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279 kilos de nourriture jetés chaque minute : stop au gâchis alimentaire !

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À Maurice, l’équivalent de 1 120 repas disparaît dans les poubelles toutes les minutes. Une hémorragie alimentaire qui révèle les contradictions d’une société d’abondance face aux enjeux économiques, environnementaux et sociaux. Tour d’horizon à l’occasion de la Journée internationale de sensibilisation aux pertes et gaspillages alimentaires observée ce lundi 29 septembre.

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Lotilde Charpy, General Manager de FoodWise.

L’image est saisissante. Toutes les soixante secondes, 279 kilos de nourriture sont jetés sur l’ensemble du territoire mauricien. C’est l’équivalent d’environ 1 120 repas perdus par minute. 

« C’est un chiffre considérable, surtout pour une petite île comme la nôtre », reconnaît Lotilde Charpy, General Manager de FoodWise. Les derniers chiffres disponibles, datant de 2022, révèlent l’ampleur d’un phénomène qui dépasse le simple gaspillage domestique pour devenir un enjeu de société.

Rapporté à l’individu, chaque Mauricien produit en moyenne 93 kilos de déchets alimentaires par an. À la décharge de Mare-Chicose, les déchets alimentaires représentaient déjà 27 % du volume total en 2020, indique-t-elle. 

L’analyse des déchets révèle que « de manière générale, les aliments qui périment le plus rapidement sont aussi ceux qui finissent le plus souvent à la poubelle. » Lotilde Charpy cite notamment fruits et légumes, ainsi que produits laitiers. D’autres produits, à l’inverse, ont une plus grande longévité : « Des conserves ou d’autres denrées stockées dans les placards des Mauriciens, qui peuvent se conserver plusieurs années, voire indéfiniment. » 

1 700 tonnes redistribuées

Face à cette hémorragie, FoodWise a développé depuis novembre 2018 un modèle d’intervention qui fait référence. Plus de 1 700 tonnes d’aliments ont été redistribuées, représentant plus de 7 millions de repas sauvés. Un réseau de plus de 300 partenaires agroalimentaires et hôteliers alimente plus de 200 ONG à travers l’île.

Les volumes redistribués ont évolué depuis la création de FoodWise : de 65 tonnes sauvées entre novembre 2018 et fin 2019, l’organisation est passée à 422 tonnes en 2020 – une année marquée par l’impact du COVID-19 sur la gestion des stocks –, puis 270 tonnes en 2021, 220 tonnes en 2022, 232 tonnes en 2023, et 327 tonnes en 2024.

« Cette progression n’est pas forcément le signe d’un gaspillage plus important, mais plutôt d’une meilleure prise de conscience », analyse Lotilde Charpy. « Nos partenaires ont désormais le réflexe de nous contacter pour redistribuer leurs surplus et commencent à instaurer des normes anti-gaspillage dans leurs processus de stockage. »

Quels sont les produits redistribués ? Selon FoodWise, les volumes les plus conséquents concernent trois types de produits : les aliments secs (« dry goods »), suivis des boissons, puis des produits laitiers. « Par ‘dry goods’, nous entendons des denrées qui se conservent mais qui sont proches de leur date de ‘Best Before’, comme les boîtes de conserve, les céréales, le riz, les pâtes ou encore les biscuits secs », détaille Lotilde Charpy.

L’objectif, poursuit-elle, est de récupérer tous les aliments encore consommables afin de les redistribuer à ceux qui en ont besoin. « Les aliments que nous ne parvenons pas à récupérer, notamment les fruits et légumes trop abîmés, trouvent souvent une nouvelle utilité chez les éleveurs de porcs. » Cela illustre les possibilités d’une économie véritablement circulaire.

Gaspillage absurde

L’observation du terrain révèle des comportements récurrents. « L’un des plus courants est l’absence de liste de courses, qui favorise les achats impulsifs », identifie Lotilde Charpy. Conséquence : des produits qui ne seront pas consommés à temps.

