sera pareil pour la télévision ?
Quand on a inventé le transistor, on a dit que cela allait tuer la presse écrite. Puis, quand on a inventé la télé, on a dit que cela allait tuer le transistor. Aujourd’hui, on se rend compte que le web ne tue pas complètement la télé. Le web, d’abord, est un autre moyen de diffusion, mais ça reste de la télé. La vidéo que vous voyez sur Internet, c’est de la télé. Je pense que les moyens de communication s’accumulent et l’offre est plus riche. Quelqu’un qui s’intéresse à l’info devra faire des choix.

Est-ce un métier qui a de l’avenir vu qu’on est en concurrence avec le journalisme citoyen ?
C’est un métier qui a de l’avenir s’il répond aux besoins du citoyen. Un citoyen, a comme besoin, la prise des décisions civiques et politiques, d’être informé correctement. Si le journaliste se contente d’être un porte-micro, un porte-parole et se contente de diffuser une conférence de presse et de prendre ses ordres de quelque part, il sera déconsidéré et perdra son utilité sociale. Si le journaliste enquête et permet à la société de changer dans le bon sens, oui. Le journaliste a cette magnifique responsabilité, bien qu’écrasante, d’avoir à porter à la connaissance des informations exactes et vérifiées.

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Voir plus haut l’entretien accordé par Antoine Cormery à TéléPlus