L’hygiène dans les hôpitaux est devenue une des priorités du moment. Depuis les dénonciations faites par l’opposition et la publication de rapports internes, la vigilance est de mise au niveau des autorités sanitaires. Les descentes se multiplient, tout comme les mesures correctrices afin d’améliorer la situation.
Le ministère de la Santé prend acte. Depuis qu’il est question de manquements au niveau des stocks d’aliments et de l’hygiène dans les salles des hôpitaux, les unités d’inspection sanitaire redoublent de vigilance. Elles multiplient leur présence sur le terrain pour faire des vérifications.
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« Les descentes ont doublé pour s’assurer que tout est dans l’ordre », indique une source autorisée au ministère. Davantage de visites-surprise sont effectuées ces temps-ci. Le but est d’apporter rapidement des mesures correctrices là où c’est nécessaire.
La possibilité d’installer des caméras dans les chambres froides et les corridors est également étudiée. L’Occupational Health and Safety Unit du ministère est, pour sa part, chargée de vérifier quels lits d’hôpital peuvent représenter un danger pour les patients afin que le nécessaire soit fait rapidement.
Depuis janvier 2023, il y a eu 232 inspections sanitaires pour l’ensemble des cinq hôpitaux publics régionaux. En l’occurrence l’hôpital Sir Seewoosagur Ramgoolam à Pamplemousses, l’hôpital Victoria à Candos, l’hôpital Jawaharlal Nehru à Rose-Belle, l’hôpital Dr Bruno Cheong à Flacq et l’hôpital Dr A. G. Jeetoo à Port-Louis.
La polémique a éclaté après la publication d’une vidéo en live sur Facebook postée le lundi 30 octobre 2023 par les députés du Parti travailliste, Ehsan Juman et Shakeel Mohamed. Cette vidéo montre des aliments périmés stockés à l’hôpital Dr A. G. Jeetoo.
Le mardi 7 novembre 2023, le leader de l’opposition, Xavier-Luc Duval, en a rajouté une couche à travers sa Private Notice Question posée au ministre concerné, Kailesh Jagutpal. C’est à la suite de cet exercice parlementaire que Xavier-Luc Duval a rendu publics le rapport rendu par l’audit interne du ministère en date du 11 juillet dernier et un procès-verbal d’une réunion de hauts cadres du ministère, laquelle a eu lieu le 22 septembre, pour analyser les conclusions du rapport.
Ce document fait état de nombreuses failles au niveau de la restauration et de l’hygiène dans les hôpitaux. Lors de l’audit interne réalisé à l’hôpital Dr A. G. Jeetoo, à l’hôpital des yeux Subramania Bharati à Moka et à l’hôpital de santé mentale Brown Sequard, de nombreux manquements ont été décelés.
Parmi : des légumes pourris étaient stockés dans des chambres froides ainsi qu’un manque de personnel au niveau de la gestion et de la supervision qui pourrait avoir un impact sur la surveillance, la supervision et le contrôle du travail et des dossiers. « Il pourrait y avoir un risque de vol, de gaspillage des denrées alimentaires et de retards dans la mise à jour des dossiers », indique notamment le rapport.
L’audit interne parle aussi de « situation chaotique » en ce qui concerne la tenue des dossiers. Il parle d’un « risque élevé de détournement de fonds, de manque de contrôle sur les articles en stock et de perturbation de la continuité des services. Les entrées dans les registres ont été incorrectement enregistrées et calculées au sein de l’unité de restauration. Des entrées inexactes entraînent la disponibilité d’informations incorrectes ».
Mention est aussi faite de plaintes de la part de patients par rapport à de la nourriture servie froide, à des draps tachés de sang ou encore à la présence d’insectes et de termites dans les salles, voire dans les lits.
34 constats de nuisance émis par le Health Inspectorate
Si, dans un premier temps, la défense de Kailesh Jagutpal et de son ministère était qu’il n’y a rien à signaler, les choses ont toutefois évolué depuis, avec une série de mesures prises pour améliorer la situation dans les hôpitaux. Ces derniers mois, trente-quatre constats de nuisance ont été émis par le Health Inspectorate afin d’assurer la prise de mesures correctives.
