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Allégations d'abus sexuels : témoignages bouleversants des enfants

Cette semaine sera décisive pour Ibrahim Sorefan, dont le téléphone et l’ordinateur ont été saisis.
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Tristesse, révolte, peur… C’est ce mélange d’émotions que ressentent quinze enfants et leurs familles respectives. Les langues continuent à se délier. Les enfants s’expriment. Certains ont livré des détails qui donnent froid dans le dos. À ceux qui mettraient en doute ces récits, les parents répondent que leurs enfants n’ont pas pu inventer de telles choses. De son côté, Ibrahim Sorefan clame son innocence. Ses parents parlent d’un « complot ». Zoom sur cette affaire. 

Les minutes défilent. Pourtant, le temps semble s’être arrêté chez Nadine Louis, à Goodlands. Son cœur est meurtri depuis que son fils a raconté ce qu’il a subi à l’école. Elle est très remontée contre Ibrahim Sorefan, l’orthophoniste de 24 ans que quinze enfants accusent d’avoir abusé d’eux sexuellement. 

Mère de quatre enfants, dont trois filles qui sont déjà mariées, Nicole Louise affirme qu’elle était loin de se douter que son fils C. L., âgé de 12 ans, avait été victime la victime d’abus sexuels. Ce dernier est sourd mais il parle un peu en utilisant la langue des signes. C’est un enfant prématuré. Il est né au sixième mois de grossesse. Il est resté à l’unité néonatale des soins intensifs pendant quatre mois. 

Huit mois après sa naissance, les médecins ont conclu qu’il était sourd car il ne réagissait pas aux sons. « Nous lui avons fait faire plusieurs tests qui ont confirmé sa surdité. Il a ainsi commencé ses traitements, dont les sessions d’orthophonie », raconte la maman.

Le garçon était inscrit dans une école à Cap-Malheureux où il habitait auparavant avant de bouger à Goodlands. C. L. n’est cependant pas parvenu à s’adapter. C’est là que Nicole Louise l’a inscrit à l’école de Beau-Bassin après avoir fait des recherches. Il avait sept ans. 

« Il prend deux vans pour aller à l’école. Un de Goodlands à Port-Louis et un autre de Port-Louis jusqu’à Beau-Bassin. Il quitte la maison à 6 h 15 pour rentrer à 16 h 30. Nous n’avions guère le choix car il a besoin d’apprendre la langue des signes pour pouvoir communiquer », raconte la mère de famille. 

« Deux vêtements pour se protéger » 

« Il y a deux semaines, il a commencé à porter deux vêtements pour aller à l’école. Je pensais qu’il avait froid. » Or, poursuit-elle, ses camarades de classe et lui en ont parlé durant la récréation. « Ils ont tous décidé de porter deux vêtements pour aller à l’école afin de se protéger des abus », s’indigne-t-elle. 

Selon elle, le jour où elle s’apprêtait à lui poser la question, c’est celui où la maîtresse d’école l’a appelée, soit mardi, pour l’informer de ce qui s’était passé. « Mon sang s’est glacé », confie-t-elle, précisant qu’elle ne savait même pas qu’un nouvel orthophoniste avait intégré l’école. Elle estime que la direction aurait dû informer les parents car il s’agit d’enfants vulnérables et qu’il est hors de question de faire des compromis sur leur sécurité. 

« C’est une bonne école. On ne peut pas mettre tout le monde dans le même panier. Mon fils y est bien. Il fait des progrès. N’empêche qu’il faut vérifier les antécédents des enseignants et des thérapeutes qui sont recrutés. C’est en fouillant sur Facebook que j’ai su à quoi ressemblait l’orthophoniste », explique Nicole Louise. 

