Al Jazeera, groupe médiatique qui revendique une audience de plusieurs centaines de millions de personnes, a consacré, le mercredi 4 octobre, un article de plus de 1 500 mots à la situation de la drogue à Maurice. Sous le tire : « Des enfants détruits de l’intérieur : le retour de la toxicomanie à Maurice », la journaliste Lorraine Mallinder a mené une enquête sur place pour faire un constat des lieux. Dans son article, elle fait part du désastre touchant le pays.
« La nation insulaire est aux prises avec une épidémie de drogue aux proportions sans précédent, des années après que la consommation et le trafic y ont atteint leur apogée dans les années 90 », conclut Al Jazeera.
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« La dépendance à l'héroïne, qui a culminé dans les années 90, a fait un retour en force dans le pays, la drogue étant redirigée vers ses côtes via Madagascar lors de son trajet depuis l'Afghanistan vers l'Afrique de l'Est et l'Afrique australe », est-il indiqué. « En parallèle, les produits synthétiques se sont imposés – des drogues comme « Black Mamba », « Rambo » et « Murder » fabriquées avec des produits chimiques en provenance de Chine, qui sont mélangés avec des diluants ou des pesticides et pulvérisés sur du thé, du tabac ou des herbes, fournissant des effets hautement toxiques aux jeunes. »
Pour les besoins de son enquête sur place, Lorraine Mallinder a recueilli plusieurs témoignages, dont des toxicomanes, des personnes ayant pu sortir de leur dépendance et des responsables d’ONG qui prennent en charge des toxicomanes. « Aujourd'hui, la drogue est le problème numéro un du pays », explique Mario Ah-Sian, directeur du Centre d'Accueil de Terre-Rouge (CATR), un autre centre de traitement situé à quelques kilomètres de Port-Louis. Cet homme de 63 ans a arrêté l'héroïne il y a 23 ans et a, depuis, consacré sa vie à aider les autres à se libérer de cette maladie. « La drogue a fait des ravages dans toute l'île, déclenchant une vague de vols et d'agressions », dit-il. »
Selon le Drug Use Survey 2022, réalisé par les autorités, 111 500 Mauriciens consomment des drogues et 29 % sont âgés entre 18 et 24 ans. Al Jazeera cite une autre enquête officielle, datant de 2021, où il est indiqué qu’environ 55 000 personnes - âgées de 18 à 59 ans (7,4 % de cette tranche de la population) - consomment des drogues non injectables, notamment du cannabis, des produits synthétiques et de l’héroïne ingérée en les inhalant, en les reniflant ou en les fumant.
« Karo Kalyptis » est décrite comme l’épicentre de la scène narcotique de l’île par Al Jazeera. « En regardant autour de cette petite enclave, un amas délabré de cabanes en béton brut et en tôle ondulée rouillée au cœur de la banlieue pauvre de Roche-Bois, il est difficile de croire que des sommes aussi importantes transitent par ici », dit la journaliste.
« Ladrog zombi »
Lorraine Mallinder y a rencontré trois habitantes. « Elles ont parlé sous des pseudonymes tout en soulignant qu'elles en avaient assez de voir leurs enfants détruits par la drogue. La vie ici est dure », dit Marie, qui lave du linge pour gagner sa vie, qui constate que « de nombreux enfants ne vont pas à l'école et certains commencent à se droguer dès l'âge de 10 ans ». « Ena zanfan zot andan inn fini », dit-elle en créole – « Il y a des enfants détruits de l'intérieur ». Plus tôt cette année, elle est tombée sur un mort dans la rue, probablement victime d’une overdose d'héroïne.
Claudine, une autre femme, affirme que le ‘crystal meth’ et un nouveau produit appelé « ladrog zombi », qui plonge les utilisateurs dans un genre de coma, sont de plus en plus répandus sur le marché. Le nom de ce dernier médicament et la description de ses effets semblent correspondre aux récentes informations faisant état de l'arrivée d'un tranquillisant animal, la ‘xylazine’, à La Réunion voisine.
Influence de la mafia
Al Jazeera rappelle le rapport de la commission d’enquête contre la drogue de 2018. Celle-ci « a trouvé des preuves évidentes de l’influence de la mafia sur divers acteurs, notamment la police, les gardiens de prison, les avocats, les douaniers et les hommes politiques. Il a conseillé que l’unité de lutte contre la drogue et la contrebande (Adsu), jugée trop pourrie pour être réformée, soit démantelée. Cinq ans plus tard, l'Adsu perdure, son influence renforcée par la création d'une force complémentaire appelée Special Striking Team (SST), composée d'anciens officiers issus des rangs de l'Adsu».
Mais, Al Jazeera note que « le gouvernement du Premier ministre Pravind Jugnauth a intensifié sa guerre contre la drogue avec des panneaux publicitaires où il est écrit « Unis contre la drogue ». Mais les critiques affirment que la SST est un outil politique du Mouvement socialiste militant (MSM) de Jugnauth, remettant en question sa sincérité. Les policiers ont arrêté des cibles de premier plan, notamment l'avocat Akil Bissessur et le militant Bruneau Laurette, connu pour son plaidoyer contre la brutalité policière et l'influence des narcotrafiquants, sur la base d'accusations provisoires de trafic de drogue ou de fraude. Le gouvernement est également accusé de protéger le plus gros trafiquant de l’île.
Jean-Hubert Célerine, alias Franklin, a été condamné à sept ans de prison pour trafic inter-îles par les autorités de La Réunion voisine en 2021. Il reste pourtant à Maurice, où il fait actuellement l'objet d'une enquête pour blanchiment d'argent. La confiance du public dans le gouvernement est si faible que beaucoup soupçonnent que l’enquête a été mise en place pour retarder l’extradition du baron ».
Al Jazeera précise avoir contacté le Government Information Service pour une interview, « mais n'a obtenu aucune réponse ».
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