De plus, 159 inspections ont été menées dans diverses unités de restauration des hôpitaux. Cela a conduit à la saisie de plus de 350 kilos de denrées alimentaires et à la prise de 138 échantillons en vue d’une analyse microbiologique.
Kailesh Jagutpal : « Ces rapports sont destinés à nous dire ce que nous devons améliorer »
Le ministre Kailesh Jagutpal regrette que le rapport de l’audit interne qui a fuité dans la presse a pris « une dimension politique ». De son point de vue, « certaines personnes font une polémique autour de ce rapport, alors que le ministère a mis en place une petite équipe chargée d’inspecter partout et de voir comment le service se fait ».
Selon lui, on parle de l’ensemble des services, c’est-à-dire ambulancier, salle, rendez-vous et dispensaires, entre autres. « Avant 2010, l’unité de contrôle interne ne comptait que deux ou trois officiers. À l’époque, les rapports étaient superficiels et aucune action n’était prise quand l’un était fait », précise le ministre.
Il se targue que depuis 2020, au lieu de trois ou cinq officiers, l’équipe a été étoffé pour en comporter 10 ou 11. « Est-ce que ce n’est pas une bonne chose ? Est-ce que ce n’est pas bien que nous fassions notre propre analyse pour voir où notre système ne marche pas bien ? Ces rapports nous permettent de nous corriger et d’apporter des améliorations. »
Kailesh Jagutpal souligne que cette unité de contrôle interne a fait plus de 20 rapports en 2020 et « plus de 24 ou 28 » en 2021. « Le service sanitaire, c’est pareil. Il n’est pas là uniquement pour voir ce qui se passe en dehors des hôpitaux, mais aussi à l’intérieur. Depuis le début de l’année, il a effectué plus de 200 inspections. De ce nombre, il a vu que dans 32 places, il y avait des choses pas correctes. C’est ça la bonne gouvernance. C’est comme cela qu’il faut procéder si on veut faire bien les choses », dit-il.
Le ministre précise que « ces rapports ne sont pas destinés à nous dire ce que nous faisons bien mais ce que nous devons améliorer. Mais un ou deux rapports ont été pris et ont été utilisés pour donner une dimension politique ? Certains ont voulu montrer que le système n’est pas bon. Est-ce qu’ils travaillent pour le service privé et ne veulent pas que vous vous rendiez dans les hôpitaux ? »
Achat d’alcool : Pas pour la consommation interne
Outre la polémique sur la qualité des aliments et l’hygiène dans les hôpitaux, une autre a secoué, mais dans une moindre mesure, le ministère de la Santé.
Le 10 novembre, lors de l’émission «Au Coeur de l'Info», animée ce jour-là par Nawaz Noorbux et Jugdish Joypaul, le ministre Jagutpal devait affirmer au sujet d’allégations d’achat d’alcool par le ministère faites par Eshan Juman, député travailliste, que « toutes les fins d’années, on donne du champagne et du chocolat. Lui, il croit malheureusement que le ministère achète du champagne. On en reçoit en cadeau, mais on le retourne d’une autre façon car on ne l’utilise pas. Si Eshan Juman croit que nous prenons de l’argent du ministère pour faire ça, eh ben il rêve ».
Le 17 novembre, lors du meeting du PTr/MMM/PMSD à Chemin Grenier, le député travailliste a soutenu, document à l’appui, que le ministre aurait, selon lui, « menti ».
Et pour cause, un document officiel du ministère de la Santé vient soutenir ses propos. L’on peut y lire que celui-ci a passé commande le 30 mars 2023, auprès de Bhageerutty Commercial Centre Ltd, de neuf bouteilles de vin rouge et trois bouteilles de whisky Black Label pour un total de Rs 12 449,92 bien après les fêtes de fin d’année. Le ministère de la Santé a procédé au paiement le 19 mai.
Le lendemain, Kailesh Jagutpal a répliqué en affirmant que l’alcool est servi à des médecins mauriciens expatriés et médecins étrangers lorsqu’ils viennent effectuer des opérations à Maurice. « Est-ce qu’il n’est pas de notre devoir de bien les recevoir et de leur offrir un diner ? Est-ce que c’est un crime ? Ou bien ils font office d’ambassadeurs pour nous et ils vont dire quand ils retournent dans leur pays que les Mauriciens les ont bien accueillis et que notre hospitalité est extraordinaire ? Toutes les organisations font ça quand ils reçoivent des étrangers. Des cocktails sont organisés, et ils reçoivent à boire et à manger. On les emmène visiter Maurice et on fait en sorte qu’ils partent contents », précise-t-il.
