Le flou persiste toujours sur l’accident survenu à la station d’essence de Wooton, impliquant deux policiers et lors duquel un pompiste a perdu la vie. Deux enquêtes, pour homicide involontaire et non-assistance à personne en danger, ont été initiées par la police. L’Independant Police Complaints Commission (IPCC) dont le rôle est d’enquêter sur les policiers qui ont commis des délits dans l’exercice de leurs fonctions est, pour l’instant, out dans cette affaire. Le Défi Plus a voulu faire la lumière sur les zones d’ombre qui sont flagrantes dans cette affaire.
«On suspend uniquement lorsqu’il y a des preuves…»
La cellule de presse de la police, par le biais de l’inspecteur Shiva Coothen, avance qu’il y a « beaucoup de témoignages à recueillir » dans le cadre des deux enquêtes instituées par le CID de Phoenix et le CCID. Ceux qui, selon l’inspecteur Shiva Coothen, seront interrogés dans les jours à venir sont à la fois les policiers qui étaient sur place au moment de l’accident mais également les civils (pompistes et autres clients). Tous les témoignages, précise notre interlocuteur, sont importants pour le déroulement de l'enquête à savoir celle d’homicide involontaire et allégations de non-assistance à personne en danger.
« C’est injuste de spéculer lorsque rien n’a été établi. Le policier qui conduisait le véhicule a été arrêté, détenu et a été libéré sous caution. C’est un accident qui a causé mort d’homme. Laissons l’enquête suivre son cours et une fois le dossier bouclé et envoyé au bureau du Directeur des Poursuites Publiques (DPP), les actions nécessaires suivront », indique l’inspecteur Shiva Coothen. Mais ne serait-il pas plus juste de suspendre le policier impliqué dans l’accident le temps de l’enquête ? « On suspend un policier lorsqu’il y a des preuves concrètes et irréfutables démontrant qu’une faute a été commise. Les policiers impliqués dans des délits de drogue et autres actes criminels, par exemple. Ils ont été suspendus de leurs fonctions ! Mais pour l’heure, concernant les accusations de d’homicide involontaire, on ne peut pas spéculer », précise le responsable de la cellule de presse de la police.
“Cover up” ?
Pour l’instant, seul le policier qui conduisait le véhicule au moment des faits, à savoir Asfaar Domun, le gérant de la station d’essence, « l’homme en noir » qui est un dénommé Ranjivsing Jankee, ont été entendus par les enquêteurs. Selon la cellule de presse de la police, Asfaar Domun serait toujours en poste bien qu’une charge d’homicide involontaire pèse sur lui. Dans une déclaration au Défi Plus, le gérant de la station d’essence, Sunjive Jankee, dit avoir donné sa version des faits aux limiers de la CID de Curepipe. « J’ai tout expliqué aux enquêteurs. Je leur ai même avoué que, lors de l’accident, j’ai rappelé aux policiers sur place qu’il pourrait y avoir Cover up dans l’affaire car les deux officiers accidentés étaient sur le point de quitter les lieux », dit Sunjive Jankee.
La pompiste Simla Ramkissoon, qui avait assisté à toute la scène, dit vivre « un calvaire » depuis le drame du 26 novembre dernier. « J’étais assise aux côtés de mes collègues Rohit Gobin et Daniel Lamarque peu avant le drame. Puis, je me suis levée pour nous préparer un thé dans la cuisine aménagée. Quelques minutes après, j’ai entendu un bruit assourdissant. J’ai ouvert la porte. La scène était incroyable. Le véhicule de la police, partiellement bousillé, se trouvait dans une pompe à essence. Il y avait des blessés et le corps de mon collègue Gobin a été projeté à une dizaine de mètres plus loin lors de l’impact et il saignait à la tête… », se remémore-t-elle. Selon Simla Ramkissoon, ce seraient « les clients qui avaient appelé l’ambulance ». Certains, ajoute-t-elle, voulaient même transporter les blessés dans leur propre véhicule.
Preuves prima facie
Mais qu’en est-il des autres policiers qui n’auraient pas porté assistance aux blessés ? Selon des renseignements, il faut impérativement qu’il y ait des preuves prima facie* contre les autres policiers qui sont arrivés peu après l’accident pour établir le délit criminel de non-assistance à personne en danger. Il faut qu’il y ait suffisamment de preuves pour incriminer les policiers. Au cas contraire, les allégations de non-assistance à personne en danger pourraient être rejetées dans une Cour de justice. C’est la raison pour laquelle, les policiers qui étaient présents sur les lieux et qui n’auraient pas portés assistance aux blessés, sont toujours en poste. Le policier Afsaar Domun pourrait ainsi être impliqué uniquement pour homicide involontaire.
