Sherry Singh, l’ancien Chief Executive Officer de Mauritius Telecom (MT), a fait des « graves allégations » le 1er juillet dernier sur les ondes de Radio Plus contre le Premier ministre, Pravind Jugnauth. Ce dernier a, de son côté, réagi et a demandé à l’ex CEO de MT d’aller « faire une déclaration à la police ». Cinq légistes font le point sur les options d’une enquête transparente.
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Me Richard Rault : « Pour une commission d’enquête »
Pour Me Richard Rault, « le peuple mauricien a le droit de savoir ce que veut dire avec exactitude Sherry Singh. Ce sont de graves accusations qui évoquent une conspiration pour espionner les données IT des sociétés, des Mauriciens et même des représentations diplomatiques étrangères par une tierce personne, voire une puissance étrangère. Il n’y a pas de concessions à faire là-dessus », soutient-il.
Cependant, précise-t-il, il faut ouvrir une enquête policière indépendante sur ces allégations. Dans ce cas, comment doit-elle se dérouler ? Premièrement, explique l’avocat, il faut vérifier si les divers appels entre le PM et Sherry Singh ont été enregistrés ou déterminer qu’ils ont bel et bien eu lieu. Cela va aider à confirmer les dires de l’ex-CEO de MT. Deuxièmement, il faut prendre les déclarations des intéressés et, en troisième lieu, chercher les éléments corroborés pour soutenir ce que les deux protagonistes ont avancé et discerner le vrai du faux.
Me Richard Rault opte pour une commission d’enquête indépendante. Toutefois, il doute qu’elle agisse de manière indépendante vu que c’est le Président de la République qui nomme le juge-commissaire et ses assesseurs. Jusqu’ici, dit-il le Président de la République n’a pas brillé par son indépendance face au pouvoir, mais aujourd’hui « la tête de l’État est ébranlée par les déclarations de Sherry Singh ».
Me Penny Hack : «Sherry Singh a l’obligation de faire une déclaration…»
Me Penny Hack est catégorique. Le pays n’a pas une institution indépendante et il se dit attristé par cette situation. « Nous avons tous vu que les déclarations et les enquêtes qui sont faites contre le PM ou contre ceux du gouvernement n’aboutissent pas ou elles se retournent contre le lanceur d’alerte », indique-t-il.
Selon lui, les allégations de Sherry Singh contre le PM est un crime projeté contre la sécurité de l’État, comme décrit dans l’article 72 du Code pénal. De ce fait, indique-t-il, le CEO démissionnaire de MT a maintenant l’obligation de faire une déclaration à la police. Au cas contraire, il pourra être puni pour le seul fait de non-révélation par la servitude pénale. « Les allégations sont très graves et se situent au plus haut niveau de l’État impliquant le PM. Sans enquête ou explication, le doute plane sur sa loyauté et ses intentions envers le pays », fait ressortir l’avocat. Le commissaire de police (CP), Anil Kumar Dip, dit-il, doit inviter Sherry Singh à faire une déclaration dans le cadre de l’article 72 du Code pénal.
Il évoque une autre option : le Directeur des Poursuites Publiques (DPP) peut demander au CP de mener une enquête. Sinon, les députés et même les membres du gouvernement doivent prendre conscience du potentiel danger et de l’instabilité qui guettent le pays et démissionner en masse de l’Assemblée nationale. « Et en faisant cela, nous allons vers une élection générale où le peuple fera un choix démocratique », ajoute Me Penny Hack.
Quid d’une commission d’enquête ? Celle-ci serait, selon lui, une mauvaise idée pour plusieurs raisons. « C’est le Président de la République qui établit les paramètres de la commission d’enquête qui doit être indépendante. Ce n’est pas une bonne solution. Ensuite, cela prend du temps pour mettre sur pied une commission qui est, de surcroit, coûteuse. De plus, les conclusions peuvent être contestées en Cour suprême. Il suffit de voir le rapport sur la commission d’enquête sur la drogue de l’ancien juge, Paul Lam Shang Leen. Une peine perdue », indique Me Penny Hack.
Une autre option serait de déposer une « private prosecution » contre le PM, mais il est sceptique. « Est-ce que cela va aboutir à quelque chose ? », ajoute notre interlocuteur. Pour ce dernier, cette situation reste complexe avec de nombreuses questions sans réponse.
Me Dev Ramano : «Il faut une commission d’enquête qui brasse large»
« Si ce que Sherry Singh a dit s’avère exact, ce sera extrêmement grave pour le pays, car cela atteste d’un État fasciste. Je ne suis pas d’accord que quelqu’un d’autre accède à mes courriers électroniques », déclare Me Dev Ramano. Il ajoute que le PM a eu tort de répondre comme il l’a fait en disant que Sherry Singh fasse une déclaration à la police s’il est sérieux. « En tant que chef de l’État il aurait dû lui-même demandé une enquête de police sur les propos tenus par Sherry Singh, car c’est peut-être le scandale le plus grave qu’a connu le pays ».
S’agissant de la procédure à adopter pour faire la lumière sur l’affaire, l’avocat répond qu’il faut « une commission d’enquête qui brasse large, et non d’un rapport qui finira au fond d’un tiroir ». Pour lui, il faut aussi déterminer s’il y a eu haute trahison dans cette affaire.
Me Hervé Duval, Jr Senior Counsel : «La police n’a pas besoin d’une plainte de Sherry Singh pour enquêter»
Me Hervé Duval Jr, Senior Counsel, déclare : « Tout d’abord, j’ai compris que l’allégation était que le Premier ministre avait demandé qu’une tierce personne soit autorisée à accéder au réseau de Mauritius Telecom pour installer un logiciel de sniffing. En supposant que l’allégation est vraie, je ne vois pas quel délit a été commis et ce qui pourrait être rapporté à la police », dit-il. Quant à la réponse du PM, l’avocat déclare que : « Je pense qu’une réplique, plus appropriée serait d’inviter les autorités compétentes à enquêter. Il aurait pu aussi proposer de répondre aux allégations devant le Parlement ».
Dans un autre ordre d’idées, il précise qu’il y a des délits connus de nos lois et qui pourraient faire l’objet d’une enquête. Ceci, à l’instar du délit de donner des directives pour commettre un crime au terme de l’article 38 du Code pénal ou encore d’incitation à la haute trahison comme le stipule l’article 71. « En tout état de cause, la police n’a pas besoin d’une plainte de Sherry Shing pour enquêter. Elle peut se fonder sur ce qui est maintenant du domaine public pour enquêter en vue de détecter tout délit », ajoute-t-il.
Me Antoine Domingue, Senior Counsel : «Pour un select committee ou une commission d’enquête»
Me Antoine Domingue dit noter que « la réplique du PM n’est pas un démenti. Cependant, par la suite, il s’est rattrapé en disant que l’ancien CEO avait menti ».
Évoquant le type de procédure approprié pour faire la lumière sur cette affaire, il explique qu’un « select committee ou une commission d’enquête » est nécessaire afin de garantir « la transparence. De plus, personne ne fait confiance à certaines unités de la police ».
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