Quand son fils est retourné de l’école mardi, elle lui a dit que l’école avait appelé sur ce qui s’est passé. L’enfant a craqué. « Il a confirmé avoir été victime d’abus. Il m’a expliqué en détail tout ce qu’il a subi. Il m’a raconté que le monsieur faisait cela quand il était seul avec lui. Il le déshabillait avant de commettre son forfait. » 

Depuis, C. L. vit dans la peur. Le lendemain, soit mercredi, Nicole Louise s’est rendue à l’école et elle a porté plainte contre l’orthophoniste. « Nous avons aussi participé à une reconstitution et mon fils a indiqué où il a été abusé sexuellement. En allant dans la salle de thérapie, il a montré aux limiers où l’orthophoniste filmait ce qu’il faisait aux enfants et où il les obligeait à visionner des vidéos pornographiques », fustige la mère de famille qui attend toujours une aide psychologique pour son fils. 

L’avocate Lovena Sowkhee, qui représente quelques-uns des enfants, déplore le manque de soutien aux victimes. « Les autorités leur demandent de reprendre l’école lundi. Cette affaire n’est pas prise au sérieux. C’est aussi cela le vrai scandale. Nous ne lâcherons pas l’affaire », promet-elle. 

Confidences

L’affaire a éclaté en début de semaine lorsqu’un enseignant a rapporté le cas à la direction après des confidences faites par l’un des élèves. Depuis, la cour de l’école pour malentendants de Beau-Bassin ne désemplit pas. La direction a reçu des instructions strictes et elle ne communique plus sur l’affaire. 

Cependant, ils se sont tous rendus disponibles pour les besoins de l’enquête. Les ministères concernés et le bureau de l’Ombudsperson for Children disent suivre l’affaire de près. Pour les enfants, le cauchemar est loin d’être fini. Une question les taraude de même que leurs parents : quand est-ce que tout ira enfin mieux ? 

Afra : « Il y a quelques jours, il était réticent à l’idée de se rendre à l’école » 

Afra (prénom modifié) est sous le choc. Si elle avait constaté que le comportement de son unique fils de sept ans avait changé, il n’avait rien laissé transparaître. L’enfant, qui est sourd et muet, se rend à cette école spécialisée depuis trois ans. 

« Il y a quelques jours, il était réticent à l’idée de s’y rendre. Je lui ai demandé : ‘Pourquoi ? Miss te frappe ? Miss te crie dessus ?’ Il ne m’a pas signalé. C’est quand la direction de l’école m’a appelée que j’ai su ce qui s’est passé. Je n’ai pas de mots pour expliquer ce que je ressens. »

Afra soutient que son fils ne s’est exprimé que deux fois depuis l’éclatement de l’affaire. « Une fois à l’école quand on s’y est rendu en début de semaine et une autre fois quand je lui ai posé des questions à notre retour. Il m’a expliqué qu’il avait subi des attouchements. Depuis, plus rien », déclare la mère. 

Natacha : « Durant la reconstitution, j’ai pleuré car j’ai ressenti la douleur de ma fille » 

Habitant Beau-Bassin, Natacha (prénom modifié) est estomaquée par ce qu’a vécu sa fille de 10 ans. La maman de deux enfants a déjà porté plainte à la police. Elle n’a désormais qu’un souhait : que justice soit rendue à ces enfants vulnérables. 

Depuis que la direction l’a informée, Natacha ne va pas bien. « Je ne comprends pas comment on peut faire subir cela à des enfants. Cet homme doit payer pour ce qu’il a fait. Ma fille est traumatisée. Quand elle a participé à la reconstitution, j’ai pleuré car j’ai ressenti sa douleur », dit-elle. 

Elle dit avoir constaté que ces deux dernières semaines, sa fille ne voulait plus se rendre à l’école alors que d’habitude elle aime bien y aller. « Elle ne voulait pas non plus porter de jogging mais plutôt une robe et un collant. C’est bien après l’éclatement de l’affaire qu’elle m’a expliqué que l’orthophoniste arrivait facilement à retirer le jogging alors qu’avec le collant, c’était plus difficile », s’indigne-t-elle. 

Natacha affirme que sa fille est sourde et muette. Elle communique grâce à la langue des signes. Elle est scolarisée à l’école de Beau-Bassin depuis l’âge de cinq ans. « Tout ce qu’elle a raconté est choquant. Un enfant ne mentirait pas sur ce genre de choses », ajoute la mère de famille.  

