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Ameenah Gurib-Fakim : «Il ne faut jamais dire jamais à la politique active»

Pour sa première interview à la presse écrite depuis sa démission en mars de l’année dernière, Ameenah Gurib-Fakim revient sur son départ forcé de la présidence de la République, sur ses relations avec Alvaro Sobrinho et la vie après le Château du Réduit.

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Vous accordez aujourd’hui votre première interview à la presse écrite depuis votre départ du Réduit le 23 mars 2018. Pourquoi avoir attendu aussi longtemps avant de vous exprimer publiquement ?
Après mon départ, le gouvernement a mis en place une commission d’enquête sur moi. Par respect pour les institutions, il me fallait attendre avant de m’exprimer ouvertement. Je ne voulais pas parler avant. (Ndlr la commission n’a pas encore rendu son rapport).

Comment se sent Ameenah Gurib-Fakim un an après sa démission comme présidente de la République ?
Je me sens très bien. (rires)

Comment s’est passée cette année loin des jardins du Château ?
Le monde politique ne représente que 33 mois de ma vie. Cette parenthèse est fermée depuis l’année dernière. Je suis passée à autre chose. J'ai passé ma vie à construire. Quand j’étais à l’Université de Maurice, à Réduit, j’ai mis en place une thématique de recherche qui est aujourd’hui très prisée à travers le monde. Après mon départ du campus, j’ai lancé mon entreprise. Quand j’ai quitté le Réduit pour une seconde fois, j’ai créé ma fondation, la Gurib-Fakim Foundation.

La politique pour vous, c’est fini ?
Une fois que vous portez le titre d’ex-Président, vous restez de facto dans la politique. Il faut quand même définir ce qu’est la politique. Pour moi, c’est servir le pays. Alors, je continue à le faire à ma façon, à travers le monde, en tant que 6e Président de la République de Maurice. Donc, dans ce sens-là, oui, je continue à faire de la politique.

Faire de la politique active un jour vous intéresse-t-il ?
Il ne faut jamais dire jamais. On ne sait pas ce qui peut arriver demain ou après demain, mais pour l’instant, je fais de la politique à ma façon. Je fais la promotion de mon pays quand je me déplace à l’étranger. Nous sommes une petite île perdue dans l’océan Indien. Pour les autres, nous ne sommes qu’une destination touristique, mais je veux projeter une image d’île intelligente avec un grand potentiel d’investissements.

Quel est le but derrière la création de votre fondation ?
Mon père d'abord, puis mon époux m'ont beaucoup encouragée dans cette voie. C’est à mon tour maintenant d’encourager les femmes. La vocation de la fondation, c’est d’encourager les filles dans les sciences et leur inculquer le sens de l’entrepreneuriat. Sans cela, nous sommes mal barrés. Le changement climatique aussi nous concerne directement. Nous ressentons déjà l’impact du changement climatique avec des flash floods de plus en plus régulières Une prise de conscience s’impose. L’environnement prendra de plus en plus de place.

Vous avez été une Présidente très engagée, présente et visible. Avec le recul, pensez-vous que vous auriez dû vous contenter d’un rôle strictement représentatif ?
Le président et la présidence sont deux choses différentes. Il ne faut pas les confondre. Le président est la personne et fonctionne avec le support que lui apporte la présidence. Celle-ci est gérée de la même façon que n’importe quel autre département étatique. Les mêmes règlements sont en vigueur. A-t-on besoin d’un Président pour couper des rubans et faire de beaux discours seulement ? Je dis non. Le langage que j’adoptais à ce poste était très apprécié au niveau des instances internationales. Si tel n’était pas apprécié ici, il faut demander pourquoi. Le Premier ministre s’occupe de la politique intérieure mais à l’international, c’est le président qui doit positionner le pays.

Pourquoi cela n’a-t-il pas été apprécié à sa juste valeur ?
Il faut poser la question à qui de droit. Au niveau de mes pairs, mon travail était cependant très apprécié.

Avec le recul, auriez-vous fait les choses autrement ?
Dès mon arrivée à la State House, j’avais dit que je n’allais pas être une présidente vase à fleurs. Je voulais faire des choses que je pensais être importantes pour le pays et pour l’institution. Je suis venue en tant que femme, sans bagage politique mais avec un bagage scientifique et entrepreneurial. Quand un président vient vous dire qu’il faut investir dans le capital humain, regarder le changement climatique d’un œil différent et se concentrer sur le secteur entrepreneurial, cela donne un autre poids au message

Pensez-vous que vous étiez devenue gênante à un certain moment ?
Je faisais le travail pour lequel j’étais payée.

On ne peut ne pas parler de la polémique qui a forcé votre démission.
Allez-y !

