Interview

Alexandre Laridon, spécialiste en communication : «Sur Facebook, n’importe quel politicien peut acheter des ‘likes’»

Alexandre Laridon, spécialiste en communication

Soumis à la réactivité immédiate de l’opinion publique, grâce à la diffusion de l’information en temps réel, nos politiciens n’ont plus droit à la langue de bois.  Observateur politique et spécialiste en communication, Alexandre Laridon brosse, la nouvelle configuration de la communication politique à Maurice et les défis qu’elle impose à nos politiciens.

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Les politiciens peuvent-ils encore vendre leur image à travers les méthodes traditionnelles de communication ?
Non, il n’est plus question de se fier uniquement aux types de communication que sont l’affichage sur les voies publiques, les meetings et autres réunions nocturnes. Avec l’émergence de l’Internet, des réseaux sociaux et des smartphones, la communication politique a fait un bond considérable, en connectant les citoyens aux moindres faits de société en temps réel. Le contenu de ces faits n’a pas réellement changé, mais aujourd’hui, grâce à l’Internet, le grand public a la possibilité de réagir immédiatement aux informations, de n’importe quelle nature. Mais cela ne signifie pas que les hommes politiques devraient abandonner les bonnes vieilles méthodes qui reposent sur le contact humain, la proximité avec leurs mandats, ces derniers souhaitant toujours qu’ils soient à leur écoute en étant sur le terrain.

L’internaute peut-il se fier au nombre de ‘likes’ qui s’affichent sur le profil d’un politicien ou son post ?
Pas tous, car il existe des faux likes, qu’on peut acheter de n’importe quel pays. Pour s’en rendre compte, il suffit de vérifier si le nombre de likes pour le profil est le même qu’un post pour le même politicien. Puis, il faut vérifier si ce nombre demeure constant pendant plusieurs semaines. Il y a certainement une matière à être surpris lorsqu’on note qu’un politicien récolte un nombre élevé de likes subitement.

N’est-ce pas là une escroquerie caractérisée ?
Dans l’immédiat, c’est tout à fait légal. Mais, cela peut avoir un effet d’entrainement : lorsque d’autres internautes voient le nombre de likes recueillis par un politicien, ils auront tendance à croire que ce dernier est très populaire et ils pourraient, à leur tour, lui accorder leur ‘like’. Au final, cela peut être payant pour le politicien, mais c’est aussi une pratique courante dans d’autres secteurs, comme celui du commerce.

Est-ce les réseaux sociaux rendent-ils compte avec exactitude de la popularité d’un politicien ?
Je pense que la foule présente lors d’un meeting est plus fiable que les likes sur Facebook. La présence physique permet d’analyser les attitudes, les comportements, alors que les réseaux sociaux sont froids et virtuels.

Les jeunes ne sont pas très chauds pour aller assister aux meetings, d’autant plus qu’ils exigent constamment le rajeunissement politique…
C’est une réalité à  retenir et c’est une des raisons qui explique le succès relatif des réseaux sociaux. Quant au rajeunissement de la classe politique et l’éternelle remise à jour des alliances avec les mêmes partis politiques, c’est une pratique qui détournera davantage les jeunes de la chose politique. Je pense que ces derniers souhaitent que chaque parti se présente seul aux élections, mais lorsqu’on en vient aux choix de société, les jeunes ne semblent pas avoir des certitudes.

Quels sont le rôle et la responsabilité des experts en communication lorsque leurs services sont sollicités par les politiciens ?
Ces conseils sont pluridimensionnels. Il faut d’abord qu’il existe une compréhension totale entre le communicant et le client. Le communicant doit d’abord livrer un diagnostic de l’état du pays, dans sa globalité, puis celui de ses adversaires, de leurs programmes, mais aussi de leurs profils. À partir de ces constats, il lui appartient de proposer à son client une sorte de cahier de charges dans lequel il lui fournit un certain nombre de conseils destinés à son rebranding ou à consolider son image.

