
Abdel Ruhomutally, Managing Director de GFA Insurance, tire la sonnette d’alarme : le projet de National Insurance Claims Database, pourtant fonctionnel, subit des retards « incompréhensibles » pour être mise en opération. Il dénonce la pression pour introduire un système de recouvrement électronique (net off), qui est une aberration juridique. Entretien…
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Vous militez depuis des années pour la mise en place de la National Insurance Claims Database (NICD). Où en est-on aujourd’hui ?
Le NICD est techniquement prêt. La majorité des compagnies d’assurance, dont GFA, ont finalisé les tests d’intégration. Un ’soft launch’ est possible immédiatement, avec une intégration ultérieure de modules complémentaires comme le système Bonus-Malus et recouvrement. Cependant, nous constatons des retards incompréhensibles quant à son lancement, probablement le temps de finaliser un système parallèle de recouvrement électronique - lequel soulève par ailleurs de légitimes interrogations.
Pourquoi ces réserves sur le système de recouvrement électronique (net off) ?
Ce système constitue une aberration juridique sans équivalent international. Il impose une déduction automatique des créances sur les indemnités dues aux assurés.
Bien que le processus de réclamation reste identique pour toutes les compagnies d’assurance, celles-ci devront gérer deux systèmes informatiques en parallèle. Cela entraînera des efforts dupliqués pour tous les assureurs. Pour se conformer à la plateforme, de nombreuses entreprises seront obligées d’embaucher du personnel supplémentaire, ce qui augmentera inutilement leurs coûts opérationnels. Inévitablement, cette charge financière se répercutera probablement sur les primes d’assurance, faisant ainsi grimper les tarifs pour les consommateurs. Une situation d’autant plus paradoxale que ce dispositif a été promu par un groupe d’assureurs arguant de difficultés financières. Comment, dès lors, une entreprise en manque de liquidités pourrait-elle honorer ses obligations ?
Certains dans l’industrie sont d’accord que ce mécanisme n’est en rien indispensable pour permettre à la Financial Services Commission de sanctionner les assureurs en défaut de paiement ou retardant indûment le traitement des sinistres. L’autorité de régulation dispose déjà des outils nécessaires pour agir contre les mauvais payeurs.
D’ailleurs, les dysfonctionnements du système MVL Online (taxe routière), pourtant un projet informatique a priori simple, illustrent les risques de ce type de réforme. Le précédent gouvernement avait lui-même lancé un dispositif qui, loin de régler les problèmes, les avait aggravés.
Alors que des usagers rencontraient des difficultés pour souscrire leur taxe routière en ligne – en raison de problèmes techniques côté administration (latence, bande passante) –, ils étaient redirigés vers leurs assureurs La plateforme ne précise pas la cause de la défaillance technique. Les assureurs ont soulevé ce problème lors de réunions avec la NLTA et ont insisté pour que l’origine de l’erreur sur la plateforme soit clairement identifiée. Une plateforme intelligente devrait en effet être capable d’indiquer la source d’une erreur et de fournir aux utilisateurs des messages d’erreur compréhensibles et adaptés. De plus, des modifications ont été apportées en cours de route malgré des tests pourtant finalisés.
Quelle est la réaction de vos clients ?
Une enquête menée auprès de nos clients révèle que 67,7 % ont payé leur taxe routière (MVL) à la poste, contre 21 % au guichet de la NLTA. Seuls 11,3 % ont tenté de payer en ligne.
Parmi ces derniers, 6,5 % ont réussi entre 11 heures et 15 heures, tandis que 4,8 % ont rencontré des difficultés d’accès au portail MVL Online et ont finalisé leur paiement à la poste.
Le nouveau dispositif reprend quasiment les mêmes fonctionnalités que le précédent, mais développé cette fois par la State Informatics Limited.
Quels sont les principaux risques du nouveau système de recouvrement électronique pour les assurés et les compagnies d’assurance ?
Le mécanisme proposé soulève des inquiétudes quant à son équité et son alignement avec les standards internationaux. Alors que les assureurs appliquent une minimisation systématique des coûts lorsque leur responsabilité est engagée, ils réclament par contre des réparations complètes lorsque leur client est reconnu non responsable à travers le processus de recouvrement.
Notre analyse comparative révèle que le principe de ‘mitigation and indemnity’ – pourtant fondamental dans l’évaluation des sinistres – n’y est pas pleinement respecté. Ce dispositif s’écarte des normes en vigueur dans les pays à régulation mature.
La Financial Services Commission est-elle soumise à des pressions externes ? La question se pose, d’autant que l’assurance ne peut être régulée comme une activité bancaire. Chaque sinistre étant unique, les recours juridiques (tribunaux) ou l’arbitrage (MVIAC) devraient primer sur une solution technocratique non testée, dont les implications financières et techniques n’ont pas été évaluées.
Certains assureurs violent déjà le Insurance Code of Practice, exploitant les failles du système au détriment des compagnies adverses. Avec l’arrivée du Bonus-Malus, ce sont les clients reconnus responsables qui subiront une hausse drastique de leurs primes – une situation évitable.
Après les tensions budgétaires et la grogne sociale sur l’âge de la retraite, un dialogue transparent avec toutes les parties prenantes est indispensable pour éviter une crise supplémentaire.
Vous semblez évoquer des pratiques anticoncurrentielles. Pouvez-vous préciser ?
Effectivement. Le marché mauricien de l’assurance souffre manifestement d’un déficit de concurrence loyale. J’ai des éléments laissant supposer que certains opérateurs, y compris des entités publiques, pourraient se livrer à des pratiques relevant de l’abus d’information privilégiée (insider trading) visant à distordre artificiellement la concurrence.
Le principe fondamental de libre choix inscrit dans la Section 81 de l’Insurance Act (2005), voté en 2007, n’a jamais été pleinement appliqué avec la rigueur nécessaire. Toute pratique limitant cette liberté fondamentale aurait dû déclencher une réaction unanime. Pourtant, l’immobilisme persiste.
A la GFA, nous prônons une diversification stratégique. Mais comment investir sereinement dans un environnement aussi faussé et déséquilibré ? La question demeure : pourquoi chaque Mauricien n’aurait-il pas droit à un marché libre et équitable ?
Et les autorités, sont-elles à l’écoute ?
Au fait, je suis plutôt consterné par une certaine fragmentation institutionnelle. Le NLTA gère la taxe routière, la FSC veut son serveur de sinistres et recouvrement, et bientôt le Registrar pourrait exiger d’autres données…
Résultat ? Une approche coordonnée serait préférable pour garantir l’efficacité du système tout en respectant les droits de toutes les parties prenantes.
J’ai tiré la sonnette d’alarme à plusieurs reprises : il nous faut une base de données centralisée, intégrant l’ensemble des rapports d’accidents, avec :
• Localisation, circonstances et horaires,
• Responsabilités, fréquences et montants des sinistres,
• Nature des dommages (réparation, perte totale mécanique ou économique).
La National Integrated Claims Database doit être lancée sans délai – même sans attendre les modules complémentaires (recovery, bonus-malus).
Je compte en discuter prochainement avec Mme La Ministre des Services Financiers.

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