Le manque de planification amplifie le phénomène : « Aller au supermarché sans idée précise des besoins des jours ou semaines à venir augmente le risque de gaspillage. » S’y ajoute l’oubli des techniques de conservation de base, comme la congélation ou la mise en bocaux, alors que « de nombreux aliments, crus ou cuits, peuvent être congelés, et certains fruits et légumes se conservent très bien dans des bocaux de vinaigre ».

La confusion entre « Best Before » et « Expiry Date » aggrave le phénomène. « Certains produits se conservent plusieurs mois après leur date de ‘Best Before’, à condition d’être bien stockés et de ne présenter aucun signe d’altération », rappelle-t-elle. FoodWise prône une approche sensorielle : le test des sens : d’abord observer l’aspect, puis sentir l’odeur et enfin goûter.

Ces constats prennent une dimension particulière lors des sessions de sensibilisation. « Les participants sont souvent surpris par les chiffres que nous présentons », observe Lotilde Charpy. « Beaucoup réalisent pour la première fois que ‘ce n’est qu’un petit déchet’ répété chaque jour aboutit à 279 kilos de nourriture jetés chaque minute. »

FoodWise a-t-elle calculé le coût économique moyen du gaspillage alimentaire pour une famille mauricienne ? Selon Lotilde Charpy, il n’existe pas de données précises pour Maurice. D’ailleurs, fait-elle ressortir, le coût économique du gaspillage alimentaire est difficile à évaluer, car dépendant de plusieurs facteurs et méthodologies. « Plus globalement, on peut estimer ce coût en tenant compte de la valeur des produits achetés et jetés, des coûts directs (prix des aliments) et indirects (argent perdu, ressources gaspillées), ainsi que du volume de déchets générés. » 

À l’étranger, certains pays ont mené des estimations, ajoute-t-elle : « En France, on parle d’environ 100 euros par personne et par an en 2024 ; au Royaume-Uni, près de £ 1 000 par foyer de quatre personnes en 2022 ; et aux États-Unis, environ $ 728 par personne en 2025. » 

Les freins au changement 

Toujours est-il que modifier les comportements se heurte à des résistances profondes, « qu’elles soient culturelles ou simplement liées à la routine ». Chacun a ses gestes automatiques en cuisine ou sa manière de faire les courses - chaque semaine, chaque mois ou selon les besoins - qui sont difficiles à modifier, concède Lotilde Charpy.

Ces habitudes puisent dans des racines multiples : « l’éducation, les valeurs ou la religion ». Mais le changement est nécessaire, insiste Lotilde Charpy. FoodWise constate d’ailleurs que « de plus en plus de familles mauriciennes adoptent progressivement des comportements de consommation plus responsables ».

L’évolution des mentalités laisse entrevoir des transformations durables. De manière générale, les Mauriciens sont de plus en plus conscients des enjeux liés au gaspillage alimentaire, observe FoodWise. « La diffusion d’informations, d’astuces et de bonnes pratiques sur les réseaux sociaux et d’autres canaux de communication joue un rôle essentiel. »

La technologie offre de nouveaux leviers. Selon Lotilde Charpy, l’utilisation d’outils numériques est une piste prometteuse : applications de préparation de listes de courses, planification des repas, ou encore recettes anti-gaspillage. « Ces solutions, accessibles sur smartphone, séduisent particulièrement les jeunes générations, qui adoptent rapidement ces nouvelles habitudes. »

Cette prise de conscience s’ancre dans une réalité économique contraignante. L’impact social est « bien perçu, surtout avec la flambée du coût de la vie et la hausse de l’inflation, qui touchent toutes les classes sociales ». Un contexte qui transforme la lutte contre le gaspillage d’impératif moral en nécessité économique.

