
Le 27 mai 2025, la Cour d’appel annule la condamnation de Bernard Maigrot, accusé du meurtre de Vanessa Lagesse, révélant les limites de la preuve ADN. L’ex-juge Vinod Boolell souligne la fiabilité de l’ADN, mais insiste sur les erreurs possibles si mal interprété.
Le verdict de la Cour d’appel, rendu le 27 mai 2025, dans l’affaire Vanessa Lagesse vient ébranler les certitudes sur la preuve ADN dans le système judiciaire mauricien. Vingt-quatre ans après le meurtre de la styliste, l’annulation de la condamnation de 15 ans de prison de l’homme d’affaires Bernard Maigrot, 63 ans, pose une question fondamentale : l’ADN est-il vraiment la preuve ultime ?

Me Vinod Boolell, ancien juge de la Cour suprême, partage son analyse sur cette affaire qui illustre les atouts, les limites et les défis que posent les preuves scientifiques dans le système judiciaire. Pour lui, l’ADN joue un rôle central dans les affaires pénales : « Les preuves ADN permettent d’identifier les suspects de crime ou les victimes inconnues, et de disculper les personnes condamnées à tort. »
Selon lui, la fiabilité scientifique de l’ADN est largement reconnue, bien qu’elle puisse être remise en cause dans des cas spécifiques. « Les preuves ADN ne sont pas un mythe. Elles sont utilisées dans de nombreuses juridictions et leur fiabilité est difficilement contestable sauf preuve du contraire. »
Mais l’affaire Vanessa Lagesse démontre précisément ces cas spécifiques où la preuve ADN, mal interprétée ou insuffisamment contextualisée, peut conduire à des erreurs judiciaires. Elle révèle notamment les lacunes concernant la capacité des acteurs judiciaires à comprendre la preuve ADN. « Les juges et les avocats ne sont pas spécifiquement formés aux preuves ADN. L’expert médico-légal explique les détails au tribunal. Il revient aux avocats d’être bien préparés pour le questionner », souligne Me Vinod Boolell.
Qu’en est-il des jurés ? L’ancien juge rappelle « qu’il s’agit d’une méthode comparable aux empreintes digitales. Aucun mystère ne doit planer ». Dans l’affaire Vanessa Lagesse, c’est précisément cette formation insuffisante du jury qui a été pointée du doigt par la Cour d’appel. Le Full Bench a conclu à une « direction insuffisante du jury, en particulier sur la valeur probante de la preuve scientifique centrale ». Cette lacune dans l’explication de la portée et des limites de la preuve ADN a contribué à une condamnation erronée, selon le Full Bench.
Et en ce qui concerne la police ? Me Vinod Boolell précise que les policiers n’ont pas besoin de formation scientifique poussée : « Leur rôle est de collecter les preuves. Les analyses techniques sont du ressort des experts. » Mais dit-il, « si des traces d’ADN autres que celles du prévenu sont trouvées, une enquête s’impose pour les identifier et, le cas échéant, cela peut créer un doute ».
Dans l’affaire Vanessa Lagesse, l’enquête a effectivement révélé la présence d’ADN masculin inconnu sur plusieurs éléments clés, notamment sur la corde ayant servi à étrangler Vanessa Lagesse (voir encadré). Ces traces n’ont apparemment pas fait l’objet d’investigations approfondies, créant précisément ce « doute » évoqué par l’ancien juge.
Interrogé sur l’existence de normes, Me Vinod Boolell indique : « Dans de nombreux pays, des guides sur l’usage médico-légal de l’ADN existent. Je ne sais pas si c’est le cas à Maurice. » Il plaide pour une remise en perspective continue de la science en justice : « L’ADN n’est pas une preuve absolue. Même si elle établit une présence, il faut aussi considérer l’ensemble des faits, y compris la manière dont la victime a été tuée. »
Retour sur une affaire qui a défrayé la chronique judiciaire
Le 10 mars 2001, le corps de Vanessa Lagesse est retrouvé dans la baignoire de sa résidence à Grand-Baie. L’autopsie révèle des blessures multiples, des marques de strangulation et une fracture de la colonne cervicale. L’enquête s’oriente vers un homicide.