Au niveau du ministère de la Santé, l’on souligne que l’alcool acheté n’est pas prévu pour la consommation interne, mais spécifiquement pour recevoir des invités de marque.
Rien d’exceptionnel
« Que le ministère de la Santé achète quelques bouteilles de vin ou d’alcool forte n’est pas un scandale en soi tant qu’il n’y a pas d’exagération bien sûr », affirme un ancien haut fonctionnaire.
Et d’ajouter que « tous les ministères le font lorsqu’ils reçoivent des dignitaires. Cela dit, les occasions où l’alcool est servi sont quand même plutôt rares ».
Dans quel fonds le ministère puise-t-il l’argent ? « L’argent peut être puisé de différents sous-items du budget comme, par exemple, celui attribué pour le Staff welfare ou encore Other goods and services ou encore Office expenses », répond le haut fonctionnaire en question.
Pravind Jugnauth soutient Kailesh Jagutpal et accuse Navin Ramgoolam
Dans la polémique sur l’achat d’alcool par le ministère de la Santé, le ministre Kailesh Jagutpal a le soutien total du Premier ministre, Pravind Jugnauth. « Il accuse Jagutpal d’acheter du vin et des boissons aux frais de l’État. Vous savez combien de médecins étrangers viennent à Maurice pour faire des opérations gratuitement ? Ils le font sur une base volontaire. Pour 2022/23, si on compte combien on aurait dû payer ces médecins, on arriverait au chiffre de Rs 100 millions. Quand une délégation vient de l’étranger, on ne doit pas faire un diner pour la recevoir ? Les étrangers aiment bien boire un verre de vin. Où est le problème ? », a déclaré le chef du gouvernement, lors de la réunion du congrès du MSM à Grand Bois, jeudi soir.
Et d’ajouter : « Je suis pressé de retourner au Parlement ‘pou tir so manze’. Peut-être qu’il ne sait pas que rien qu’en 2011, le Dr Ramgoolam a acheté du vin, du whisky, du cognac, entre autres, aux frais de l’État. Il en a acheté pour plus de Rs 1,7 million. Mais ça, Eshan Juman ne dit rien ? »
Krish Ponnusamy : « Je ne suis pas surpris par cette pratique »
Krish Ponnusamy, ancien chef du Service civil, indique qu’il n’est pas surpris par le fait que le ministère de la Santé achète de l’alcool pour ses invités de marque. « Ça ne me frappe pas particulièrement, mais il faut bien sûr voir quelle a été l’utilisation exacte de ces boissons ».
Il précise que « c’est une vieille procédure qui veut que quand on a des visiteurs de marque, le ministre a le droit d’offrir des déjeuners ou des diners à ces personnalités. C’est d’ailleurs la moindre des choses d’offrir un diner ».
Par contre, les procédures ont évolué à travers les années. « Autrefois, c’est-à-dire depuis l’Indépendance jusqu’aux débuts des années 80, quand les ministres organisaient des déjeuners ou diners, ils demandaient au Bureau du Premier ministre de leur donner des boissons, car ce dernier avait le droit de garder des caisses de whisky, de vin et autres alcools qui étaient saisies par la douane. Une partie de ces saisies venait au Bureau du Premier ministre spécifiquement pour être utilisée dans des fonctions officielles dont des banquets pour l’Indépendance ou dans le cadre de visites de chefs d’État étrangers, entre autres. Ce n’était cependant pas utilisé pour le plaisir des uns et des autres, mais pour les fonctions officielles. »
Mais, précise Krish Ponnusamy, « après quelque temps, on avait vu que ce n’était pas la bonne formule. L’audit avait d’ailleurs fait des remarques à ce sujet. On a donc cessé avec cette pratique. Depuis, la douane saisit et vend toutes ces boissons avec d’autres saisies et puis l’argent revient à la caisse centrale. Ceci fait que chaque ministre doit acheter ses propres boissons lorsqu’il a des invités de marque ».
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