Un commissaire démissionnaire accusé, un directeur par intérim visé par des allégations de trafic d’influence : la Financial Crimes Commission peut-elle encore enquêter sur le réseau Ravatomanga en toute indépendance ?
Publicité
Comment enquêter quand les enquêteurs sont eux-mêmes mis en cause ? La Financial Crimes Commission (FCC), institution chargée de traquer les délits financiers à Maurice, traverse une crise de crédibilité sans précédent. Au cœur du problème : l’affaire Ravatomanga, du nom de cet homme d’affaires malgache dont le réseau présumé de blanchiment d’argent éclabousse désormais les plus hautes instances de la commission elle-même.
Le 26 octobre 2025, l’avocat Junaid Haroon Fakim, commissaire de la FCC, a démissionné. Il est lui-même visé par une enquête de la commission. Parallèlement, l’Acting Director de la FCC, Titrudeo Sanjay Dawoodarry, fait face à des allégations de trafic d’influence formulées par Nasser Osman Beekhy (voir encadré). Ce dernier a été arrêté et inculpé provisoirement d’entente délictueuse dans cette affaire.
La question est brutale : peut-on encore faire confiance à une institution dont les responsables sont soupçonnés de complicité avec ceux qu’ils sont censés poursuivre ? Pour le leader de l’opposition Joe Lesjongard, qui intervenait mardi au Parlement, la FCC « ne peut pas s’enquêter elle-même », car cela soulève, affirme-t-il, de sérieuses questions d’impartialité. « Pour plus de transparence et de crédibilité, il faut une instance neutre, indépendante du pouvoir exécutif comme du politique, qui soit en mesure de superviser les enquêtes. Si la FCC devient juge et partie, la confiance du public en pâtira. »
Cependant, deux avocats consultés ne partagent pas ce point de vue. Pour Me Yatin Varma, ancien Attorney General, dessaisir la FCC du dossier n’est pas envisageable : « La loi est claire et spécifique : c’est la FCC qui a la compétence pour enquêter sur ce type d’infractions. Elle doit maintenant démontrer qu’elle agit avec tout le professionnalisme requis. »
Me Penny Hack abonde dans le même sens. La démission de Junaid Haroon Fakim a d’ailleurs résolu une partie du problème : « En ce qui concerne l’ancien commissaire, il n’y a plus de conflit d’intérêts, car les autres officiers de la commission peuvent poursuivre l’enquête en toute sérénité. Toutefois, il faut que ces officiers ne soient nullement mentionnés dans cette affaire ni visés par des allégations sérieuses d’une tierce personne. »
Mais pour Me Yatin Varma, les allégations visant le commissaire démissionnaire sont « très graves » et risquent de ternir l’image de l’institution : « Après une démission dans de telles circonstances, il appartient à la FCC de rassurer le public que l’enquête en cours sur des soupçons de blanchiment d’argent est menée de façon indépendante et professionnelle. »
Le cas Dawoodarry
Sur le sort de Titrudeo Sanjay Dawoodarry, l’Acting Director de la FCC, les deux juristes s’accordent : il ne doit pas démissionner. Me Yatin Varma met en garde contre une dangereuse dérive.
« On ne peut pas réclamer la démission d’un responsable sur la base de simples allégations. Sinon on risque d’entrer dans un cycle infernal. » Pour l’heure, précise-t-il, il s’agit uniquement d’allégations, dont la véracité doit être établie.
Me Penny Hack est tout aussi catégorique sur le principe, mais plus pragmatique sur la forme. Vue l’ampleur et la gravité des accusations, Titrudeo Sanjay Dawoodarry doit s’écarter de l’enquête, laissant la voie libre aux autres enquêteurs de la FCC afin d’agir en toute indépendance. « En priorité, il faut éviter d’entacher l’enquête de la perception de biais », souligne-t-il.
Les deux avocats pointent ainsi la même préoccupation : la crédibilité. Yatin Varma parle de « ternir l’image de l’institution », Penny Hack de « perception de biais ». Au-delà de la culpabilité ou de l’innocence de Dawoodarry, c’est la confiance du public qui est en jeu.
Me Penny Hack va plus loin en proposant une solution concrète : « On peut aussi suggérer qu’il prenne un congé temporaire jusqu’à la fin de cette enquête. » Il tempère toutefois l’exceptionnalité de la situation : normalement, dans la force policière, un policier peut enquêter sur son collègue. Cela se fait déjà.
Et si la situation empire ?
Les deux juristes évoquent également, dans des contextes différents, le recours possible à la police. Me Penny Hack l’envisage comme un filet de sécurité : « Il y a déjà des amendements dans le FCC Act qui permettent au commissaire de police d’assister la FCC dans une enquête, voire de reprendre le dossier et de mener lui-même l’investigation. Cette option est à considérer si la situation venait à empirer. »
Me Yatin Varma, lui, pense au volet pénal. Quant aux allégations d’ingérence ou de tentative d’interférence dans cette enquête, l’avocat avertit : « Si elles s’avèrent, il y aura forcément des conséquences. Dans ce cas, la police devra être saisie pour une enquête pénale sur ces agissements. »
Face aux allégations de Nasser Beekhy – « A la tet lamem mo pe denonse, zot pe met trafik inflians kont mwa e mo pe denons trafik infians partou. » – ,Titrudeo Sanjay Dawoodarry a donné la réplique, le lundi 27 octobre 2025. Tout en affirmant qu’il restera à son poste, il se présente en combattant déterminé : « (….) Mo pli committed pour amenn konba frod, koripsion ek blansiman larzan. Depi monn pran la bar FCC, mo pe amenn enn konba inlasab kont sa bann deli-la. »
Notre service WhatsApp. Vous êtes témoins d`un événement d`actualité ou d`une scène insolite? Envoyez-nous vos photos ou vidéos sur le 5 259 82 00 !