Bernard Maigrot est arrêté en avril 2001. Il admet avoir eu une relation avec la victime, mais nie toute implication dans sa mort. Aucune preuve directe ne l’incrimine ; seule une trace ADN mêlant son profil à celui de la victime est détectée sur deux draps saisis et étiquetés comme pièces à conviction KV1 et PM14. Ces éléments sont analysés en 2011 par le professeur Christian Doutremepuich, à Bordeaux.
En 2024, l’homme d’affaires est reconnu coupable de « manslaughter » et condamné à 15 ans de prison. Il fait appel. Le 27 mai 2025, la Cour d’appel annule sa condamnation. Le Full Bench de la Cour suprême a conclu à une direction insuffisante du jury, en particulier sur la valeur probante de la preuve scientifique centrale : un filament d’ADN mêlé de sang. L’unique filament d’ADN ne prouvait ni la date ni la façon dont il avait été déposé.
Au procès, la poursuite avait fondé l’essentiel de son accusation sur cette trace d’ADN de Bernard Maigrot. « Le seul fait sur lequel la poursuite se reposait pour inviter le jury à tirer une inférence de culpabilité, par voie de preuve circonstancielle, était la présence du sang et de l’ADN de l’appelant (Bernard Maigrot) sur deux pièces à conviction », note le Full Bench. Aucun autre élément ne permettait de démontrer que ces traces avaient été laissées la nuit du crime.
Ce que contient le dossier ADN
Les pièces à conviction, notamment les draps étiquetés KV1 et PM14, ont été envoyées en France au Laboratoire médico-légal de Bordeaux, dirigé par le professeur Christian Doutremepuich, à partir du mois de novembre 2011, pour analyses complémentaires. Cela, dans le cadre de la réouverture du dossier, après l’enquête policière initiale. Les conclusions sont comme suit :
- ADN mêlé de Bernard Maigrot et de Vanessa Lagesse sur deux draps
- Absence d’ADN sur la corde (KV32) ayant servi à étrangler Vanessa Lagesse
- Présence d’ADN masculin inconnu sur plusieurs éléments clés
- Résultat non concluant du test de lavage simulé
- Trois experts ont été entendus dans le cadre du procès aux Assises. Ils sont :
Pour la poursuite :
- Le professeur Christian Doutremepuich. C’est un expert en biologie judiciaire, basé au Laboratoire médico-légal de Bordeaux. Il a effectué les analyses ADN des pièces à conviction, notamment les draps (KV1 et PM14), et a conçu un protocole de lavage afin de tester la persistance de traces ADN sur tissu après lavage.
Pour la défense :
- Dr Susan Pope – Membre de la Chartered Society of Forensic Sciences, experte en ADN.
- Professeur Christophe Champod – Directeur de l’École des sciences criminelles à l’université de Lausanne, Suisse. Spécialiste internationalement reconnu dans l’analyse des preuves forensiques.
- Les trois experts s’accordaient sur un point crucial : il était impossible, scientifiquement, de déterminer quand et comment l’ADN de Bernard Maigrot avait été déposé sur les draps.
- Absence d’ADN sur l’arme du crime
- La corde (KV32) utilisée pour étrangler Vanessa Lagesse a été testée lors de l’enquête. Les résultats révèlent :
- Aucun ADN de Bernard Maigrot n’a été détecté sur la corde.
- Des profils ADN masculins inconnus y ont été retrouvés, ce qui suggère la possible implication d’une autre personne ou de plusieurs personnes.
Ce constat est d’autant plus significatif que KV32 est une pièce maîtresse du crime. Le jugement critique l’absence de mise en valeur de ce fait devant le jury : « The Judge did not sufficiently direct the attention of the jury […] that save for the 2 exhibits, KV1 and PM14, the appellant’s DNA was not found anywhere else at the crime scene including in the bathroom […] or on the plastic rope (KV32) used in the killing. »

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