Semaine cruciale pour l’orthophoniste 

Ibrahim Sorefan est accusé d’avoir commis des abus sexuels sur des enfants ayant des besoins spécifiques, âgés de cinq à 14 ans, dans une école spécialisée de Beau-Bassin. Durant la semaine écoulée, au moins une dizaine de plaintes ont été enregistrées par la police de Barkly et la Brigade pour la protection de la famille. La semaine à venir s’annonce cruciale pour l’accusé. 

Les policiers ont saisi le téléphone portable de l’orthophoniste, son ordinateur ainsi qu’une clé USB. Ils ont déjà été remis à l’IT Unit de la police aux Casernes centrales. Ils seront soumis à une analyse détaillée. Ce qui intéresse plus particulièrement les enquêteurs, c’est le cellulaire de l’accusé. 

Dans leurs récits, les enfants allèguent qu’Ibrahim Sorefan les a fait visionner des films pornographiques avant d’abuser d’eux. Dans certains cas, il aurait même filmé les victimes à leur insu. L’examen de son téléphone portable et de son laptop devrait permettre aux limiers de savoir quels sont les sites Web qu’il a visités et de déterminer s’ils contiennent des vidéos sauvegardées par l’orthophoniste.

Tout porte à croire que c’est ce lundi 27 juin 2022 qu’il sera entendu en présence de son homme de loi. Il sera alors confronté aux dires des enfants qui se sont expliqués avec l’aide d’un interprète en langue des signes. Une parade d’identification aura également lieu. Jusqu’à présent, le jeune homme nie avoir abusé des enfants. Lors de son interrogatoire, il a dit aux enquêteurs qu’il fait l’objet d’un coup monté. 

Une enquête pas comme les autres 

neelkanth
Me Neelkanth Dulloo

Assistés par la Brigade pour la protection de la famille, des psychologues issus de divers ministères et des interprètes, le chef inspecteur Rajesh Moorghen et le sergent Marden ont du pain sur la planche. Une dizaine de plaintes ont pu être enregistrées pour le moment, selon les autorités. 
Ibrahim Sorefan sera poursuivi sous une accusation de « causing a child to be sexually abused ». Il n’a pas encore donné sa version en présence de ses deux avocats Me Neelkanth Dulloo et Me Saud Peerun. Il n’a cessé de clamer son innocence. Il sera lui aussi examiné par un médecin. 

Rien de compromettant n’aurait été trouvé lors d’une fouille à son domicile. Cependant, son téléphone portable, une clé USB et son ordinateur ont été saisis. La police étudiera tous les sites Web qu’il a visités ces derniers temps. 


Le père de l’accusé : «Le ciel nous est tombé sur la tête» 

Plusieurs allégations pèsent contre Ibrahim Sorefan. Mais aux yeux de son père, de sa mère, de son frère, de sa sœur et de son beau-frère, c’est impossible qu’il ait commis de tels actes. « Le ciel nous est tombé sur la tête », lâche le papa, rencontré chez l’avocat Neelkanth Dulloo, en compagnie de Me Saud Peerun. 

« Nous ne dormons plus. Nous ne mangeons plus. Nous ne faisons que pleurer. Ibrahim ne peut pas avoir fait ce qu’on lui reproche. Dieu en est témoin. Il est trop bon. Ce n’est pas lui », dit son père. 

Cet ancien enseignant à la retraite n’arrive plus à supporter la pression. « C’est un complot. Mon fils ne peut avoir fait ce qu’on lui reproche. Je mets ma foi en Dieu. Ibrahim est croyant et pratiquant », insiste-t-il. Depuis l’éclatement de l’affaire, il affirme que c’est très dur pour lui et qu’il n’arrive pas à donner de leçons particulières. « Je n’arrive plus à me concentrer. » 

Nous ne dormons plus. Nous ne mangeons plus. Nous ne faisons que pleurer. Ibrahim ne peut pas avoir fait ce qu’on lui reproche. Dieu en est témoin. Il est trop bon. Ce n’est pas lui»

La mère d’Ibrahim Sorefan est elle aussi convaincue de l’innocence de son fils. « Nous nous en remettons à la justice, mais au fond de mon cœur, je sais qu’il sera innocenté. Il est trop bon pour avoir fait ce qui lui est reproché. C’est un complot », dit-elle. 