Est-ce que vous pensez avoir fauté quelque part ?
Tout ce que j’ai fait a été fait au vu et au su du monde politique. Les deux Premiers ministres étaient au courant de tout ce que je faisais. Avant qu’un Président ne quitte le pays, il y a toute une machinerie qui se met en branle au niveau administratif. Le financement de mes déplacements était connu du Secrétaire au Cabinet, du Premier ministre, des ministres concernés… Tout le monde savait ce que je faisais.

Si j’avais voulu commettre un acte de corruption, croyez-vous que j’aurais utilisé une carte de crédit ?

Vous ne parlez pas de votre implication avec Planet Earth Institute (PEI). C’est pourtant l’origine de votre départ.
J’avais été approchée par la Bill Gates Foundation pour animer des conférences dans le monde dans le cadre des Sustainable Development Goals des Nations unies. J'avais dis que c'était une bonne chose mais qu’on n’avait pas les moyens de le faire. On m'avait alors dit qu'on allait pouvoir trouver des fonds pour financer ces déplacements. Un grant à travers le PEI a été ainsi mis à disposition. Avant de signer avec le PEI, la fondation fait un due diligence pendant six mois. Un montant pour financer ces conférences est décaissé et une carte de crédit de la Barclays est mise à disposition. Fruit du hasard, elle était identique à la mienne. Bien souvent avec ce genre de cartes et pour les paiements, il n’est pas nécessaire d'insérer son code. Une signature suffit. Quand je me suis rendu compte que j’avais confondu les deux cartes pour des paiements personnels, j’ai procédé au remboursement dans sa totalité.

Vous vous en êtes rendu compte sur le tard...
Il faut savoir que quand on paie avec une carte de crédit, on laisse des traces. Il n’y a rien de plus transparent qu’une carte. Si j’avais voulu commettre un acte de corruption, croyez-vous que j’aurais utilisé une carte de crédit ? J'ai tout remboursé en mars 2017 après avoir vérifié mes relevés de comptes. En février 2018, un an plus tard, la presse en a fait ses choux gras alors que j’avais déjà quitté la fondation. La question est : qui a fuité mes documents bancaires ?

Dans quel but ?
Je veux souligner que les bénéficiaires de cet accord sont les étudiants mauriciens qui ont eu des bourses. Nous avions démarré avec un projet-pilote et des bourses d’études pour 10 étudiants pour un doctorat mais le but était de financer 10 000 PHD. Je suis partie avant.

N’êtes-vous pas supposée, en tant que présidente, bénéficier d’une rémunération additionnelle…
Mais ce n’en était pas une. C’était des dépenses associées à un projet dont l’État était parfaitement au courant. J’ai eu la bénédiction du gouvernement dans tout ce que j’ai fait.

Il savait tout ?
Absolument ! Le lancement du projet était public. C’était d’ailleurs sur le site Web du gouvernement. Avant de me rendre en mission, je remettais parfois un rapport au Premier ministre, Jugnauth père, pour tout expliquer. Lors de notre rencontre hebdomadaire du jeudi, il me demandait de préparer une petite note pour présenter au Cabinet et c’est ce que je faisais.

La commission d’enquête qui vous concerne a mis au jour des failles dans le système. Il a été souvent question d’Alvaro Sobrinho, le fondateur et financier de PEI, qui avait un accès facile au Réduit.

Alvaro Sobrinho était à Maurice bien avant que je ne sois nommée à la Présidence. En avril 2015, il était déjà en discussions avec le ministère des Services financiers. J'ai pris mon poste de Président en juin 2015. Il était donc déjà là. Au PEI, à l’époque, il y avait des personnes connues et reconnues. Je cite sir Christopher Edwards et Lord Paul Boateng. D’ailleurs l’invitation que j'ai reçue en juillet 2015 est signée par Lord Boateng. Ce sont des gens respectés et respectables et loin d’être louches. Si vous êtes avec ce groupe et que Monsieur Sobrinho passe pour faire un courtesy call de 15 minutes, où est le problème ? Je n’ai jamais compris l’acharnement autour de tout ça. Je ne connaissais absolument rien de ses investissements. Je suis restée strictement dans mon rôle.

J’ai eu la bénédiction du gouvernement dans tout ce que j’ai fait.

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Pourtant, il avait souvent accès au Réduit. Son entourage et lui ont eu 58 fois accès aux facilités VIP de l’aéroport.
Je lui ai personnellement donné accès à deux reprises : lors du lancement de PEI quand il était venu avec une délégation et une seconde fois, en février 2017. Il était accompagné de Lord Boateng et de sir Christopher Edwards. Je dois préciser qu’absolument toutes les autorisations pour l'accès VIP sont ratifiées par le bureau du PM. Je pense qu’ils auraient dû faire leur due diligence sur Alvaro Sobrinho.