Mais qu’en est-il de l’homme en noir, ou des autres policiers, qui avaient débarqué sur les lieux quelques minutes après l’accident ? La section 39 (a), sous-section 2, du Code pénal stipule qu’un individu peut ne pas porter assistance à une personne en danger (à travers une intervention ou un coup de fil) s’il constate que sa vie, ou la vie, d’une autre personne pourrait être en danger. Ce qui explique le fait que les deux policiers ont été mis à l’écart des lieux de l’accident, une fois l’homme en noir arrivé. Mais les policiers accidentés étaient-ils vraiment en danger de mort ? « Nous n’avons pas de commentaires à faire sur cette affaire sur les instructions du commissaire de police », a déclaré l’inspecteur Coothen.
Véhicule examiné et rapport d’autopsie
Un haut gradé de la police basé au CCID est d’avis que « conformément aux protocoles, le conducteur impliqué dans l’accident aurait dû être suspendu de ses fonctions tant que l’enquête policière ne sera pas bouclée ». Sous le couvert de l’anonymat, notre interlocuteur ajoute également que « les autres policiers qui se sont rendus sur les lieux de l’accident auraient dû être transférés vers d’autres postes de police afin qu’ils n’aient aucun contact avec les limiers chargés de l’enquête ».
Selon le haut gradé anonyme, le véhicule accidenté doit être analysé par des experts du ministère des Infrastructures publiques. Ces derniers auront la tâche de déceler les causes de l’accident, ou encore de déterminer si le 4x4 contenait des anomalies, à travers une batterie de tests. Pendant ce temps, les policiers chargés de l’enquête doivent interroger tous les témoins et le haut gradé responsable du service et celui responsable du poste de police au moment de l’accident. Il précise qu'un conseil, qui doit être mis sur pied, a le devoir de déterminer si les deux policiers accidentés étaient en fonction ce jour-là, ou encore si le trajet qu’ils ont emprunté au moment de l’accident était officiel.
Selon notre interlocuteur, le rapport d’autopsie doit également être pris en considération par les enquêteurs car il est important de déterminer si les causes du décès sont liées à l’impact de l’accident de la route. Puis c’est au tour du DPP, ou à l’IPCC, d’initier une Judicial Enquiry parce qu’un policier est impliqué dans le délit. L’enquête, une fois bouclée, doit être remise à la Cour intermédiaire.
Me. Dick Ng Sui Wa : «Le commissaire de police a le devoir de confier l’enquête à l’IPCC»
L’Independant Police Complaints Commission (IPCC) Act de 2016 est très clair. Ce sont les enquêteurs de l’organisme qui doivent enquêter sur les délits commis par les policiers dans l’exercice de leurs fonctions. L’avocat Dick Ng Sui Wa, qui a été l’un des assesseurs de l’IPCC, trouve « bizarre » que les policiers soient toujours en fonction bien qu’ils aient commis un grave délit de non-assistance à personne en danger. Ce dernier demande au commissaire de police de remettre l’enquête entre les mains de l’IPCC.
« Le commissaire de police, Mario Nobin, a le devoir de confier l’enquête à l’IPCC. Si l’enquête était entre les mains des enquêteurs de l’IPCC, tous les policiers impliqués dans la vidéo en circulation, incluant le policier qui était au volant du 4x4, seraient interrogés. Le conducteur du véhicule, dans tous les cas, serait suspendu de ses fonctions pour homicide involontaire par imprudence en conduisant. C’est bizarre qu’il soit toujours en poste et qu’il porte l’uniforme », martèle l’ex-assesseur de l’IPCC.
Puis, poursuit l’avocat, deux scénarios sont possibles : un véhicule percute un piéton qui traverse la route par imprudence et un policier en fonction qui dit que son 4x4 a dérapé et heurté violemment un pompiste. « Tout est une question de degré et de charge ! », précise l’avocat. « L’image de la force policière va être déformée par l’amalgame en visionnant les vidéos qui circulent sur la toile, en mettant tous les policiers dans le même panier. Cette situation va, très probablement, affecter toute l’image de la force policière », se désole Me. Dick Ng Sui Wa.
L’ex-assesseur de l’IPCC demande toutefois aux proches du pompiste Rohit Gobin de consigner une déposition contre les policiers qui étaient sur les lieux de l’accident, pour non-assistance à personne en danger.
Ranjivsing Jankee, l’homme en noir dans la vidéo démasqué : «J’étais là pour aider»
Dans un bref entretien au Défi Plus jeudi après-midi, Ranjivsing Jankee, l’homme en noir, qui est intervenu peu après l’accident, avance qu’il était « dans le coin au moment des faits ».
« En arrivant sur les lieux, j’ai constaté qu’il s’agissait de policiers affectés au poste d’Eau-Coulée. Je les connais de vue… J’étais là pour aider. Il y avait des gens qui portaient secours aux blessés », a-t-il avancé.
Vous leur avez aussi porté secours ? « Oui », a répondu Ranjivsing Jankee.
Quelle est votre relation avec Sunjive Jankee, le propriétaire de la station-service de Wooton ? « C’est mon cousin. Mon père et le sien sont cousins. Je les rencontre souvent. Pas plus tard que dimanche dernier, mes parents l’ont rencontré lors d’une session de prière », affirme-t-il.