Aisha, la sœur de l’accusé, explique l’infrastructure de l’école : « Sa salle de classe n’est pas fermée. Il y a deux autres classes professionnelles à côté. Comment aurait-il pu faire ce qu’on lui reproche alors qu’il y a deux autres enseignants tout près de lui et qu’il n’a dispensé que 10 sessions en temps partiel ? Il n’y a pas de logique. » 

Elle dit avoir même appelé les amis de son frère en Afrique du Sud : « Je voulais savoir si mon frère avait eu un mauvais comportement là-bas, mais tous m’ont dit qu’il ne sortait pas, qu’il priait et que c’était l’étudiant idéal. » Amis, proches et ex-collègues continuent de soutenir Ibrahim Sorefan. 

Qui est Ibrahim Sorefan ? 

Son nom est paru dans la presse dans une sordide affaire d’attouchements sexuels sur mineurs. Mais qui est Ibrahim Sorefan ? « Enfant gâté », « quelqu’un d’adorable » et « personne attentionnée »… Ce sont autant de termes utilisés par ses proches pour le décrire.

« Il a le cœur sur la main. Il ne ferait pas de mal à une mouche. C’est pour cela que je le crois quand il me dit qu’il n’a rien fait et qu’on l’accuse à tort. C’est un jeune homme aimable et attentionné qui ne fréquente pas n’importe qui. Il est croyant et pratiquant », confie sa sœur. Elle ajoute que c’est aussi un excellent cuisinier : « Li kontan ede, kwi, bwi. » 

C’est au collège St-Joseph qu’Ibrahim Sorefan a fait ses études secondaires. Il a étudié la chimie, la physique et les mathématiques comme matières principales au Higher School Certificate. Puis il s’est rendu à Cape Town pour des études en « Speech and Language Pathology ». 

Mais à cause de la pandémie de COVID-19, il a dû interrompre ses études pour rentrer à Maurice, sans compléter sa dernière année. En regagnant le pays, il a suivi des cours en réflexologie plantaire. En 2021, il est reparti pour l’Afrique du Sud afin de terminer sa dernière année d’études. Il est ensuite rentré après quelques mois.  

À son retour, toujours en 2021, il a ouvert son cabinet dans un immeuble appelé Riverwalk. Après avoir passé un entretien, il a été recruté au sein de l’école spécialisée de Beau-Bassin comme Speech Therapist. 

Ce n’était pas la première fois qu’il travaillait dans un tel établissement. Auparavant, il a travaillé dans une autre école spécialisée où son travail, du moins d’après la lettre de recommandation qui lui a été remise, était très apprécié. 

Il devait commencer à travailler dans deux autres institutions prochainement. Le directeur de la Special Education Needs Authority a affirmé que le jeune homme n’est pas enregistré auprès de l’autorité, mais les parents avancent qu’il avait déjà déposé tous ses documents. 

Jusqu’à 30 ans de prison 

Selon la Children’s Act 2020, personne n’a le droit d’avoir des relations sexuelles avec un mineur ou une mineure de moins 16 ans même avec son consentement. Tout individu trouvé coupable encourt une peine d’emprisonnement ne dépassant pas 20 ans et risque d’écoper d’une amende de pas plus de Rs 1 million. Si le mineur ou la mineure est porteur ou porteuse d’un handicap mental ou physique, la peine de prison peut aller jusqu’à 30 ans et l’amende jusqu’à Rs 1 million. Toute personne jugée coupable par une cour de justice sera fichée dans le registre des prédateurs sexuels.

 

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