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Analyse : Modèle aérien

C’est la même rengaine à chaque fois que Air Mauritius affiche des pertes : la compagnie va revoir son « business model ». Il faut plutôt une remise en cause de son modèle économique, faisant table rase des pratiques d’interférence gouvernementale et de copinage politique. Une telle démarche exige un changement structurel, rendu difficile certes par le poids de l’histoire et par le fait que les gouvernants aiment le prestige qu’apporte un transporteur aérien portant le nom du pays. Mais il convient de faire preuve d’humilité et de réactivité pour admettre que la posture « business as usual » est suicidaire, que le modèle actuel n’est plus viable. Hélas, les décideurs politiques, autant que leurs nominés, ne sont pas suffisamment exposés aux problématiques de l’industrie aérienne pour saisir la rationalité des stratégies de consolidation qui y ont cours.

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Le secteur aérien connaît sa propre crise. Les coûts du voyage augmentent avec la volatilité du prix du brut, avec la hausse des taxes des aéroports et avec des surcharges liées à la sécurité. Le voyage long courrier devient coûteux au point que même la concurrence n’entraîne pas des baisses de prix du billet d’avion. De nombreux transporteurs nationaux sont sous-capitalisés, ont d’énormes coûts d’opération et de financement et doivent imposer des tarifs élevés. Ils survivent par des mesures corporatives qui nuisent aux intérêts économiques de leur pays. Ceux qui opèrent sur des marchés trop restreints font faillite. Les marchés aériens étant fragmentés et étroits, on est trop petit pour réussir, trop faible et trop cher pour livrer une concurrence de manière viable. L’accès au marché est limité pour ceux qui sont exclus des grandes alliances.

Dans ce contexte, la plupart des transporteurs ont dû revoir leur stratégie et leur modèle opérationnel et prendre des mesures appropriées qui rendent leur business résilient et soutenable à long terme. Pour maintenir leur compétitivité, ils rationalisent leurs activités, nouent des partenariats, concluent des alliances stratégiques, voire fusionnent. La libéralisation du commerce international ainsi que celle de l’industrie aérienne sont deux autres facteurs qui poussent les transporteurs à repenser leur modèle économique. Des compagnies aériennes disparaissent ou sont rachetées par des gros transporteurs.

Dans une position financière délicate, Air Mauritius n’a aucune garantie de survie sur le long terme. La compagnie ira de crise en crise en passant par de brèves périodes de rentabilité. Elle adoptera des plans de sauvetage pour éviter un crash financier. N’ayant pas la même force concurrentielle que les grands transporteurs, elle doit jouer sur la capacité de sièges, la fréquence de vols et les tarifs afin d’affronter une rude compétition sur les marchés traditionnels d’Europe et sur les marchés émergents d’Asie. En même temps, le modèle de vol direct est bousculé au profit de celui des hubs. Or le hub Singapour n’est pas aussi porteur pour Air Mauritius que le hub Paris Charles de Gaulle.

Depuis 2012, Air Mauritius est censée avoir revu son modèle économique en appliquant un plan de redressement. Il s’agissait essentiellement de dynamiser la gestion des revenus, de réduire les coûts, d’améliorer la qualité du service, de revoir sa flotte et d’avoir une concentration du réseau. Le nouveau modèle visait à positionner l’île Maurice comme le principal hub de l’océan Indien en améliorant les connexions entre le pays et les aéroports internationaux, en augmentant la fréquence de vols et la capacité de sièges sur les principales routes aériennes, et en développant des partenariats avec d’autres transporteurs. Mais quid de la politique gouvernementale en matière d’aviation ?

L’Etat mauricien doit impérativement se poser des questions qu’il ignorera à ses risques et périls. En tant qu’actionnaire majoritaire d’Air Mauritius, a-t-il les moyens d’avoir un transporteur national commercialement viable et soutenable, capable de concurrencer les transporteurs internationaux ? Une compagnie aérienne appartenant à l’Etat ne court-elle pas le risque de devenir un simple symbole d’identité, de fierté et de souveraineté nationales avec peu d’utilité commerciale ? La propriété et le contrôle comptent-ils vraiment pour l’Etat nounou, réfractaire à toute idée de privatisation ?

Air Mauritius demeure protégée pour des raisons politiques. Mais ceux qui n’anticipent pas l’avenir avec les lunettes de la mondialisation risquent la marginalisation. Pour survivre dans une économie globalisée, une compagnie aérienne doit avoir de l’envergure internationale, s’intégrer parfaitement dans la concurrence mondiale et être financièrement solide. Est-ce possible quand le gouvernement est juge et partie dans le secteur aérien, quand il régule, opère et contrôle à la fois ?

Des spécialistes de l’aérien affirment qu’il existe beaucoup trop de transporteurs, d’où la nécessité d’avoir des stratégies de consolidation. Si ce postulat est vrai pour les transporteurs de stature internationale qui se battent sur le marché mondial, alors il est encore plus plausible pour des petits transporteurs nationaux tels que Air Mauritius. Comme il est difficile pour ces derniers de proposer des itinéraires à destinations multiples, ils ne peuvent être que des acteurs régionaux. Le problème est que la demande se trouve hors de la région.

Air Mauritius pourrait opter pour une plus grande synergie entre transporteurs aériens. Cela consiste à mettre en commun des services et des tarifs spéciaux, à faire des accords commerciaux, à coordonner les capacités de sièges et à pratiquer le partage de code. Mais une coopération commerciale renforcée suffira-t-elle pour aider la compagnie à survivre ? Il est temps de réfléchir à une autre option stratégique, celle d’un partenariat stratégique (participation au capital, contrôle de gestion) ou d’une fusion avec un gros transporteur international. Autrement dit, changer de modèle.

 

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