Société

Accidents de travail: des vies brisées

Derrière chaque accident au travail, il y a un drame humain. Rencontre avec ces victimes et leurs proches…
Un décès de trop. Voilà comment est qualifiée la disparition de Gérard Baya même si, selon les chiffres officiels, le nombre d’accidents au travail a chuté (151 en 2015 contre 222 en 2014). Chez la famille Baya, à Rivière-du-Rempart, le temps s’est arrêté. La joie a laissé place à la douleur, à la révolte et à de nombreuses interrogations. « Ce décès aurait pu être évité ! On lui a arraché ses plus belles années. » Gérard Baya est mort après une chute dans un broyeur sur son lieu de travail. Admis le 9 octobre à l’hôpital de Flacq, il a été amputé de ses deux jambes avant de rendre l’âme le lundi 19. C’est le cinquième accident fatal cette année sur le lieu de travail. La direction d’Alteo Milling Ltd a émis un communiqué pour expliquer qu’un comité indépendant a été mis sur pied pour déterminer les causes exactes de cet accident. Un collègue de Gérard Baya, arrêté le 15 octobre, est provisoirement accusé de « involuntary wounds and blows by negligence ». Il est en liberté conditionnelle.
[panel contents="Le Chief Occupational Safety & Health Officer du ministère du Travail affirme qu’il y a beaucoup d’efforts de la part du gouvernement pour réduire le nombre d’accidents de travail : « Il est difficile de les éliminer complètement. Il y a eu beaucoup de changement pour prévenir ces accidents, mais aussi pour sensibiliser employeurs et employés. Depuis le début de l’année, 5 000 personnes ont bénéficié de nos formations. Nous avons mené 131 enquêtes à la suite des plaintes reçues. À noter que des Prohibition Orders sont servis aux employeurs qui n’assurent pas un lieu de travail sécurisé. »" label="Formation" style="info" custom_class=""]
Mais au-delà du drame que vit la famille Baya, il y a la détresse de ceux qui survivent aux accidents de travail. Ils sont souvent réduits à se battre pour survivre. Asleem Mohammodally, 45 ans, est de ceux-là. Blessé au travail en 1999, il est devenu aveugle quelques mois plus tard.
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/div> « J’étais cleaner. Un jour, on devait laver des vitres au 4e étage du bâtiment à Ébène. Un support métallique, qui était mal fixé, s’est avancé et je suis tombé. J’ai été blessé aux mains, aux pieds et à la tête. » Après plusieurs interventions chirurgicales, Asleem apprend une terrible nouvelle : sa rétine s’est détachée. Il perd la vue quatre mois plus tard. « J’avais des projets, j’étais fiancé, mais tout est tombé à l’eau. Les fiançailles ont été rompues », dit-il tristement. « Au travail, on m’a mis la pression pour que je démissionne, car j’étais trop souvent en arrêt maladie. J’ai cédé. Je suis parti sans compensation. On m’a seulement versé une allocation pour mes années de service. Après plus d’un an et demi de lutte, j’ai pu obtenir une pension de Rs 4 500 qui vient d’être supprimée. » Asleem Mohammodally n’est pas de ceux qui baissent les bras facilement. « J’ai dû recommencer à zéro. J’ai beaucoup pleuré, mais j’ai tenu bon. J’ai suivi des cours pour devenir réceptionniste, mais quand j’ai approché mon ancien employeur, j’ai compris que je n’avais pas ma place au sein de sa compagnie. De nombreux aveugles ont des compétences, mais qui ne sont pas reconnues. Pourtant, récemment, enn aveugle inn lev latet Moris. Dans la réalité, nous vivons dans un monde cruel et discriminatoire. » Asleem a perdu ses parents, il vit seul et ne peut que compter sur la générosité des voisins et quelques amis : « Je ne peux cuisiner. Quand je sors, il me faut prendre un taxi et me faire accompagner. » Son plus grand souhait c’est de travailler : « J’aime travailler. Cet accident a tout changé. Aujourd’hui, j’ai l’impression de n’être qu’un bon à rien… » Reeaz Chuttoo, de la Confédération des Travailleurs du Secteur Privé (CTSP), est d’avis qu’il faut « dépassionner le débat ». « C’est aux employeurs de mettre en place toutes les procédures de sécurité, pas à l’employé », dit le syndicaliste. Selon Me Dev Ramano, spécialisé en droit industriel, il faut voir le drame humain qui se cache derrière chaque accident. « Il n’y a pas que la souffrance, mais aussi les problèmes financiers et l’angoisse. Dans de nombreux cas, on oublie la santé des travailleurs. Les entreprises refusent d’assumer leurs responsabilités et mettent les problèmes de santé sur le dos des travailleurs en invoquant leur vie sociale ou leur alimentation. Je suis d’avis que les indemnisations doivent être payées à la hauteur du crime commis sur ces employés. »

Pradeep Dursun (MEF): « Responsabilité conjointe et partagée »

Pour l’Acting Director de Mauritius Employers’ Federation (MEF), il y a les lois, les droits et les responsabilités. « L’employeur a l’obligation de fournir et de maintenir un environnement de travail sain et sécuritaire. L’employé, lui, a l’obligation de respecter les consignes de sécurité. C’est une responsabilité conjointe et partagée. À la MEF, nous constatons que les employeurs sont conscients des dangers qui existent dans le monde du travail. C’est pour cela que plusieurs employeurs souscrivent à des plans d’assurance pour offrir des compensations aux employés s’ils se blessent », dit-il.
   

Réduit à la mendicité

 
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Il était un rude travailleur. Aujourd’hui, il demande l’aumône pour vivre. Si certains l’ignorent ou l’insultent, il y a toujours un passant pour lui offrir un pain. C’est le quotidien de Sooprayen Vengadachellum, 53 ans. C’est à Port-Louis qu’il passe la majeure partie de son temps à faire la manche. Avec le temps, il n’a plus honte, avoue-t-il, même si cette situation le dérange. Il comptait 11 années de service dans une usine textile quand il s’est blessé. « En 2004, je mettais du linge dans la machine quand j’ai glissé. Depuis, je souffre de complications orthopédiques et je ne peux plus travailler », explique-t-il. Comme seules compensations, il recevra Rs 12 000 et quelques sous de l’assurance. « Je me suis retrouvé avec pour seul bien, ma petite maison. Ma femme m’a quitté. Elle a refait sa vie. Je ne lui en veux pas, car elle ne mérite pas de subir le même sort que moi », lance Sooprayen. Depuis presque cinq ans, il dépend de la générosité des autres. Chez lui, il ne reste qu’un lit, une armoire et un four.
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