
Deux mois après sa nomination, Kishore Beegoo, président et membre exécutif du Managing Committee d’Air Mauritius, a tenu sa première conférence de presse au Paille-en-Queue Court, à Port-Louis, vendredi.
Un constat des plus alarmants et un plan de redressement en marche. C’est en résumé le menu de la conférence de presse donnée le vendredi 14 mars 2025 par Kishore Beegoo, président et membre exécutif du Managing Committee d’Air Mauritius, nommé à ce poste à la mi-janvier dernier. « Nous ne pouvons pas changer en deux mois tout le mal qui a été fait pendant dix ans » a-t-il dit.
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Dès le début de son intervention, il n’a pas mâché ses mots. « Nous étions assis sur un volcan. Nous avons hérité d’une compagnie avec des pertes accumulées de 317 millions d’euros (Rs 15,55 milliards), un déficit de 195 millions d’euros (Rs 9,57 milliards) et un ‘negative equity’ d’environ Rs 10 milliards. »
Cette situation, selon lui, a gravement terni le « credit profile » d’Air Mauritius auprès de ses partenaires financiers, des sociétés de leasing d’avions et de ses fournisseurs. « Pour l’année financière se terminant à mars 2024, nous faisons un profit d’environ Rs 100 millions, mais quand on creuse, on constate qu’en fait on a fait une perte de 19,45 millions d’euros (Rs 954,41 millions) », avance-t-il.
Le dirigeant a également pointé du doigt la gestion des comptes financiers par Airport Holdings Ltd (AHL), principal actionnaire d’Air Mauritius. « Depuis 2022, AHL a octroyé un prêt de Rs 8 milliards à Air Mauritius, une partie des 25 milliards obtenus de la Mauritius Investment Corporation. Or, au lieu d’être converti immédiatement en capital, ce prêt est resté sous forme de dette, ce qui a gravement nui à l’image de la compagnie. »
Ce retard dans la finalisation des comptes a eu des conséquences concrètes : « Nos ‘lessors’, à qui nous louons nos avions, exigent nos comptes audités dans un délai maximum de six mois après la fin de l’année financière. Or, nous avons mis plus de dix mois à les publier, ce qui a semé le doute sur notre capacité à opérer.
La gestion antérieure d’Air Mauritius a été sévèrement critiquée. « Nous avons hérité d’un héritage lourd, marqué par de nombreuses mauvaises décisions. » Parmi celles-ci, le déménagement de l’aéroport de Heathrow à Gatwick, « une route qui était très profitable et qui est devenue déficitaire ». D’autres décisions stratégiques ont pesé sur la rentabilité de la compagnie : « Sur 13 routes, huit enregistrent des pertes totalisant Rs 8 milliards. »
La politique d’achat d’appareils a également été remise en question. « Nous avons acheté des avions qu’il ne fallait pas acheter. » Six avions de type A350 ont été achetés, « mais un malin a décidé d’en acheter un septième ». Un choix qui a eu un impact direct sur les coûts d’exploitation. À savoir qu’un avion coûte environ Rs 9 milliards.
Il critique aussi la vente d’avions durant l’administration volontaire d’Air Mauritius. « On a vendu des avions, pour louer des avions plus vieux et plus chers et avons acheté des avions. Ce sont trois décisions qui vont peser sur nous pour beaucoup d’années à venir. Ce sont des contrats dont on ne peut s’échapper. Le management veut connaitre ce qui a motivé ces trois mauvaises décisions », dit Kishore Beegoo.
Le Board a décidé de mettre en place une Forensic Audit Investigation. « On ne va prendre que des étrangers pour faire partie des enquêteurs car on veut un constat clair et nette et sans parti pris.
L’état des lieux dressé par Kishore Beegoo révèle une compagnie au bord du gouffre, fragilisée par des décisions discutables. « La structure organisationnelle est disloquée. Il n’y a pas de cohérence, pas de notion de famille au sein d’Air Mauritius. »
L’impact de la période d’administration volontaire a été particulièrement néfaste. « L’administrateur a abordé Air Mauritius comme une usine de textile ou de savon, en supprimant du Top Management des cadres expérimentés au lieu de préserver l’expertise nécessaire. »
Il a aussi dénoncé la « politisation à outrance » au sein de la compagnie. « Nous avons même eu un cas où un docteur donnait des instructions aux pilotes. » Un climat qui a conduit à des décisions aberrantes, comme le licenciement d’un employé ayant fait un rapport sur la sécurité à l’aéroport.
