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Ally Lazer, travailleur social : «La mafia de la drogue a infiltré la police»

Le président de l’Association des travailleurs sociaux de Maurice lutte contre le fléau de la drogue depuis une quarantaine d’années. Il estime que les policiers impliqués dans des affaires de drogue sont généralement des jeunes qui veulent se faire de l’argent facile.

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En sus des milieux scolaire et sportif, la mafia de la drogue semble avoir infiltré la force policière. Comment l’expliquez-vous ?
L’implication d’officiers de police dans le trafic de drogue ne date pas d’hier. Les trafiquants de drogue cherchent des personnes au-dessus de tout soupçon, comme des personnalités, des sportifs et des officiers de police. À la fin des années 70, un ministre et un sergent de police ont introduit l’héroïne à Maurice.

Au fil des années, d’autres officiers de police leur ont emboîté le pas. Il y a 30 ans, dans son rapport, sir Maurice Rault avait recommandé une peine de prison de 20 ans pour un haut gradé de l’Adsu, ainsi que la saisie de ses biens mal acquis. Mais il y avait un manque de volonté dans le combat contre le fléau de la drogue et ce haut gradé n’avait pas été arrêté. Si les recommandations de sir Maurice Rault avaient été prises en considération, aujourd’hui, nous n’aurions pas eu des officiers de police impliqués dans le trafic de drogue.

Quelle analyse faites-vous de la situation ?
Elle est très inquiétante, vu le nombre de brebis galeuses en train d’importer de la drogue dans le pays, alors qu’elles sont payées des fonds publics pour nous protéger. Dans l’après-midi du vendredi 28 octobre, deux hauts gradés de la police sont venus me voir. Ils ont beaucoup d’informations, mais ne savent plus à qui se confier, puisque même les policiers travaillent avec des trafiquants de drogue. De plus, à chaque fois que l’Adsu ou la police prévoit de faire une descente chez un caïd notoire, la drogue disparaît. On apprend plus tard qu’un agent a déjà informé le trafiquant. Donc, la situation est très alarmante.

Pour quelles raisons de plus en plus de policiers sont-ils impliqués dans le trafic de drogue ?
Il y a deux causes principales : l’argent facile et la consommation. Quand nous analysons les récents cas, ce sont des policiers âgés de moins de 30 ans qui ont été arrêtés. Pour eux, c’est un moyen de se faire de l’argent plus rapidement et plus facilement, de devenir riche très vite. Dans le cas du policier arrêté avec de l’héroïne valant Rs 35 millions, j’ai appris que c’était une histoire de gambling.

Si un policier est accro au jeu, il accepte de travailler pour des trafiquants de drogue pour se faire de l’argent facile. D’autre part, il y a ceux qui consomment eux-mêmes de la drogue. Un gramme d’héroïne vaut plus qu’un gramme d’or. Les policiers qui en consomment choisissent de travailler pour les caïds afin d’avoir suffisamment d’argent pour leur consommation régulière. Avec les informations que j’ai récemment reçues, j’ai peur pour l’avenir du pays. Ces personnes sont des proies faciles et elles sont au-dessus de tout soupçon.

Vous avez remis deux longues listes à la commission d’enquête sur la drogue. Combien de noms d’officiers de police y figurent-ils ?
Je n’ai pas le nombre exact en tête, mais il y en a beaucoup. D’ailleurs, ce n’est pas seulement sur ces deux listes que figurent les noms de policiers. En août 1998, j’avais remis un dossier au Premier ministre d’alors, Navin Ramgoolam, au Président d’alors, Cassam Uteem, et au commissaire de police d’alors, Raj Dayal. Ce dossier contenait 225 noms, dont ceux de deux officiers de l’Adsu et d’un sergent de police. Les deux listes que j’ai remises récemment contiennent également des noms d’officiers de police, ainsi que ceux de hauts gradés de la force policière.

Pourquoi le problème de la drogue à Maurice n’a-t-il pu être résolu à ce jour ?
Il y a un manque de volonté. La police arrête des caïds notoires, mais ils sont par la suite relâchés. Ils ont les moyens financiers pour retenir les services des ténors du barreau. Pensez-vous qu’ils ne récidiveront pas ? D’autres trafiquants de drogue sont intou­chables. Personnellement, je fais confiance à nos institutions, mais pas à toutes les personnes qui font partie de ces institutions.

Quelles sont les solutions ?
Je prône la mise sur pied d’une entité, comme une police des polices, pour avoir un contrôle sur la force policière. Souvent, je rencontre des personnes qui me fournissent des informations solides pour faire arrêter des trafiquants de drogue. En parallèle, ces personnes m’indiquent la station de police à éviter pour les dénonciations, car elles affirment que des policiers affectés à cette station vont informer les trafiquants d’une éventuelle descente chez eux. Donc, c’est clair que la mafia a déjà infiltré la force policière.

De plus, je crois fermement qu’il faut une volonté réelle pour combattre ce fléau. Quand il y avait le problème de chikungunya à Maurice ou le problème de marchands ambulants à Port-Louis, la force policière et la Special Mobile Force se sont mobilisées. Pourquoi pas pour combattre la drogue ? Nous n’avons qu’un port et un aéroport et nous n’avons pas de frontières, alors comment se fait-il que la drogue ait pris tant d’ampleur ?

 

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