Cette approche ne consiste-t-elle pas à vendre l’image du politicien comme le communicant le ferait pour des céréales ?
Non, parce que l’homme politique est un être humain, capable d’une palette de réactions : il peut être malade, fatigué, découragé, capricieux, colérique, ce qui n’est pas le cas pour des céréales ou une paire de jeans. La gestion de l’action politicienne est quotidienne et soumise à tous les faits de société. Il doit réagir à des faits qui ne relèvent pas forcément du champ politique, notamment à la criminalité, aux accidents, à l’actualité économique et sociale, régionale et internationale. S’il n’est pas conscient de ces choses-là, le communicant doit lui en faire tenir compte et lui proposer des solutions lorsque son commentaire est sollicité, notamment par la presse, sur un évènement comme le Brexit.

Est-ce que le discours du communicant est le même pour chaque client politique ?
Non, il est adapté en fonction de la personnalité du politicien, de ses idées, et de son électorat. Cette prise en compte est la condition sine qua non afin de lui permettre de parfaire l’image de son client.

Est-ce que le communicant doit épouser les idées de ce dernier ?
Non, le communicant doit rester absolument neutre, c’est cette distinction qui lui permet d’être lucide et efficace. Très souvent, il fait partie d’une boîte de conseils, celle-ci ne peut se payer le luxe de lier son avenir à un parti politique.

Le communicant peut-il réaliser le marketing de tous les politiciens, indistinctement de leurs causes ?
Non, il doit refuser de servir des politiciens dont les discours porte atteinte à l’harmonie sociale, communautaire et économique. Cela étant dit, la question se pose lorsqu’il en vient aux idées qui mettent en cause un système totalitariste, autoritaire, voire ultralibérale, qui réprime  les droits et libertés fondamentaux des citoyens. Est-ce qu’un communicant peut-il se mettre aux services d’un parti qui combat un État totalitaire ? S’il le fait, il s’agit d’un engagement politique.

Les communicants étrangers peuvent-ils travailler au service des politiciens mauriciens ?
Je crois que presque tous les grands partis politiques mauriciens ont fait appel à l’expertise étrangère à un moment donné. Mais, la contribution des experts en communication étrangère reste très minimale car ils se heurtent aux réalités du tissu social et ethnique mauricien, qui reste très complexe à appréhender pour un étranger. Ce n’est pas une problématique mauricienne : tous les pays multiethniques connaissent cette situation. Il faut encore tenir compte de la segmentation de la population, de son découpage en groupes homogènes et distincts, qui soient pertinents, mesurables et accessibles.

Comment les boîtes de communications facturent-elles leurs services aux partis politiques ?
Difficile de le dire, car ce n’est pas une pratique courante et visible à Maurice. Je pense que les partis politiques se fient davantage à des individus issus du milieu de la communication, comme des journalistes, plutôt que de recourir à des sociétés de conseils en stratégies et communication ?

Est-ce un mauvais choix ?
Pas totalement, car certains journalistes possèdent une véritable culture politique en raison de leur longue carrière, mais il leur manque parfois la maîtrise de nouvelles techniques de télécommunication et des réseaux sociaux. C’est pourquoi une bonne communication, cohérente, réaliste et efficace doit s’appuyer sur la synergie entre les méthodes à l’ancienne et les nouvelles stratégies offertes par l’internet et les réseaux sociaux. Cette approche, en fait, tient compte de la réalité de l’île Maurice, où nous sommes encore attachés à certaines valeurs et traditions, dont la famille, le mariage, les liens communautaires, les religions, entre autres. Le communicant ne peut pas se permettre une vision minimaliste de son service à son client-politicien.

Profil
Alain Alexandre Laridon, 28 ans, est diplômé en Marketing et communication de la London South Bank University. Consultant depuis 2013, il a acquis beaucoup d’expériences depuis ces dix dernières années - dans le domaine de la communication - dans divers pays tels que l’Angleterre, la France et  l’ Afrique Australe.

 

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