Pour FoodWise, « le changement commence par la connaissance » pour ancrer « une conscientisation durable et efficace ». Un pari sur l’intelligence collective qui pourrait faire de Maurice un laboratoire de sobriété alimentaire dans l’océan Indien. Lotilde Charpy insiste : « Le changement est à la fois individuel et collectif, et tout le monde – peu importe son âge ou son mode de vie – doit se sentir concerné par le gaspillage alimentaire. »

Les jeunes générations en première ligne du changement

Dans la lutte contre le gaspillage alimentaire, les plus jeunes semblent montrer la voie. « Une tendance marquée se dégage particulièrement chez les jeunes générations, qui sont davantage sensibilisées au gaspillage alimentaire et qui, de ce fait, gaspillent moins », observe Lotilde Charpy. Ces nouvelles générations développent spontanément des stratégies de consommation raisonnée : astuces pour acheter moins, manger mieux, trier les aliments et faire du compost. 

« Nous remarquons que les jeunes générations transmettent les messages appris à l’école à leurs parents, ce qui encourage les discussions familiales sur le sujet », confirme FoodWise, en soulignant l’importance de sensibiliser les jeunes générations le plus tôt possible. « Nous menons de nombreuses actions dans ce sens, notamment à travers notre programme éducatif MEAL, qui aborde le gaspillage alimentaire, l’impact de l’alimentation sur la santé et les gestes à adopter. Entre sessions ludiques et ateliers pratiques, nous cherchons à toucher le maximum d’écoles. »

Caritas entre dons et besoins

Caritas Maurice reçoit des denrées alimentaires à travers FoodWise. Cependant, observe la secrétaire générale Patricia Adèle-Félicité, les bénéficiaires ne sont pas toujours en mesure de prendre deux repas par jour. Lorsque Caritas ne reçoit pas suffisamment de dons, l’ONG propose ses « Boutiques solidaires », permettant aux bénéficiaires d’acheter des denrées à prix réduit.

« Nous achetons en gros pour revendre à moindre coût des produits que nos bénéficiaires ne peuvent peut-être pas se permettre dans les supermarchés. Avec le projet de panier solidaire, ils peuvent accéder à des produits laitiers à stocker une fois par mois », explique-t-elle.

La secrétaire générale souligne également que l’aide alimentaire d’urgence est désormais difficile à assurer, car les dons des particuliers ont diminué. « Nous faisons des collectes devant les supermarchés, mais nous recevons souvent une seule catégorie de produits, comme des pâtes ou des conserves. Nous devons compléter avec d’autres produits avant de pouvoir offrir un repas complet à une famille », précise-t-elle.

La situation s’est aggravée depuis la pandémie de COVID-19, et la hausse du coût de la vie complique encore davantage la redistribution alimentaire. Caritas doit donc composer avec des ressources limitées tout en poursuivant sa mission auprès des plus vulnérables. 


Comprendre pour mieux agir 

«Le gaspillage alimentaire peut être perçu comme une dévalorisation implicite de la nourriture », souligne Nisha Chureetur, nutritionniste au ministère de la Santé. Elle s’explique : « On oublie que derrière chaque aliment, il y a un investissement considérable de temps, de ressources, d’eau, de travail et d’argent. »

Quels sont les aliments les plus souvent gaspillés dans les foyers mauriciens ? Nisha Chureetur cite les fruits et légumes frais, particulièrement périssables, ainsi que les produits laitiers comme les yaourts et le lait. Ils sont souvent achetés en excès ou mal conservés, surtout les bananes, tomates et « bred ». Les pains achetés quotidiennement en trop grande quantité finissent fréquemment à la poubelle. De même, le riz ou le « kari » préparés en grande quantité sont souvent gaspillés. 

La nutritionniste souligne que la façon dont nous achetons (en sachets, en gros, promotions) et préparons nos repas influence fortement le gaspillage. « Les promotions dites ‘2 pour 1’ ou les gros sachets sont perçus comme des occasions à ne pas rater. Ils paraissent très attirants mais mènent très souvent à l’excès. » Dans beaucoup de cas, ces produits ne sont même pas consommés. Et pour aggraver la situation, leurs dates de péremption sont souvent très proches.

