Dans quel cas de figure la police ou la Commission anticorruption peut-elle contester la décision d’un tribunal de rayer une accusation provisoire ? Deux avocats apportent un éclairage.
L’Independent Commission Against Corruption (Icac) a saisi le juge des référés en déposant une motion via un affidavit. Elle exprime son insatisfaction quant à la décision du tribunal de Port-Louis de rayer l’accusation provisoire portée contre Brijendrasingh Naeck, le Principal Pharmacist du ministère de la Santé, dans le cadre d’une enquête pour corruption (voir plus loin).
Cependant, ce n’est pas la première fois que l’Icac a recours à ce type de démarche. La commission anticorruption conteste également la décision du tribunal de Rose-Hill d’avoir rayé, le 22 juillet 2022, l’accusation provisoire portée contre Chavan Dabeedin, ancien haut cadre du Central Electricity Board (CEB) (voir encadré).
Devant cette situation, la question se pose : la police ou l’Icac peut-elle contester la décision d’un tribunal de rayer une accusation provisoire contre un prévenu ? « Oui, absolument », répond Me Ashley Ramdass. Si la défense a la possibilité de contester le maintien d’une accusation provisoire, la poursuite peut « tout autant » contester la décision du tribunal de rayer une accusation provisoire, si elle s’estime lésée par ladite décision.
Me Vedakur Rampoortab le confirme également : « Toute décision d’un tribunal en première instance peut être sujette à contestation. » Toutefois, précise-t-il, la « tendance » veut, suivant une telle décision du tribunal, que l’instance chargée d’enquêter dans l’affaire « aille peaufiner » son dossier en vue de présenter « une accusation formelle ».
Et Me Ashley Ramdass d’ajouter : « c’est assez rare que l’Icac ou la police choisisse de contester la décision du tribunal dans ce type de situation. En général, lorsque l’accusation provisoire est retirée, la police ou l’Icac mettra les bouchées doubles pour finaliser l’enquête en vue de présenter une accusation formelle. » Car, fait-il comprendre, « le fait qu’un tribunal raye une accusation provisoire n’empêche en aucun cas la poursuite de présenter une accusation formelle ».
Sous quelles circonstances la police ou l’Icac peut-elle contester la décision de retirer une accusation provisoire ? « Si la police ou l’Icac estime que la décision du tribunal est erronée, elle peut engager une contestation », souligne Me Ashley Ramdass.
Dans le cas où le tribunal aurait retiré l’accusation provisoire en raison du délai et que l’accusation juge que ce délai est justifié en raison de la complexité de l’enquête impliquant notamment des aspects internationaux et nécessitant une coopération avec des autorités internationales, l’accusation « peut avancer ces arguments dans sa contestation », fait-il ressortir.
Cependant, Me Vedakur Rampoortab met en avant que le principe applicable pour justifier une telle contestation est que la décision du tribunal doit être « irrationnelle ». En d’autres termes, aucune autre juridiction ne prendrait une telle décision dans les mêmes circonstances. Dans le langage juridique, explique l’avocat, on parle de « wednesbury unreasonable ». Afin de justifier une contestation, la partie lésée doit être en mesure de démontrer que la décision du tribunal était contraire aux « principes fondamentaux » de justice ou encore que le tribunal a manifesté un « biais », soutient Me Vedakur Rampoortab.
En ce qui concerne la procédure à suivre pour une telle contestation, les deux avocats sont d’accord pour dire qu’il s’agit d’une demande de révision judiciaire (judicial review). « Il faut comprendre que le retrait d’une accusation provisoire relève d’une décision administrative. On ne peut pas parler d’acquittement dans ce cas. Un accusé ne plaide pas coupable face à une accusation provisoire. C’est simplement un mécanisme mis en place pour placer le suspect sous le contrôle judiciaire. À mon avis, cette décision ne peut être contestée que par le biais d’une demande de révision judiciaire. C’est un processus en deux étapes. Il faut d’abord obtenir l’autorisation (leave to apply for a judicial review) pour contester la décision. Ensuite vient le fond de la contestation (second leg) », indique Me Ashley Ramdass.
Bien que Me Vedakur Rampoortab soit d’accord sur la procédure, il précise cependant que le bureau du Directeur des poursuites publiques (DPP) a « certainement son mot à dire sur la question ». L’avocat fait remarquer que la controverse actuelle concernant le différend entre le DPP et le commissaire de police porte précisément sur la question de savoir qui a le contrôle de la procédure liée à une accusation provisoire.
Le cas Chavan Dabeedin
Le 24 février 2022, Chavan Dabeedin, ancien directeur des projets stratégiques du CEB, est arrêté dans le cadre d’une enquête menée par l’Icac. L’organisme le soupçonne d’avoir reçu un pot-de-vin de Rs 1 250 000 de la compagnie PAD CO Ltd entre 2016 et 2017, dans le cadre d’un accord pour l’installation de câbles souterrains dans plusieurs régions du pays.
À la suite d’une requête déposée par les avocats de Chavan Dabeedin, le tribunal de Rose-Hill a rayé l’accusation provisoire, le 22 juillet 2022. Insatisfaite de cette décision, l’Icac a soumis une demande au juge des référés Iqbal Maghooa afin d’annuler la décision du tribunal de Rose-Hill. L’affaire est en cours.
L’affaire Brijendrasingh Naeck
Le 29 décembre 2021, Brijendrasingh Naeck, Principal Pharmacist au ministère de la Santé, est arrêté et provisoirement inculpé par l’Icac pour favoritisme. Il est suspendu de ses fonctions depuis le 15 décembre 2021, après 27 ans de service. On lui reproche d’avoir favorisé CPN Distributors Ltd, représentée par Jay Kumar Chuttoo, en décembre 2021, en veillant à ce que cette entreprise remporte un contrat pour la fourniture d’un million de comprimés de Molcovir, un médicament générique utilisé pour traiter les patients atteints de la Covid-19. Le contrat a été attribué pour Rs 79 840 080, un prix huit fois supérieur à celui obtenu lors de l’appel d’offres précédent, la veille.
À la suite d’une requête de son avocat, l’accusation provisoire a été rayée le 25 mai 2023. La commission anticorruption a contesté cette décision devant la Cour suprême. L’affaire sera appelée le 5 septembre 2023.
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