Des dépenses hors de contrôle
Le diagnostic du président d’Air Mauritius met également en lumière une gestion financière lacunaire. « Une compagnie qui dépense Rs 30 milliards par an sans un bon système financier va droit dans le mur. »
Dans le département commercial, « les équipes travaillaient chacune de leur côté. Air Mauritius vendait des billets sans connaître le coût réel de transport des passagers ».
Le département technique, quant à lui, est devenu une source majeure de pertes. « Il représentait initialement 15 % des dépenses, mais ce chiffre a grimpé à 19 %, soit Rs 5 milliards par an. » Un manque criant de personnel qualifié a aggravé la situation : « Beaucoup d’employés ont quitté le département technique, qui était extrêmement en sous-effectif. » Des recrutements y ont eu lieu récemment pour « booster ce département ».
Face à ce constat accablant, Kishore Beegoo a détaillé les actions mises en place pour inverser la tendance. « Nous avons immédiatement commencé à mettre de l’ordre dans le département commercial en y réinstaurant la notion d’accountability. » Le retour de Laurent Recoura au poste de Chief Commercial Officer marque cette volonté de restructuration.
Un effort similaire a été entrepris dans le département financier, où « trois anciens cadres expérimentés ont été recrutés pour mieux structurer la gestion des coûts ». Une équipe « FinCom » a été créée pour assurer une meilleure coordination entre la finance et le commercial.
Dans le domaine technique, « un Technical Finance Manager a été nommé pour optimiser les dépenses ». Des efforts de rationalisation ont permis de récupérer « 600 000 dollars (Rs 27 millions) dans des contrats négligés ». Cependant, la mauvaise gestion passée continue de peser sur la compagnie : « Nous avons 9 millions d’euros (Rs 442 millions) de stocks de pièces d’avion obsolètes qui devront être vendues presque comme du ‘scrap metal’. »
Des partenariats stratégiques ont également été noués pour renforcer les effectifs qualifiés. « Un accord avec Polytechnics Mauritius permettra la formation de 48 nouveaux techniciens dans les trois prochaines années. » Sur ce point, il félicite Charles Cartier, ex-Chief Executive Officer d’Air Mauritius. Un programme de formation spécifique avec Airbus a aussi été mis en place pour garantir « des avions fiables, sûrs et opérationnels à temps ».
Pour Kishore Beegoo, les réformes engagées visent à redonner à Air Mauritius sa place dans le ciel régional et international. « Nous avons hérité d’une compagnie affaiblie, minée par une mauvaise gestion et des décisions stratégiques erronées. » Il concède toutefois que le redressement ne sera pas immédiat : « Nous ne pouvons pas changer en deux mois tout le mal qui a été fait pendant dix ans. Mais nous posons aujourd’hui les bases d’une Air Mauritius plus solide et plus compétitive. »
Alors que la compagnie tente de retrouver sa stabilité financière et opérationnelle, les prochains mois seront déterminants pour juger de l’efficacité des mesures mises en place. Une chose est sûre : la relance d’Air Mauritius s’annonce comme un défi de taille.
Questions et réponses
Plusieurs sujets ont été abordés lors de la séance des questions-réponses
- Situation financière : « On travaille sur l’objectif d’ici un an d’être à un ‘break-even point’ et de commencer à gagner de l’argent pour la seconde année. Notre modèle devra changer. »
- Retards, pannes, annulations de vol : « Le département technique est celui où on a pris le plus de personnes. On s’est concentré dessus. »
- Maintien des mêmes lignes : « Non. Nous revoyons chaque route et nous prendrons des actions sur les routes qui nous saignent. »
- Partenariat avec Ethiopian Airlines ? « S’il y a des passagers, tout le monde peut venir. Mais Ethiopian Airlines n’a jamais pu montrer ce qu’ils pourraient nous apporter. »
- Intégration de Yogita Babboo, présidente de l’Air Mauritius Cabin Crew Association ? « Si une personne a été limogée, il y a une raison. Soit elle est limogée pour raisons politiques ou pour avoir travaillé contre les intérêts de la compagnie. Notre travail est de voir ce qui est vrai ou pas. Nous enquêterons. On va voir dans deux mois concernant cette personne. Mais j’ai entendu la personne dire des choses pas vraies sur une radio. À aucun moment j’ai dit que je vais mettre 400 personnes dehors. »
- Un CEO pour Air Mauritius ? « Je suis président et membre du Managing Committee avec des pouvoirs exécutifs. »
- Politique des billets cadeaux et upgrades : « Tout a été annulé. Ministres, ambassadeurs d’autres pays… ‘tou deor’. Ces abus ont coûté entre Rs 70 millions et Rs 100 millions à la compagnie. Il y a eu beaucoup d’abus. On met de l’ordre partout. »

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