Avant les problèmes, est-ce que vous avez été recadrée par le Premier ministre ?
Jamais. Au contraire. D’ailleurs, le PM me désignait pour représenter le pays dans de grands événements internationaux.

Avant votre départ, il y a eu ce communiqué de la présidence pour annoncer la création d’une commission d’enquête présidée par sir Hamid Moollan pour, entre autres, enquêter sur les agissements de la Financial Services Commission (FSC) sur l’Affaire Sobrinho.

Pourtant, la Constitution ne vous autorisait pas à le faire. Qu’est-ce qui vous a pris ?
Tellement de choses ont été dites à partir du moment où j’ai décidé de quitter le PEI en février 2017. On disait que Sobrinho était mon confident et que j’interférais dans l’octroi de permis par la FSC. En vérité, je n’en avais aucune idée. Cela ne me concernait pas. Je n’avais strictement aucune idée de ce qu’Alvaro Sobrinho faisait de son argent, mais les insinuations dans la presse continuaient. Quand la presse a étalé mes dépenses, j’avais déjà tout remboursé. J’ai expliqué alors au Premier ministre que je voulais que la population sache la vérité et qu’elle le saura uniquement quand une instance se penchera sur toute l’histoire. C’est là que j'ai reçu l’avis de Me Yousuf Mohamed qui me dit « tactically, I can do it ». Mais au lieu de la commission Moollan, il y a eu la commission Caunhye qui devait enquêter sur moi.

Il y a eu aussi le bras de fer avec le Premier ministre Pravind Jugnauth pendant plusieurs jours avant votre départ ?
J'avais déjà expliqué au Premier ministre la méprise autour de la carte de crédit, mais le 6 mars, Ivan Collendavelloo et lui sont venus me dire qu’il était temps de partir. Dans cette affaire, personne ne m'a défendue. J'ai refusé de partir, car je voulais laver mon honneur avant. Car mon passeport dans le domaine scientifique, c’est mon nom. J’ai pris toute une vie pour me faire un nom. Je ne pouvais partir ainsi. Ça allait peser contre moi. Pourtant, à mon insu, on a annoncé que je quittais la State House. J’étais complètement lâchée, esseulée.

Avez-vous une idée de celui qui voulait vous nuire ?
Le savoir aurait réglé bien des problèmes.

Même pas une petite idée ?
Non, et je ne vais surtout pas m’aventurer dans des hypothèses. Il est clair que quelqu’un m’en voulait. Pendant trois ans, on savait tout ce que je faisais et où je partais. La State House est un lieu ouvert. Personne ne peut y entrer de manière furtive. D’ailleurs, il y a le log book etc.

Pensez-vous qu’il faudrait donner plus de pouvoirs au président de la République ?
Ceux qui ont écrit cette Constitution étaient très avisés. Il faut éviter un système bicéphale. Le président a une Excecutive Authority. Le PM a un Executive Power. C’est très bien fait, bien encadré.

Avec le recul, y a-t-il des gens que vous auriez dû éviter quand vous étiez à la présidence ?
C’est difficile de connaître les intentions réelles des gens mais je suis restée professionnelle avec tous ceux qui m’entouraient.

Durant les travaux de la commission, on a entendu beaucoup parler de Dass Appadu et de ses connexions avec Alvaro Sobrinho pour lequel il a travaillé après avoir quitté la présidence...
Il était le secrétaire de la présidence. C’est pour cela que je vous ai dit plus tôt que c’est important de faire une distinction entre le président et la présidence gérée par le Secrétaire. C’est lui qui est l’interface avec les institutions, c’est lui qui conseille le président sur tout et c’est lui qui est responsable des audits.

Si c’était à refaire, auriez-vous accepté la proposition de devenir présidente ?
Bien sûr. J’ai servi mon pays au plus haut niveau avec beaucoup de plaisir. J’avais accepté la proposition en prenant des risques car j’étais convaincue que l’Alliance Lepep n’allait jamais remporter les élections. Ils avaient devant eux deux colosses qui étaient en alliance. J’ai été très surprise des résultats.

C’était bien parti pour vous au départ. Vous étiez un exemple pour l’Afrique et le monde. C’est toujours bien accepté à ce jour. Qu’est-ce que cela traduit ?
Ma façon de faire de la politique, c’est de faire connaître mon pays. La presse disait que je voyageais beaucoup. En fait, je voyage davantage maintenant que quand j’étais présidente. Je continue à recevoir des distinctions. Fin mai, je serai faite doctor honoris causa de l’Ecole supérieure de commerce à Paris.

 

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