Interview

Ameenah Gurib-Fakim: «Il faut d’autres pistes de développement»

La présidente de la République se défend de « voyager pour le plaisir ». Six mois après sa prestation de serment, elle fait un plaidoyer pour la recherche d’axes de développement visant la création de richesses et d’emplois. Elle estime aussi que le ‘glass ceiling’ entravant l’épanouissement de la femme existera encore dans certains secteurs. Si vous deviez faire un bilan depuis que vous êtes en poste… C’est peut-être un peu tôt de parler de bilan, car je ne suis en poste que depuis six mois. Par contre, j’ai déjà pris plusieurs initiatives. Je reste convaincue que la science est la voie vers le développement. Je me suis rapprochée de Planet Earth Institute (PEI) dont le lancement a été fait à partir de la State House en septembre dernier. Cette initiative a pour but le renforcement des capacités scientifiques en Afrique et à Maurice. Une branche de PEI a été incorporée localement avec pour but de produire 10 000 PhD pendant les dix prochaines années. Quatre pays africains sont concernés, notamment le Sénégal, le Rwanda, l’ Éthiopie et Maurice. Et cette action se fera à partir de Maurice. Je me suis aussi penchée sur la question d’innovation dans le domaine scientifique et avec la collaboration de la haute commission indienne nous avons accueilli le Pr CNR Rao pour une ‘memorial lecture’ sur l’ancien président de l’Inde, le regretté Dr A.P.J. Abdul Kalam.
Mais encore ? Au niveau constitutionnel, la Commission de pourvoi en grâce tombe sous ma responsabilité. Je conseille au public de bien lire la section 74 de la Constitution pour bien comprendre les ‘pouvoirs’ présidentiels. On a commencé un travail colossal afin de traiter quelque 400 dossiers qui sont en attente. Parallèlement, je me suis attelée à l’entretien de la structure de la State House. Les dernières rénovations remontent à 2002-03. De fait, l’étanchéité du toit pose déjà de gros défis. C’est un bijou national qu’il faut préserver et valoriser à tout prix.
[blockquote]« Je n’ai pas eu des échos de ces critiques mais d’emblée je souligne que je ne voyage pas pour le plaisir »[/blockquote]
Et, bien entendu, il n’y a pas d’entretien sans le maintien des jardins ? Effectivement. On a commencé à créer des arboretums pour protéger les essences endémiques de Maurice, de Rodrigues et les plantes d’Agaléga afin qu’on ait vraiment un Jardin de la République. On va l’ouvrir au public l’année prochaine. Le Parcours de Santé au Château du Réduit est en cours de réhabilitation de même que le Youth Camp qui s’y trouve. Ils seront tous deux accessibles au public durant le premier trimestre de 2016. J’ai sollicité la collaboration de la Société Médine qui a finalement bien voulu nous faire don d’un Rock-Garden. Je fais ainsi un appel à d’autres corporations de suivre le pas de Médine car on a beaucoup d’idées à leur proposer. La Présidence travaille aussi avec le ministère des Arts et de la Culture pour promouvoir l’Art à Maurice. L’Art et la Culture sont le ciment qui transcende nos différences. Le Jardin du Réduit sera à l’honneur l’année prochaine car on va y accueillir des talents de Maurice. Vous attendiez-vous à autant de devoirs et de responsabilités avant d’être en poste ? Il faut reconnaître qu’être présidente de la République est une très grande responsabilité et on n’a pas droit à l’erreur. On se dépasse et on représente le pays dans tout ce qu’on fait et tout ce qu’on dit. La personne n’existe plus. L’attente a été longue, depuis l’annonce de votre nom à votre prestation de serment. Auriez-vous été amère si jamais cette promesse ne s’était pas concrétisée ? La question ne se pose même pas. Vous êtes une férue de science et de technologie. Que faut-il faire, selon vous, pour intéresser davantage des jeunes à cette filière ? Il y a une fracture scientifique entre les pays du Nord et ceux du Sud. Les pays qui ont avancé sont les mêmes qui ont su investir dans la science, la technologie et l’innovation. C’est un secteur pourvoyeur d’opportunités pour nos jeunes. Pour intéresser nos jeunes, il faut un exercice à deux niveaux (push-pull) – les opportunités d’emploi dans les secteurs scientifiques et aussi vulgariser la science auprès des plus jeunes pour développer ce vivier scientifique. À ce jour, les jeunes étudient la science mais, faute d’opportunités, ils la délaissent pour d’autres matières. Ce qui est grave à mon sens. Mais je compte bien renouveler les initiatives comme la ‘memorial lecture’ afin de créer la plateforme nécessaire pour le partage de l’expérience des pays qui ont fait d’énormes progrès dans le domaine scientifique et de faire le lien entre les investisseurs et le savoir pour une plus grande synergie. Quels sont, selon vous, les défis auxquels Maurice aura à faire face en 2016 ? Je peux dire que Maurice est à la croisée des chemins. On a fait beaucoup de progrès au fil des années et, de ce fait, on est un peu victime de notre propre succès. On a perdu pas mal de ‘privilèges’ auxquels les pays en voie de développement ont droit. On est devenu un pays à revenus moyens élevés. La croissance économique a tourné autour de 3-4% annuellement. Pour augmenter la croissance, il nous faut d’autres pistes de développement qui vont créer la richesse et l’emploi. C’est là le défi : identifier, sur les moyen et court termes, ces pôles au travers de nos forces que nous avons mais qui ne sont pas suffisamment exploitées. Votre avis sur l’engagement de la femme en politique ? Assez ? Pas assez ? C’est clair qu’il nous faut plus de femmes en politique. La loi a permis une meilleure représentation de la femme au niveau municipal. Au niveau professionnel, elle fait déjà très bien. Mais il faut aussi reconnaître qu’il y a une certaine timidité chez la femme mauricienne pour se jeter dans l’arène politique. Il faut peut-être comprendre pourquoi la femme ne se jette pas totalement. Le ‘glass ceiling’ qui empêche les femmes à monter en grade, existe-t-il encore? Le ‘glass ceiling’ a toujours existé et existe encore dans plusieurs secteurs. Une présence féminine est souhaitée au sein des conseils d’administration. Cette présence influe sur la qualité des décisions prises. Il y a eu des ‘critiques’ sur vos fréquents voyages depuis votre accession au poste de présidente. Qu’en pensez vous? Je n’ai pas eu d’échos de ces critiques mais, d’emblée, je souligne que je ne voyage pas pour le plaisir. J’ai représenté le pays à Paris pour la COP21 (réunion des chefs d’État et de gouvernements) et FOCAC (Sommet Chine/Afrique). Je suis très souvent invitée à des conférences et réunions internationales, vu mon passé de scientifique et qui a été renforcée avec le chapeau de chef d’État. Quand je fais un déplacement, la State House envoie un communiqué à la presse pour expliquer le pourquoi de ce déplacement et, au retour, il y a un suivi avec des actions concrètes car on doit absolument promouvoir le pays à l’international. Que pensez-vous du ‘cafouillage’ causé par l’identité du prochain vice-président? Je n’ai pas de commentaires à faire sur la vice-présidence. La seule chose que je puisse dire, c’est que quand la personne sera nommée, la State House va organiser la prestation de serment comme c’est la tradition. Que souhaitez-vous aux Mauriciens en 2016? Je souhaite tout le bonheur à mes compatriotes. Nous avons tous le devoir de travailler ensemble pour l’avancement de notre pays et pour la prospérité de nos enfants.
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