De quelle façon êtes-vous venu en aide aux deux blessés ? « J’étais sur place. Il y avait des blessés, mais on n’arrivait pas à les bouger. On attendait l’arrivée du SAMU », dit-il.
Les relevés téléphoniques des policiers sollicités
Le Central Criminal Investigation Department (CCID), avec la collaboration de certains éléments de la CID de la Central Division, ont mis sur pied une équipe spéciale en vue de faire la lumière sur les circonstances entourant l'accident à la station d'essence de Wooton. Les relevées téléphoniques de plusieurs policiers, dont ceux impliqués dans l'accident et ceux venus porter secours, et les téléphones du poste de police d'Eau-Coulée intéressent le CCID.
Les "itemised bills" des téléphones cellulaires des policiers impliqués dans l'accident et ceux aperçus sur la station de Wooton ont été sollicités par le biais des demandes auprès de la cour. Ces éléments pourraient s’avérer déterminants pour la suite de l’enquête. Les relevés téléphoniques de la matinée de 26 novembre seront comparés l'un à l'autre pour tenter de confirmer la véracité des dires des protagonistes, dans leurs explications aux enquêteurs.
Ce volet de l’enquête sera mené de manière séparée avec l’enquête de la CID de Phoenix, qui, elle, vise à faire la lumière sur l'accident ayant provoqué la mort du pompiste Rohit Gobin, 58 ans, quelques jours après avoir été grièvement blessé.
Cette équipe spéciale travaille sous la supervision des gradés du CCID. L’enquête, confiée à cette équipe est qualifiée d’administrative et vise à faire la lumière sur les rôles des différents protagonistes concernés dans l'accident. Déjà, un premier constat est accablant. « Il y a eu un manque d'égard humanitaire de la part des policiers impliqués dans l'accident, tout comme d'autres individus, sur les lieux peu après l'accident. »
Si les policiers ont justifié ce trajet, en affirmant qu'ils allaient récupérer des gâteaux pour une marche pacifique, visant à commémorer la Journée internationale de l’élimination de la violence à l’égard des femmes, les enquêteurs du CCID veulent mettre les points sur les 'i'. À ce stade de l'affaire, les auditions des policiers Domun et Madhina devraient éclaircir les Casernes centrales pour déterminer la suite. L’élément que le CCID veut comprendre pourquoi les policiers ont utilisé un véhicule de la force policière pour aller récuperer des gâteaux. Dans cette optique, un volet de l’enquête est consacrée à une affaire de "Using police véhicule to convey food". Les policiers s'apprêtaient à se rendre dans la région de Camp-Fouquereaux peu avant l'accident, à bord du 4x4 de la police.
Cependant quelques minutes après, les policiers se sont garés au bord de l'autoroute avant de redémarrer et terminer leur course sur la station d'essence d'Indian Oil. Que s'est-il passé entre la période d’arrêt du véhicule de la police et la reprise de la route qui s'est achevé avec l'accident.
Les enquêteurs de la CID de la Central Division sont actuellement dans l’attente des relevés téléphoniques de plusieurs protagonistes, tout comme celui du poste de police d’Eau-Coulée, dans la matinée du 26 novembre.
Sunjive Jankee, le gérant de la station d’essence : « Je ne connais pas cet homme, il n’est pas mon cousin ! »
Ranjivsingh Jankee, l’homme vêtu de noir qui apparaît dans la vidéo peu après l’accident, affirme être le cousin de Sunjive Jankee, le gérant de la station-service de Wooton. Mais dans une déclaration accordée au Défi Plus jeudi après-midi, Sunjive Jankee affirme, lui, qu’il ne connaît pas Ranjivsingh Jankee et soutient qu’ils ne seraient pas cousins. Il souligne qu’il y aurait une tentative de cover-up dans l’enquête.
« Je ne connais pas cet homme, je ne l’ai jamais vu ni fréquenté et il n’est pas mon cousin ! Apre, si li ti konn mwa, li ti kapav vinn ver mwa… Bon, maintenant il est peut-être un cousin très éloigné. À mon avis, il doit être un informateur de la police. Ce n’est qu’une mise en scène, afin que je me retrouve dans une situation embarrassante à la suite de l’accident qui a causé la mort d’un de mes employés », souligne Sunjive Jankee.
Notre interlocuteur raconte qu’il n’aurait « pas croisé » Ranjivsingh Jankee lorsqu’il s’est rendu à la station-service aux alentours de 11 h 30, soit peu après le drame. Ce n’est que lorsque les deux policiers accidentés ont quitté les lieux que Sunjive Jankee (NdlR : le gérant) aurait aperçu Ranjivsingh Jankee (l’homme en noir).
« Il y a énormément de zones d’ombre dans cette affaire. Pourquoi cet homme en noir, que je ne connais pas, est arrivé peu après l’accident en voiture ? Comment se fait-il qu’il gare sa voiture de l’autre côté de la route ? Pourquoi est-il parti après avoir aidé les policiers accidentés ? » s’interroge Sunjive Jankee.
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