Réfrigération vs congélation

Le manque de connaissances en matière de conservation des aliments contribue également au gaspillage. « La réfrigération et la congélation sont des méthodes de conservation très anciennes. La réfrigération ralentit la croissance bactérienne et les réactions enzymatiques responsables de la détérioration, ce qui aide à préserver l’aliment plus longtemps tout en conservant sa texture, sa saveur et ses nutriments », explique Nisha Chureetur. Cependant, la réfrigération n’arrête pas complètement l’activité microbienne, et les aliments finissent par se détériorer s’ils sont gardés trop longtemps.

La congélation, quant à elle, ralentit considérablement la croissance microbienne et l’activité enzymatique. Contrairement à la réfrigération, qui ne fait que retarder la détérioration et permet une consommation sûre pendant deux à trois jours, la congélation permet de conserver les aliments pendant plusieurs mois, tout en préservant leur sécurité et leur qualité. 

« Beaucoup ne maîtrisent pas bien ces méthodes. On trouve des frigos trop remplis empêchant une bonne circulation de l’air. Les aliments sont congelés tardivement, ou décongelés puis recongelés », observe-t-elle. De plus, les restes ne sont pas toujours refroidis et conservés correctement.

L’organisation des placards a également un impact réel sur le gaspillage. « Quand les denrées ne sont pas visibles, elles sont oubliées. Elles expirent sans être utilisées, ou des produits alimentaires sont achetés à nouveau alors qu’il y en avait déjà sous la main », souligne la nutritionniste. Il est recommandé de ranger les produits de façon à bien les voir, en utilisant des contenants transparents, et de vérifier les stocks avant d’aller faire les courses. Elle conseille également d’adopter le principe « premier acheté, premier utilisé ».

Dates de péremption et croyances

Les dates de péremption (« Expiry Date ») et de consommation optimale (« Best before ») sont souvent mal comprises. « On confond souvent date de péremption et date de consommation optimale, alors que ce n’est pas la même chose », explique Nisha Chureetur. La date de péremption concerne les produits très périssables comme la viande, le poisson, les plats cuisinés frais et les produits laitiers. Après cette date, le produit peut présenter un danger pour la santé. 

La date de consommation optimale, en revanche, concerne les produits moins sensibles comme les pâtes, le riz, les biscuits, les conserves, le café ou le chocolat. Après cette date, ces aliments restent consommables sans danger, mais peuvent perdre en goût, texture ou valeur nutritive, précise-t-elle.

Certaines croyances locales influencent également ce que nous jetons. « Dans la culture hindoue, par exemple, le riz préparé la veille n’est pas donné aux femmes enceintes », souligne la nutritionniste. Les fruits trop mûrs sont souvent perçus comme « gâtés », alors qu’ils peuvent être transformés en compotes, gâteaux ou smoothies. 

Les restes sont parfois associés à un manque de fraîcheur. Pourtant, insiste-t-elle, les restes peuvent être transformés en repas tout aussi nutritifs que les plats frais, à condition d’être bien conservés :

Riz de la veille : riz sauté aux légumes et œufs
Légumes cuits : soupe, gratin, farci pour rôti
Pain sec : pudding de pain, pain perdu
Fruits mûrs : smoothies, confitures, gâteaux

Pour Nisha Chureetur, « avec quelques gestes simples, chaque famille peut économiser de l’argent, gagner du temps et mieux valoriser la nourriture ».

Perte nutritionnelle

Jeter certains aliments sans les avoir consommés entraîne une perte de vitamines essentielles comme la vitamine C, des fibres, des antioxydants dans les fruits et légumes, des vitamines B dans les pains et céréales, des protéines, du fer et des oméga-3 dans les viandes et poissons, et du calcium, protéines et vitamine D dans les produits laitiers. « Chaque aliment jeté signifie une vraie perte nutritionnelle », insiste Nisha Chureetur.

Les aliments les plus gaspillés à Maurice

Certains aliments sont particulièrement sujets au gaspillage dans les foyers mauriciens :

  • Fruits et légumes frais : bananes, tomates, « bred » - périssables et souvent achetés en trop grande quantité.
  • Produits laitiers : yaourts, lait frais – se détériorent rapidement.
  • Pains : achetés quotidiennement en excès.
  • Plats cuisinés : riz, « kari » - préparés en trop grande quantité. 
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